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La grotte Mandrin, dans la Drôme © Handout/AFP Ludovic Slimak

L’Homme moderne, Homo sapiens, s’est aventuré sur le territoire européen de Neandertal bien plus tôt que rapporté jusqu’ici, comme en témoignent des fossiles et outils de la grotte Mandrin, sur le Rhône, en France, selon une étude parue dans Science mercredi.

Jusqu’ici, les découvertes archéologiques indiquaient une disparition de Neandertal du continent européen il y a environ 40 000 ans, peu après l’arrivée de son « cousin » Homo sapiens (vers -45 000 ans). Sans qu’aucun indice ne trahisse une cohabitation entre ces deux espèces humaines.

La découverte de l’équipe d’archéologues et paléo-anthropologues menée par Ludovic Slimak, chercheur CNRS à l’université de Toulouse, repousse l’arrivée d’Homo sapiens en Europe occidentale à il y a environ 54 000 ans. Autre fait remarquable, elle révèle son occupation de la grotte Mandrin en alternance avec Neandertal, là où d’ordinaire sapiens remplaçait ce dernier pour de bon.  

Sous l’abri de roche blanche situé dans la Drôme, dans le sud de la France, excavé depuis 1990, s’empilent plusieurs couches archéologiques retraçant plus de 80 000 ans d’occupation de l’endroit, « où tout est extrêmement bien préservé dans des dépôts de sable très réguliers, portés par le mistral », raconte le chercheur à l’AFP. 

Son équipe y tombe sur une énigme : une couche, baptisée « E », recèle au moins 1500 pointes de silex taillé, dont la finesse d’exécution tranche avec les pointes et lames, d’exécution plus classique, des strates supérieures et inférieures.

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Industries lithiques des couches E et de la couche D de la grotte Mandrin © Science 2022

De très petite taille, pour certaines inférieures au centimètre, ces pointes « sont normées, au millimètre près, standardisées, quelque chose qu’on ne connaît pas du tout chez Neandertal », explique Ludovic Slimak, spécialiste des sociétés néandertaliennes. Probablement des pointes de flèche, inconnues en Europe à cette époque. 

Il attribue cette production à une culture baptisée « Néronien », qui concerne plusieurs sites du couloir rhodanien. Et part en 2016 avec son équipe au musée Peabody d’Harvard aux États-Unis, pour y confronter sa découverte avec une collection de fossiles taillés du site de Ksar Akil, au pied du Mont Liban (Liban). Un des hauts lieux de l’expansion d’Homo sapiens à l’est de la Méditerranée. La similarité entre les techniques utilisées lui fait supposer que Mandrin est le premier site répertoriant Homo sapiens en Europe. Sa piste était la bonne : une dent de lait, trouvée dans la fameuse couche « E », le confirme ! 

À Mandrin, les chercheurs ont découvert neuf dents appartenant à six individus, confiées à Clément Zanolli, paléo-anthropologue du CNRS à l’université de Bordeaux. Grâce à la micro-tomographie (un scanner à très haute résolution), son verdict est sans appel : la dent de lait de la couche E « est la seule dent humaine moderne trouvée à cet endroit », explique le chercheur à l’AFP.

L’équipe a employé ensuite une technique pionnière, la fuliginochronologie, qui analyse les couches de suies imprégnant les parois d’une grotte, traces d’anciens foyers. L’étude des fragments de parois, « tombés directement dans les couches, montrent qu’Homo sapiens est revenu une fois par an dans la cavité, sur 40 ans », dit M. Slimak. 

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Neuf éléments dentaires conservés dans différentes couches archéologiques, y compris la couche « E ». LLdm2, deuxième molaire inférieure gauche de lait ; LLM1, première molaire inférieure gauche permanente ; LRM3, troisième molaire inférieure droite permanente ; URdm2, deuxième molaire supérieure droite de lait ; b, buccal ; d, distal ; l, lingual ; m, mésial ; o, occlusal © Science 2022

Homo sapiens est venu dans cette grotte un an seulement après le passage de Neandertal au même endroit. Quand Sapiens la quitte définitivement, Neandertal y revient, mais bien plus tard (environ un millier d’années).

« À un moment donné les deux populations ont co-existé soit dans la grotte soit sur le même territoire », conclut le chercheur… qui imagine que Neandertal a pu servir de guide à Sapiens pour le mener aux meilleures sources de silex disponibles, situées pour certaines jusqu’à 90 kilomètres de là… « En ethnographie, la question de prendre des guides en territoire inconnu est universelle », remarque-t-il.       

Au final, « l’apparition des humains modernes et la disparition de Neandertal sont beaucoup plus complexes » qu’imaginé jusqu’ici, remarque le professeur Chris Stringer, co-signataire de l’étude et spécialiste de l’évolution humaine au Muséum d’histoire naturelle à Londres. La compréhension de leur chevauchement est indispensable pour expliquer « pourquoi nous sommes la seule espèce humaine restante », ajoute-t-il, dans un communiqué.

Ce chevauchement, évident à Mandrin, fait désormais du Rhône un « grand couloir de migration » permettant à Homo sapiens« de rejoindre l’espace méditerranéen et l’espace continental européen », selon Ludovic Slimak, avant de promettre de nouvelles découvertes dans la grotte Mandrin.