Les trous noirs sont le lieu de tous les mystères, de tous les paradoxes. Ils aspirent tout, même la lumière, et pourtant, ils rayonnent. En effet, d'après la théorie du physicien Stephen Hawking, l'horizon d'un trou noir, en plus de tout avaler, devrait également émettre des particules : des photons de lumière, par exemple. Ce rayonnement hypothétique n'a encore jamais été observé car il est si faible qu'il se dissout dans le fond lumineux de l'univers. Mais au cœur des laboratoires, grâce aux trous noirs artificiels, l'effet Hawking ne paraît plus aussi inaccessible... D'après la physique quantique, qui décrit le comportement des particules élémentaires, il n'existe pas de vide absolu. Ca veut dire que si on considère une région vide, apparemment, de l'univers, sans planète, sans gaz, sans lumière, on réalise qu'il subsiste un minuscule bruit, que l'on nomme : fluctuations quantiques ou fluctuations du vide. Ce bruit est dû à la présence de particules qui apparaissent et disparaissent en permanence. Les trous noirs agissent un peu comme des caisses de résonance pour ce bruit quantique. La courbure de l'espace-temps autour de l'horizon du trou noir amplifie les fluctuations du vide, de manière à faire jaillir des particules du néant. C'est ce bruit amplifié qui donne naissance au célèbre rayonnement prédit par Stephen Hawking. Un fluide en écoulement, comme de l'eau, peut mimer certaines propriétés des trous noirs. Si l'écoulement du fluide est en accélération, on peut définir un horizon, qui aspire les vagues à la manière d'un trou noir aspirant la lumière. Comme en astrophysique, cet horizon amplifie le bruit présent à la surface de l'eau, et peut générer un équivalent hydrodynamique de l'effet Hawking. Mais le rayonnement des véritables trous noirs vient de l'amplification de fluctuations quantiques, qui n'ont pas les mêmes propriétés que le bruit à la surface de l'eau. Pour recréer en laboratoire un effet aussi proche que possible du rayonnement de Hawking, il faut donc que le fluide en écoulement possède, lui aussi, des propriétés quantiques. Alors, un exemple de fluides quantiques, que l'on contrôle très bien au laboratoire, ce sont les fluides de polaritons. Les polaritons sont des particules artificielles, des particules hybrides qu'on obtient en mélangeant de la lumière, piégée dans une cavité, qui est formée de deux miroirs parallèles, et une excitation électronique de la matière. En pratique, cet assemblage de miroirs et de matériaux actifs, c'est tout petit, c'est microscopique. En fait, sa largeur a plus ou moins la taille d'un cheveu. On parle donc de micro-cavité, et lorsqu'on met beaucoup de polaritons dans cette micro-cavité, ils vont se comporter collectivement comme un fluide, et on va donc parler de fluide quantique. Les microcavités à polaritons sont si minuscules, que le moindre grain de poussière peut les endommager, un peu comme si une météorite s'écrasait sur un bâtiment. Les échantillons sont donc fabriqués et testés dans des salles blanches, des environnements dépourvus de poussière, parfaitement propres et contrôlés. Ces salles blanches sont comme des ateliers de sculpteur de la Renaissance, où l'on peut réaliser toutes sortes de structures microscopiques. La microstructure qui va nous permettre de créer notre trou noir de laboratoire, c'est celle-ci : une espèce de muraille de Chine, au milieu de laquelle on a créé un petit défaut, qui jouera le rôle de l'horizon. Alors, cette image a été prise en microscopie électronique à balayage, et elle montre précisément la microstructure que nous avons utilisée pour réaliser un trou noir acoustique, avec des polaritons. Donc, il faut imaginer que cette structure c'est vraiment un mur. Un mur qui a cette hauteur et qui a une largeur qui est presque constante partout, sauf dans cet endroit, où il devient un petit peu plus large. Alors, ce mur se comporte comme une fibre optique pour la lumière. Donc on va pouvoir injecter de la lumière qui va se transformer en polaritons à l'intérieur de ce mur, et les polaritons vont pouvoir s'écouler dans cette direction, et rencontrer ce défaut. Et la présence de ce défaut va complètement modifier l'écoulement, et faire que dans cette région, le fluide de polaritons est supersonique. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire que si j'ai des excitations acoustiques qui sont créées dans cette région, le fluide va les emporter, et elles ne peuvent absolument pas s'échapper de cette région. Donc c'est vraiment l'analogue de la lumière qui est piégée dans les trous noirs et qui ne peut pas s'en échapper. La théorie de Stephen Hawking prédit que l'horizon de ce trou noir va émettre des paires de photons, et nous, on va venir mesurer la lumière qui est émise par les deux côtés. Et on va montrer que les photons qu'on détecte ont bien été émis exactement en même temps dans la région de l'horizon. L'échantillon de micro-cavité se situe à l'intérieur de cette chambre, ici. Il s'agit d'un cryostat, qui permet de refroidir l'échantillon à des températures très basses, de l'ordre de -270°C. Pour exciter notre échantillon, on utilise la lumière, et la lumière qu'on utilise provient de laser. On guide ensuite cette lumière laser, en utilisant un système de miroirs et de lentilles pour venir se focaliser en un endroit bien précis de la microstructure. En sortie du cryostat, on a également un système optique, constitué de la même manière de lentilles et de miroirs, qui viennent récupérer, collecter la lumière émise par l'échantillon, et étudier le rayonnement de Hawking, issu du trou noir analogue. Pour pouvoir observer l'effet Hawking dans nos structures, il va falloir contrôler très finement la température de la microstructure. Si le fluide de polaritons est trop chaud, les fluctuations thermiques vont potentiellement masquer les fluctuations quantiques, et nous empêcher d'observer cet effet Hawking. A l'heure actuelle au laboratoire, on travaille pour baisser le plus possible la température de l'échantillon. A l'aide de ces cryostats, on arrive à faire des températures très basses, de l'ordre de - 270°C. Et si on parvient à descendre encore un petit peu plus bas, il y a de fortes chances que l'on puisse observer ce fameux rayonnement de Hawking. Stephen Hawking s'est éteint en 2018, sans que sa grande prédiction n'ait pu être observée par des mesures astrophysiques. Mais dans les trous noirs de laboratoire, des traces de son célèbre rayonnement commencent, peu à peu, à se manifester.