- J'ai cette petite philosophie de bistrot dans laquelle, pour avoir des succès en science, dans une carrière scientifique, il y a deux chemins. Le premier, c'est : toi, tu es un génie, alors là, tu n'as pas beaucoup à chercher, tu prends les problèmes que les autres n'ont pas su résoudre : comment relier la gravitation avec la mécanique quantique ? Qu'est-ce que la matière noire ? C'est pas grave, tu es un génie, tu attaques, les autres n'ont pas su résoudre, toi, tu es un génie, tu vas résoudre. L'autre possibilité, c’est que tu n'es pas un génie, c'est ce qui nous concerne, nous les autres. Et alors là, tu n’as aucune chance de résoudre les problèmes que les autres n'ont pas su résoudre en utilisant les mêmes outils. Donc si tu as une chance de faire quelque chose, c'est parce que tu fais ce que les autres ne font pas.
Cette petite philosophie de bistrot, a conduit Arturo Lopez Ariste à plus de 2800 m d’altitude, au Pic du Midi. Car c’est dans cet observatoire historique des Pyrénées que cet astrophysicien, spécialiste du Soleil, a conçu un nouvel instrument susceptible d’élucider un mystère qui tient en haleine la communauté scientifique depuis des décennies : celui de la température inexpliquée de la couronne solaire. La couronne est cet halo de gaz autour du Soleil qui s’étend sur des milliers de kilomètres. Or, la température de cette couronne, dans sa partie la plus lointaine, est beaucoup plus élevée que celle de la surface du Soleil qui est déjà pourtant de 6000 °.
- Comment est-il possible que le Soleil qui à sa surface n’est « que » à 6000 °C, c’est déjà très, chaud mais enfin… Quelque chose qui est à 6000°, comment peut-il chauffer quelque chose d’autre à 1 million de degrés ? Ce que j'ai l'habitude de dire, c'est : imaginer un radiateur à la maison, normalement on s'approche du radiateur pour sentir sa chaleur. Mais le cas de la couronne solaire, ce serait le contraire. Plus on s'éloigne du radiateur, plus il fait chaud, ce qui est un contresens. Donc c'est ça l'un des grands mystères qu'il nous reste à résoudre sur le Soleil. Qui chauffe la couronne, comment la couronne est chauffée ? Donc le but de C3, est de contribuer à résoudre ce problème. C3 est le nom du nouvel instrument qu’Arturo installe au Pic du Midi dans la coupole des coronographes. L’accueil de cet instrument dans cet observatoire n’est pas un hasard, plutôt le fruit d’une longue histoire, car c’est au Pic que l’astronome Bernard Lyot a inventé et installé en 1931 le premier coronographe. À l'observatoire du Pic du Midi, dans nos Pyrénées centrales, après les séances de travail, l'astronome Bernard Lyot, qui était sportif, se reposait en escaladant les pentes. Ayant inventé le coronographe qui réalise une éclipse artificielle et montre en tout temps la couronne, Lyot s'en sert pour filmer dès 1935 les éruptions du Soleil. La lunette du Pic porte le coronographe, au bout duquel Lyot règle sa caméra. Depuis Bernard Lyot, plusieurs générations de coronographes ont été installées au Pic du Midi. Dans ce lieu chargé d’histoire, c’est à l’heure où les autres instruments s’éteignent, après une nuit d’observation, que la coupole des coronographes s’éveille avec le jour. Et c’est un collectif d’astronomes amateurs, les Observateurs associés, qui en prend les commandes et s’y relaie toute l’année depuis presque 30 ans pour capturer les images de la couronne du Soleil. - Dans l'association, on doit être à peu près quatre-vingts, actifs une soixantaine. On vient au Pic du Midi. Notre salaire, c'est le lever de Soleil le matin, le coucher de Soleil le soir, les étoiles la nuit et le reste du temps : il fait beau, on fait tourner la bécane et on fait des images. Le but des OA, c'est de créer une banque de données d'images solaires. On n'est pas tous des scientifiques, loin de là. On est astronome amateur et on fait tourner une manip et on stocke ces images. Ces images sont mises à disposition de la communauté scientifique. Ces astronomes amateurs seront également les piliers du fonctionnement du nouveau coronographe, déjà installé sous la coupole. Et dans cette aventure, leur partenariat avec les scientifiques n’est pas seulement technique puisqu’ils contribuent via leur sponsor au financement de l’instrument. Avec sa lentille de 40 cm de diamètre, le C3 sera le plus grand coronographe en activité dans le monde. Sa mission sera de scruter les franges les plus lointaines de la couronne solaire, de mesurer les champs magnétiques, et de tester une nouvelle hypothèse susceptible d’élucider le mystère de sa température. - C'est un phénomène physique qui a été découvert très récemment et que l'on appelle les super oscillations. Les premiers calculs montrent que ce phénomène serait capable de convertir l'énergie des ondes en chaleur. Il faut aller mesurer la présence de ces sondes dans la couronne, et il faut mesurer les champs magnétiques en même temps et voir si je vois ces super oscillations en action. Mesurer les champs magnétiques, demande de mesurer une propriété de la lumière qui s'appelle la polarisation. Mais la lumière de la couronne solaire est très peu polarisée. Donc il faut beaucoup de photons, mais qui ne viennent que de la couronne. Donc il faut un grand coronographe qui maîtrise correctement la lumière diffusée, qui ne voit que la couronne mais qui accumule assez de photons pour mesurer cette polarisation et à partir d'elle, les champs magnétiques dans la couronne et les ondes. Voilà la justification pour un grand coronographe, donc si on réussit à le faire marcher, ce sera le plus grand au monde, ici au Pic du Midi. Observer les photons dans la couronne solaire pour mettre à l’épreuve la théorie des super oscillations reste un défi, car si la température de la couronne solaire est bien plus élevée que celle de la surface du Soleil, cette couronne est aussi un million de fois moins lumineuse, donc très difficile à observer. Mais le hasard faisant parfois bien les choses, C3 entre en action cette année au moment où le Soleil est au pic de son activité, comme en témoignent ces images prises ces derniers mois. Et c’est en 2025 que ce coronographe devrait commencer à contribuer – ou pas – à élucider le mystère de la couronne solaire.