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Plasma dans le tokamak JET avec un plasma surimposé © EUROfusion

Une production d’énergie pratiquement illimitée, sans émission de gaz à effet de serre, grâce à des combustibles peu chers et abondants et sans générer de déchets radioactifs à vie longue : les promesses apportées par la fusion nucléaire sont incomparables. Si bien qu’elle est souvent présentée comme la réponse au défi climatique pour faire face à la future demande énergétique.

Nouveaux records

Ces espoirs placés dans la fusion nucléaire sont confortés par une série de records enregistrés depuis plusieurs années. La dernière annonce remonte à trois jours à peine :  la start-up britannique First Light, basée à Oxford, est parvenue à réaliser une opération de fusion nucléaire grâce à une approche radicalement nouvelle. Elle utilise en effet un canon à « hypervitesse », baptisé BFG (pour « Big Friendly Gun »). Son approche, validée par l’Autorité britannique de l’énergie atomique (UKAEA), serait « plus efficace sur le plan énergétique, moins risquée sur le plan physique » et offrirait, estime l’entreprise, « une voie plus simple vers l’énergie de fusion à faible coût en utilisant la technologie des installations existantes ». Elle consiste à lancer un projectile à grande vitesse (6,5 km/s) sur une petite cible de combustible afin de le faire imploser à une température et densité nécessaires à la fusion.

En février dernier, toujours au Royaume-Uni, des chercheurs du Joint European Torus (JET), un réacteur à fusion expérimental, ont révélé de leur côté avoir produit 59 mégajoules (un peu plus de 11 mégawatts) d’énergie par fusion nucléaire en 5 secondes – un niveau de puissance proche de l’échelle industrielle – et qui représente plus du double du précédent record déjà établi au JET, en 1997. Ces chiffres d’apparence modeste dissimulent un résultat que de nombreux physiciens guettaient depuis des décennies, car JET est construit sur le même modèle qu’ITER, le plus gros réacteur à fusion actuellement en cours de construction dans le sud de la France. Que cette énergie ait pu être produite de façon contrôlée avec JET est de bon augure pour ITER.

Fruit d’une collaboration internationale, ITER doit permettre de déterminer si, oui ou non, la fusion nucléaire pourra être utilisée dans la vie de tous les jours pour, par exemple, chauffer sa maison ou s’éclairer. Mais pour cela, il fallait déjà que JET, son équivalent à l’échelle réduite et simplifiée, réussisse à atteindre sa production maximale d’énergie. C’est aujourd’hui chose faite, et l’espoir de voir le gigantesque ITER fonctionner se renforce.

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Le tokamak JET vu du dessus © EUROfusion

Autre annonce récente, en Chine cette fois : en janvier dernier, le réacteur East réussissait à atteindre la température extrême de 70 millions de degrés Celsius, pratiquement cinq fois la température qui règne à l’intérieur du Soleil, pendant 17 minutes ! Pour parvenir à la fusion des atomes d’hydrogène dans un plasma – fusion génératrice de quantités colossales d’énergie –, il faut en effet porter ce plasma à des températures plusieurs fois supérieures à celles du cœur du Soleil.

Quelques mois plus tôt, enfin, les États-Unis faisaient état d’une « avancée historique » en réalisant la fusion d’atomes grâce à une technique différente de celle utilisée pour ITER.

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Des outils et composants du futur réacteur ITER dans le hall d’assemblage, janvier 2022 © ITER

Temps long

Parallèlement, start-ups et entreprises privées engagées dans l’aventure – comme First Light et son « canon BFG » – cumulent des investissements supérieurs à 4 milliards de dollars.

Alors, qu’en conclure ? S’approche-t-on d’un seuil qui, une fois franchi, conduirait naturellement l’humanité à employer cette nouvelle énergie ? Après tout, voilà plus de 70 ans que l’utilisation de la fusion nucléaire dite « contrôlée » comme source d’énergie a été théorisée. Ce n’est pourtant pas pour demain. Car afin d’atteindre le record de production d’énergie établi par JET, il a fallu… en injecter beaucoup plus dans la machine ! Et c’est le cas pour toutes les expériences de fusion nucléaire à travers le monde, y compris, celle, ce mois-ci, due à First Light : l’énergie injectée pour générer la fusion reste supérieure à l’énergie dégagée. C’est un défi technologique de taille à relever et plusieurs décennies y seront sans doute nécessaires.

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Dans la fosse du tokamak ITER, cette colonne centrale sera bientôt l’un des appuis pour la première section de la chambre à vide, mars 2022 © ITER

Ce sera un nouveau jalon. Il faudra ensuite quelques décennies d’améliorations et de déploiement des centrales électriques pour en faire un emploi commercial. Car au-delà du frémissement lié aux récents records, le temps de la fusion est le temps long, même en conjuguant les efforts d’acteurs publics, privés et du monde académique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est un peu illusoire de voir dans la fusion l’outil par excellence de lutte contre le changement climatique : la fusion arrivera tout bonnement trop tard pour contribuer à la neutralité carbone qui doit être atteinte d’ici 2050 pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.