Les premiers trous noirs de laboratoire sont des trous noirs numériques, des simulations créées par les physiciens. Dès les années 70, les progrès de l'informatique ont permis d'explorer en profondeur, les très complexes équations de la relativité d'Einstein. Aujourd'hui plus que jamais, de nombreux systèmes
d'intérêt astrophysique sont simulés par des ordinateurs aux performances toujours plus poussées. Ces simulations apportent de nombreuses informations sur l'apparence des trous noirs et sur les traces qu'ils laissent dans l'univers. Les astronomes, scrutant le ciel, savent ainsi quels sont les bons signaux à traquer, pour pouvoir identifier un de ces ogres cosmiques.
Ca, c'est une image qui a été produite en 1979, par Jean-Pierre Luminet, astrophysicien français, et elle représente un unique trou noir, entouré de son nuage de gaz. C'est une des premières images issues de la relativité numérique, une branche de la physique, qui a pour but de simuler les équations d'Einstein plutôt que de les résoudre explicitement. J'ai travaillé au sein d'une équipe du CCRG, Center for Computational Relativity and Gravitation, qui a travaillé deux ans sur ce projet, qui consistait à simuler, non pas un trou noir, mais deux trous noirs : c'est ce qu'on appelle un trou noir binaire. Ces systèmes sont devenus assez célèbres à partir de 2016, l'année où on a détecté leurs échos lointains : les ondes gravitationnelles.
En 2015, les observatoires LIGO, deux interféromètres géants, situés aux Etats-Unis, annoncent avoir détecté, pour la première fois, des ondes gravitationnelle, une déformation de l'espace-temps, prédite par Einstein un siècle auparavant. Des calculs, issus de la relativité numérique, ont pu démontrer que ces ondes ont été émises par la collision entre deux trous noirs. Après ces résultats, la communauté scientifique s'est passionnée pour les trous noirs binaires. Les chercheurs du CCRG ont, par exemple, voulu calculer le signal lumineux émis par un tel système, ou plus précisément, le signal lumineux émis par les nuages de gaz entourant les trous noirs.
Simuler l'environnement gazeux de ces trous noirs, c'est extrêmement complexe, ça fait appel à beaucoup de phénomènes différents. Donc l'équipe avec laquelle j'ai bossé est vraiment experte là-dessus. Les simulations qu'ils ont fabriquées ont tourné, pendant deux mois, sur un des plus gros ordinateurs du monde. Donc, c'est vraiment des gros travaux, et on va dire que la partie visualisation de tout ça, qui fait appel au ray-tracing, c'est un peu la la cerise sur le gâteau. Le ray-tracing, c'est une technologie qui n'est pas propre à la relativité numérique, c'est une technologie qu'on retrouve dans des jeux vidéos, dans toutes sortes de domaines de l'animation où l'on doit produire des rendus, des effets visuels à partir, par exemple de surfaces réflectives. Donc par exemple, si on a une image d'un plan d'eau, il faut utiliser du ray-tracing pour calculer la manière dont la lumière rebondit sur l'eau.
En fait, ray-tracing ça signifie tout simplement tracer de rayon, c'est-à-dire que le principe, c'est de calculer la trajectoire de tout un tas de rayon lumineux jusqu'à ce qu'ils arrivent à la position de l'observateur, pour obtenir le rendu. Alors ici, la petite différence, c'est que bien sûr, on n'est pas obligé de prendre en compte des rebonds sur des surfaces, mais plutôt la courbure de l'espace-temps qui va influencer la trajectoire des rayons lumineux. Donc le principe est le suivant : pour chacun des pixels de l'image, on a tiré un rayon lumineux, qui va se balader dans le système, qui va être déformé, qui va potentiellement finir dans le trou noir ou ailleurs. Et une fois qu'on a calculé le trajet de la lumière de la caméra vers les trous noirs, ce qu'on fait, c'est qu'on utilise le principe de retour inverse de la lumière, c'est-à-dire qu'on sait que : si la trajectoire était ainsi dans ce sens-là, et bien, elle sera la même dans l'autre sens. On imagine que les rayons partent des trous noirs et vont vers la caméra.
Calculer la trajectoire de tous les rayons, issus du trou noir binaire, serait bien trop complexe. La technique du ray-tracing permet de simplifier considérablement les choses, en se concentrant uniquement sur les rayons qui atteignent une caméra virtuelle, située à plusieurs milliards de kilomètres du phénomène. En plus de simuler l'environnement gazeux des trous noirs, les physiciens disposent donc d'un puissant outil de visualisation, permettant de contempler l'effet spectaculaire de la gravité sur la propagation de la lumière.
Ce qui est très beau dans ce plan-là, c'est qu'on voit un phénomène de lentille gravitationnelle : on voit que lorsque le premier trou noir passe devant le second, l'image du second est déformée autour de la première. On voit ici, sur ce plan, une autre forme de déformation de la lumière, qu'on a appelée eyebrow, comme un sourcil, qui correspond à l'image de ce trou noir qui se courbe autour du trou noir qu'il y a devant. Alors, ces images sont belles et elles permettent de donner du crédit scientifique à la simulation, mais c'est pas vraiment ça qui intéresse les astronomes. Pour les astronomes, le plus important, c'est ce qu'on appelle le spectre lumineux, c'est-à-dire la décomposition de la lumière sur les différentes fréquences. Ca, ça agit un petit peu comme un code-barre pour les astronomes, puisque les différentes fréquences trahissent la composition chimique des systèmes qu'on observe. Donc là, en l'occurrence dans ces simulations, on va dire, scientifiquement l'apport le plus important, était de calculer la forme du spectre lumineux pour qu'ensuite, des astronomes qui observent le ciel, puissent détecter, grâce à ce spectre, la présence effectivement d'un trou noir binaire.
Les données spectrales, issues de ces simulations, sont donc une aide précieuse pour les astronomes qui scrutent le ciel, à la recherche de trous noirs binaires. A cette observation de signaux lumineux, s'ajoute maintenant la possibilité de détecter les ondes gravitationnelles, grâce à des appareils comme LIGO. Les scientifiques bénéficient donc de multiples outils, comme si, en plus des yeux des télescopes, ils avaient désormais des oreilles pour écouter l'univers. On parle d'astronomie multi-messager, qui ouvre une nouvelle ère dans l'histoire de l'observation du cosmos.