Dans les laboratoires du monde entier se joue une course à l'échelle subatomique. Chez Google, chez IBM, chez Microsoft, on veut contrôler des particules quantiques comme des photons, électrons ou atomes pour en faire un ordinateur surpuissant. Le but : révolutionner les supercalculateurs notamment en ayant la capacité de craquer les codes qui protègent les échanges sur Internet au niveau mondial. En France, cinq start ups ont été sélectionnées par le gouvernement pour être financées et fournir un ordinateur quantique capable de rivaliser avec les meilleurs. Cet ordinateur quantique français est-il enfin prêt ? L'une d'elles nous a ouvert les portes de son usine à Massy, en région parisienne.
- Bienvenue dans l'usine quantique de Quandela. Ici, on va intégrer, assembler et opérer les ordinateurs quantiques photoniques, développés ici. "Photoniques", car ils utilisent le photon comme particule élémentaire. Devant vous, vous avez un ordinateur à 6 qubits, qui est aujourd'hui en ligne, qui implémente des calculs pour nos utilisateurs sur le cloud. On va avoir un laser et beaucoup d'électronique. Aussi une puce photonique qui est le processeur optique et qui va pouvoir être adapté pour implémenter tout calcul donné. 6 qubits, c'est l'état de l'art pour la stratégie photonique et c'est assez pour démontrer des cas d'usages. On montre qu'on contrôle la technologie. Évidemment, on cherche à atteindre plusieurs centaines ou milliers de qubits dans le futur. C'est ce sur quoi on travaille aussi.
De l'extérieur, cette baie a l'air assez classique, mais lorsqu'on se penche à l'intérieur, on voit des composants optiques sophistiqués. Lentilles, lasers, fibres optiques, jouent ici le rôle de circuits électroniques habituels. Mais les calculs se font avec des photons, soit les bits quantiques de Quandela. Contrairement aux bits classiques fonctionnant comme un interrupteur à 2 valeurs, 0 ou 1, les bits quantiques peuvent prendre une multitude d'états entre 0 et 1. C'est le principe de superposition quantique. Avec 6 bits classiques, un ordinateur peut créer 64 combinaisons 2 puissance 6, mais ne calcule qu'avec une seule à la fois. Avec 6 qubits, un ordinateur quantique peut directement calculer avec plusieurs combinaisons simultanément. Ce parallélisme lui permet d'explorer une multitude de solutions en un instant.
- Ces ordinateurs quantiques ont un petit nombre de qubits. Quand on en fabriquera avec des dizaines ou centaines de qubits logiques, on entrera dans un régime où on ne pourra plus reproduire ce comportement avec des ordinateurs classiques. Avec cette technologie, l'ordinateur quantique va également avoir un impact sur tous nos systèmes d'information, que ce soit la cryptologie, la cryptanalyse et le développement de nouvelles technologies dans le domaine de la chimie, dans le domaine de la pharmacie et dans d'autres plus sensibles, comme la défense.
Augmenter le nombre de qubits est donc un enjeu crucial. Dans leur laboratoire, les ingénieurs préparent déjà l'étape suivante : un calculateur à 12 qubits.
- Pour passer de 6 à 12 qubits, on va multiplier le nombre de composants et travailler sur la qualité de ces matériaux pour éviter de perdre des photons, car il est assez facile de perdre des photons. On veut avoir les matériaux les plus transparents possibles : fibres optiques, composants, puces photoniques. L'idée est d'augmenter les efficacités. Avant de les fabriquer, on va les implémenter en espace libre et tester l'architecture avec quelques photons pour ne pas les perdre.
- Problème n° 1 : la perte des photons. Donc le fait que les photons soient absorbés ou absents quand on les attend. Sachant qu'en mécanique quantique, on n'a pas le droit de cloner de l'information mais on sait faire de l'intrication sur plusieurs photons, plusieurs spins donc même si on en perd quelques-uns, ce n'est pas grave : l'information sera quand même stockée sur les particules qui restent.
L'intrication quantique est une propriété permettant à 2 particules d'être liées entre elles, quelle que soit leur distance. Théorisée pour la première fois en 1935, par Albert Einstein, il faudra attendre les années 1980 et l'expérience du physicien français Alain Aspect pour la démontrer. Il reçut pour cela le prix Nobel de physique en 2022. Chez Quandela, la production des photons intriqués se fait sur ce petit composant : un générateur de photons uniques, point de départ du calcul quantique.
- Toute la difficulté est de générer des photons un par un avec une très bonne cadence et une très bonne pureté. On a augmenté les capacités d'extraction de la lumière à travers ces matériaux pour pouvoir avoir les sources de photons les plus efficaces au monde. Beaucoup nous envient cette technologie. C'est une technologie unique dont on est très fiers qui permet d'avoir des ordinateurs quantiques de plusieurs dizaines de qubits. La fabrication des générateurs de photons se fait à quelques km de leur usine, dans les salles blanches de l'IPVF, l'Institut photovoltaïque de France.
- On construit les composants ici. Ce sont des sources de photons uniques et on construit ça avec des boîtes quantiques, des tout petits objets nanométriques. On utilise les différents états quantiques de cet atome. Quand il repasse dans l'état élémentaire, il nous renvoie un photon qu'on essaie de capturer, pour ensuite l'envoyer dans les ordinateurs quantiques photoniques que l'on construit.
- Les points qui brillent, que vous voyez à l'image, ce sont des boîtes quantiques : des îlots de matière de d'environ 40 nm. Je vais aller me centrer sur une boîte quantique, et on peut voir son spectre d'émission. C'est un spectre d'émission avec un pic très fin : la longueur d'onde est très bien définie. - On les positionne sur l'échantillon pour construire ce pilier autour des boîtes quantiques, créer cette source de photons uniques et rediriger l'émission vers le haut. Les piliers en question sont des structures micrométriques qui vont produire les photons uniques. Ils sont fabriqués sur des semiconducteurs, couche par couche, en suivant une recette précise, un secret bien gardé.
- Ouais, c'est joli, hein ? On voit l'ensemble d'une puce de quelques mm de largeur et de longueur. Ce qu'on voit aussi, ce sont plein de piliers fabriqués sur ces puces. Dans chacun de ces piliers, il y a une boîte quantique qui sert d'émetteur. Afin d'évaluer leurs performances, ils sont mesurés au microscope électronique à balayage au C2N.
- Cette machine est sous vide. L'échantillon rentre là-dedans avec un système de transfert automatisé. On voit toute la puce observée tout à l'heure au microscope optique. On zoome pour voir un pilier en détail, le détail de sa géométrie. Là, on est au plus près du qubit. Ça, c'est vraiment ce qui génère le photon unique. La boîte quantique est cachée dans le cylindre.
- T'as quand même mieux contrôlé la verticalité. Ça, c'est la nouvelle recette ? Je pense, oui. ils sont super droits. Comment font les ordinateurs de Quandela pour effectuer leurs calculs ? Pour mieux comprendre, retour à l'usine avec Nicolas Marin, pour voir l'architecture du système. Je te prends la maquette. - Ce dispositif semiconducteur va pouvoir émettre les photons uniques, les qubits photoniques, à l'intérieur de cette fibre optique, qui va ressortir du cryostat pour être manipulée sur un processeur optique et implémenter le calcul de l'utilisateur. Le processeur optique est le cœur de l'ordinateur quantique, le point où convergent tous les photons.
- Ce sont des puces basées sur du silicium. Là on va vraiment miniaturiser pour avoir l'équivalent de milliers de composants optiques, mais on a des composants actifs dessus. Donc ça va nous permettre d'implémenter, de changer la configuration de la puce et donc de changer l'algorithme implémenté dessus. C'est exactement la programmation, l'équivalent d'un processeur complètement programmable pour n'importe quel utilisateur. La puce photonique va être programmée avec des portes logiques où les photons qubits vont se propager pour faire le calcul. Le résultat est mesuré sur des détecteurs à la sortie de la puce photonique. À terme, cette architecture devra être démultipliée pour accueillir des centaines, voire des milliers de qubits. Selon le chercheur américain Peter Shor, avec des milliers de qubits parfaits, il serait possible de casser les clés de cryptographie moderne utilisées dans le chiffrement RSA et qui protègent les transmissions sur Internet des paiements bancaires ou des mots de passe. Comment ? En factorisant les deux nombres premiers composant les clés privées de décryptage. Par exemple, si 15 est la clé publique qui sert à encoder le message, 3 et 5 sont les nombres premiers qui servent à le lire. Sauf que les clés RSA sont composées de plus de 300 chiffres. Trouver les nombres premiers la composant est un calcul qui prendrait plus de 16 millions d'années avec un super ordinateur classique. Il serait résolu en quelques heures par un ordinateur quantique parfait. Nous n'en sommes pas encore là, mais Quandela obtient déjà des résultats.
- Même avec nos machines actuelles qui fonctionnent et sont dans le cloud, on a gagné le prix Airbus BMW dans le développement d'algorithmes quantiques, en montrant qu'avec une technologie quantique, on générait des images de meilleure qualité, notamment pour sécuriser l'apprentissage des véhicules autonomes, un enjeu important dans le développement des nouvelles générations de véhicules.
La course à l'ordinateur quantique est bel et bien lancée. Le programme du gouvernement vise à obtenir d'ici 2032 un ordinateur quantique à 128 qubits et 2048 qubits en 2035. Des cinq start ups actuellement en lice, deux seront retenues à la fin du programme. Rendez-vous est pris pour savoir si Quandela fera partie des heureux élus.