La future source de neutrons la plus puissante au monde en construction en Suède
Publié le - par LeBlob.fr, avec l’AFP
Il n’entrera en service qu’en 2028, mais le projet européen ESS (European Spalliation Source) en construction en Suède promet de sonder les matériaux avec une précision inégalée, grâce à la source de neutrons la plus puissante au monde. Ses expériences permettront de caractériser les propriétés de nouveaux matériaux indispensables aux avancées dans les domaines de l’énergie, la santé, les transports, les technologies de l’information, etc...
Posée au milieu des champs près de Lund, dans le sud de la Suède, l’installation sortie de terre en 2014 est le fruit d’un consortium de treize pays européens avec la Suède et le Danemark comme hôtes. Abrité dans un long tunnel déjà recouvert d’herbe, un faisceau de protons - la particule commune à tous les noyaux d’atomes - y sera accéléré sur plus de 600 mètres pour atteindre une vitesse très proche de celle de la lumière.
Des techniciens s’affairent chaque jour pour monter l’accélérateur linéaire dans un enchevêtrement de câbles et tuyauteries. Cette succession de machines maintient, avec de puissants aimants, et accélère, avec des champs électriques, le faisceau large comme un petit ongle. Au bout du tunnel, il percutera alors une cible rotative de tungstène, déjà installée dans une enceinte blindée par un empilement de 1700 tonnes de fonte. Ce véritable bombardement va projeter des gerbes de neutrons (l’autre particule présente dans les noyaux d’atomes) qui seront guidées vers les différentes expériences, disposées en couronne autour de la cible.
Les premières expériences, abritées dans des « cages » de béton, sont en cours d’installation par des ingénieurs des plus de 50 laboratoires et instituts de recherche européens participant à l’ESS.
La recherche avec la neutronique (une branche de la physique nucléaire) doit aider aussi bien à lutter contre les maladies, en explorant les protéines de virus comme le VIH, qu’à sécuriser la transition énergétique, en développant de nouvelles batteries, explique le professeur Helmut Schober, directeur de l’ESS, lors d’une visite de presse. Si l’installation permettra de faire de la recherche fondamentale, ses instruments de détection « ont été choisis pour aller dans la voie d’une physique très appliquée », dit-il. Afin par exemple de développer des panneaux photovoltaïques plus efficaces, tester les métaux utilisés dans les turbines d’avion, ou encore les renforts latéraux pour pneus de voiture. Mais aussi explorer le monde quantique pour l’informatique de demain.
Composant de l’atome, le neutron a pour atout d’être une particule neutre électriquement et sensible au magnétisme, capable de sonder sans la détruire la matière qu’il traverse, en renseignant ainsi sur l’organisation de sa structure comme de son mouvement. À une échelle de longueur aussi faible que le dixième de milliardième de mètre, et de temps aussi brève qu’un millionième de milliardième de seconde.
Atteindre ces performances suppose l’utilisation de matériaux extrêmement purs, usinés au micromètre près pour obtenir des instruments uniques assemblés dans des conditions de propreté extrême. Comme dans la salle blanche du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Saclay (Essonne) où l’on traque, avec l’aide d’un robot collaboratif, tout intrus d’une taille supérieure à 0,3 millionième de mètre. Car une fois soumise aux champs électriques intenses de l’accélérateur, « la moindre poussière peut se transformer en "antenne" polluant la cavité accélérant le faisceau », explique Catherine Madec, responsable pour le CEA de la fourniture de trente cryomodules qui contribueront à accélérer le faisceau de protons de l’ESS.
Ces machines nécessitent de grandes quantités de courant électrique et des champs magnétiques intenses, délivrés avec précision dans des éléments supraconducteurs exigeant un refroidissement à moins 271 degrés Celsius.
Via le CEA et le CNRS, la France est le premier contributeur au projet, à hauteur de 8,5% d’un budget initial de 1,87 milliard d’euros et qui atteindra 3,7 milliards au total. Avec un apport « en nature » de machines sur 70% de la longueur de l’accélérateur, et cinq des quinze premiers instruments qui serviront à étudier matière et matériaux. Mais aussi une contribution essentielle au système de commande et contrôle de ce qui sera un « microscope géant avec un impact direct sur nos vies », selon Ciprian Plostinar, responsable à l’ESS de la partie accélérateur du projet.
Son cycle de vie est de 40 ans : l’ESS, conçu pour être « modernisé en permanence », atteindra sa pleine puissance en 2035, en accueillant jusqu’à 22 expériences. L’enjeu sera qu’alors « les chercheurs et industriels du monde entier puissent venir jouer leur instrument dans cet orchestre », explique le Pr. Schober.