Image légendée
Messe à la mémoire de la doyenne de l’humanité, Jeanne Calment, le 7 août 1997 à Arles, au lendemain de son inhumation © AFP/Archives Georges Gobet

La controverse sur le record de longévité de Jeanne Calment, officiellement décédée à l’âge de 122 ans en 1997, a doublement rebondi lundi 16 septembre : une équipe franco-suisse de spécialistes a publié une nouvelle étude pour réfuter l’hypothèse d’une supercherie avancée par des chercheurs russes, mais ces derniers ont immédiatement maintenu leur version.

L’idée que la Française, devenue mondialement célèbre à la fin du 20e siècle en raison de son âge extraordinaire, n’était pas Jeanne mais sa fille unique Yvonne Calment (qui se serait substituée à elle en 1934), est « sans fondement », affirment les auteurs de cette étude, basée sur de nouveaux documents et des modèles mathématiques, publiée lundi dans le Journal of Gerontology.

Selon le démographe Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l’Inserm et à l’École pratique des hautes études, et le Dr François Herrmann, gériatre aux Hôpitaux universitaires de Genève et spécialiste de l’épidémiologie des personnes âgées, il s’agit d’une « théorie du complot ».

Les tenants russes de la supercherie ont cependant maintenu leur version, déclarant qu’ils allaient rapidement répondre « point par point » à la publication franco-suisse – co-signée avec le Dr Michel Allard, spécialiste des centenaires, et l’épidémiologiste Bernard Jeune – afin de prouver qu’elle « n’est pas sérieuse » et comporte de nombreuses « lacunes et erreurs ».

Fin 2018, le gérontologue Valeri Novosselov et le mathématicien Nikolaï Zak avaient créé la surprise en affirmant que la vieille dame décédée en 1997 était en fait Yvonne Calment, la fille de Jeanne, morte selon eux à « seulement » 99 ans, et qui aurait vécu 63 ans sous l’identité de sa mère afin d’éviter de payer des droits de succession. Lundi, M. Novosselov a affirmé que les chercheurs français et suisse « induisent en erreur la communauté scientifique mondiale et le monde entier afin de ne pas désavouer leur travail précédent ». Ils « ignorent des faits qui ne les arrangent pas », comme le fait que « trois symptômes cliniques de l’état physique » de la vieille dame « n’ont été visibles que 20 ou 25 ans après la date où ils auraient dû apparaître ».

Les auteurs de l’étude publiée lundi, de leur côté, ont exhumé plusieurs documents pour infirmer la théorie russe, dont un article paru dans la presse locale en 1934 à Arles – où vivait Jeanne Calment – attestant qu’une « foule particulièrement nombreuse » avait assisté aux obsèques de sa fille Yvonne, décédée à l’âge de 36 ans.

Une chance sur dix millions

Difficile d’imaginer que ces nombreux témoins n’aient rien remarqué, « à moins d’accepter l’idée de la complicité de dizaines de personnes » dans cette fraude à l’identité, soulignent les chercheurs. Ils ont également retrouvé des documents attestant qu’Yvonne était malade depuis plusieurs années, mais aucun accréditant l’idée que Jeanne aurait été malade avant 1934.

En outre, un acte notarié datant de 1926 montre que Nicolas Calment, le père de Jeanne, avait légué tous ses biens à ses enfants avant son décès, ce qui met à mal la thèse des chercheurs russes selon laquelle Yvonne aurait voulu éviter de payer deux fois des droits de succession.

« Tous les documents trouvés vont à l’encontre de la thèse russe », a dit Jean-Marie Robine qui avait lui-même rencontré plusieurs fois la doyenne de l’humanité et explique son record de longévité par « un mélange de bon patrimoine génétique et de chance ».

L’étude s’attaque également à un autre argument des chercheurs russes, qui estimaient statistiquement impossible qu’un être humain pût vivre 122 ans. En étudiant la longévité de toutes les personnes nées en France en 1875 et en 1903, les chercheurs ont calculé qu’un centenaire avait une chance sur 10 millions d’atteindre 122 ans.

« Une probabilité certes mince, mais qui est loin de faire de Mme Calment une impossibilité statistique, selon les auteurs : Considérant que l’humanité a accumulé au moins 8 à 10 millions de centenaires depuis les années 1700, l’existence d’une personne de 122 ans autour de la fin des années 1900 est quelque chose de plausible ». D’ailleurs, étant donné que la planète pourrait abriter 25 millions de centenaires en 2100, « la découverte d’une autre personne âgée de 122 ans (et même probablement un peu plus âgée) apparaît aussi comme quelque chose de raisonnable dans les années à venir », selon eux.