Image légendée
Un employé de l’entreprise chimique Covestro vérifie la présence de dioxyde de carbone dans un réservoir de l’usine de Dormagen, dans l’ouest de l’Allemagne, le 11 février 2020 © AFP/Archives Ina Fassbender

Parmi les cheminées d’un des plus grands complexes chimiques d’Europe, une unité expérimentale du groupe allemand Covestro teste la fabrication d’un produit à partir de plantes au lieu du pétrole, pour un débouché industriel lointain.

La technologie, éprouvée en laboratoire, est passée fin 2023 au stade des essais de production. Une éventuelle application commerciale n’est pas attendue avant de nombreuses années, illustrant les multiples obstacles vers une chimie « biosourcée » dans laquelle les matériaux fossiles sont partiellement ou complètement remplacés par des ressources issues de la biomasse, limitant l’empreinte environnementale.

Sur le vaste site du fabricant de plastique Covestro à Leverkusen, une pièce d’une centaine de m2 est réservée à cette expérimentation : quelque 600 mètres de tuyaux s’y entrelacent, d’où est extrait un fluide transparent, l’aniline, qui entre dans la production du MDI, produit intermédiaire vendu dans le monde entier. Il sert à fabriquer des mousses polyuréthanes pour des matelas ou fauteuils rembourrés, tout comme l’isolation de bâtiments et de réfrigérateurs. Ce composant est obtenu à partir de dérivés du pétrole brut – naphta et benzène – en dégageant beaucoup de CO2.

Image légendée
Un employé de l’entreprise chimique Covestro à l’usine de Dormagen, dans l’ouest de l’Allemagne, le 11 février 2020 © AFP/Archives Ina Fassbender

La chimie mondiale qui « absorbe un quart des quelque 100 millions de barils de pétrole produits par jour » doit « être complètement reconstruite » face au réchauffement climatique, souligne le professeur Walter Leitner, de l’université d’Aix-la-Chapelle, partenaire depuis 10 ans du projet d’aniline biologique.

Environ 6 millions de tonnes d’aniline sont produites par an dans le monde, avec une croissance annuelle attendue d’environ 3 à 5%. Covestro, une ancienne division du géant Bayer, en fabrique un million de tonnes dans ses usines du monde entier. Son unité pilote extrait seulement une demie-tonne d’aniline biosourcée par jour à partir d’un procédé de fermentation de sucre industriel basé sur des plantes et mis au point par des chercheurs de l’université de Stuttgart. Une catalyse chimique produit sur place le précieux liquide. Covestro veut aussi essayer de travailler avec des glucides obtenus à partir de lignocellulose, présente dans le bois et la paille, et de maïs. 

Des experts émettent toutefois quelques réserves. L’emploi de la biomasse dans le cycle de fabrication fait économiser des combustibles fossiles mais sa neutralité carbone « est souvent discutable », notamment pour « la biomasse dite cultivée, comme le maïs, la canne à sucre et la betterave sucrière », déclare à l’AFP Jens Günther, de l’Agence fédérale de l’environnement. 

Image légendée
Un employé de l’entreprise chimique Covestro travaille dans un laboratoire au siège de l’entreprise, à Leverkusen, dans l’ouest de l’Allemagne, le 11 février 2020 © AFP/Archives Ina Fassbender

L’agriculture intensive comme base de produits chimiques génère « des émissions de CO2 et de méthane via la conversion des terres, la production d’engrais et de pesticides, sans parler des pertes de biodiversité très importantes et d’une consommation d’eau élevée », ajoute Janine Korduan, experte à l’ONG environnementale Bund. Pour cette raison, « l’utilisation de résidus et de déchets serait préférable à celle de la biomasse cultivée », selon M. Günther. C’est la voie qu’a choisie un autre industriel allemand, le chimiste BASF, qui teste de son côté des déchets organiques, de produits agricoles et d’huiles végétales comme base à des produits chimiques intermédiaires. Dans tous les cas, les défis à surmonter restent nombreux et vont de la disponibilité des ressources en biomasse végétale, prioritaires pour l’alimentation, jusqu’aux coûts de production par rapport aux voies issues du pétrole.

La chimie allemande, qui représente 5% du PIB national, peine déjà à sortir d’une grave crise après avoir longtemps profité du gaz russe bon marché, dont l’invasion de l’Ukraine la prive désormais. Le secteur est menacé de délocalisations massives si sa compétitivité ne s’améliore pas, préviennent les professionnels.

Les prix de l’énergie dans le pays sont aujourd’hui « trois à quatre fois plus élevés qu’aux États-Unis » et des obstacles administratifs ralentissent les processus d’approbation, souligne Thorsten Dreier, membre du directoire de Covestro, en charge de la technologie. L’industrialisation du procédé à partir de plantes, soutenu par des fonds publics, ne sera lancée que si cela permet de « réaliser d’importantes économies de CO2 » au long de la fabrication et de « gagner de l’argent, afin de financer la recherche ici », prévient M. Dreier.