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Deux randonneurs parcourent la forêt de Massane le 30 juillet 2021 © AFP/Archives Raymond Roig

Le hêtre préfère habituellement l’humidité et les températures fraîches. Il s’est pourtant fait une place au soleil dans la forêt de la Massane (Pyrénées-Orientales), qui surplombe la Méditerranée, et jouit depuis quelques jours d’une nouvelle notoriété grâce à son classement au patrimoine mondial de l’Unesco. 

Jusqu’à la fin du 19e siècle, la zone était exploitée pour le charbon de bois destinées aux forges catalanes. Les coupes ont été suspendues vers 1885 pour laisser cette forêt en libre évolution. Les arbres échappent à toute intervention humaine depuis plus de 150 ans, voire 300 ans pour les plus anciens. « Le principe de ne plus exploiter la forêt va nous permettre d’observer la dynamique d’évolution de l’écosystème de la forêt, comment elle va se débrouiller seule face aux éléments », explique Diane Sorel, chargée de mission à la réserve naturelle de la Massane depuis sept ans.

La hêtraie se situe dans la réserve naturelle de la forêt de la Massane, créée en 1973, perchée sur les hauteurs d’Argelès-sur-Mer. Elle domine les chênes méditerranéens et s’étend jusqu’à la crête du massif des Albères, à la frontière espagnole.

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Le tronc d’un arbre déraciné dans la forêt de Massane, le 30 juillet 2021 © AFP/Archives Raymond Roig

Cette forêt se trouve à la limite de ce que le hêtre tolère en termes de précipitations et de température. « On voit bien que le climat va évoluer dans des conditions encore plus drastiques pour la forêt. La hêtraie de la Massane est un avant-poste du changement climatique et de ce que les autres hêtraies d’Europe risquent de devoir subir également du fait du changement de climat imposé par l’Homme », souligne Elodie Magnanou, ingénieure de recherche au CNRS et gestionnaire de la réserve naturelle. 

La réserve est d’ailleurs considérée comme un laboratoire à ciel ouvert par la communauté scientifique. « On remarque un fort impact des périodes de canicule et de sécheresse, mais on observe également des signes porteurs d’espoir, comme une bonne régénération dans le sous-bois forestier », détaille la chercheuse. 

Sur le chemin qui mène à la Tour de la Massane, à 800 mètres d’altitude face à la mer, Diane Sorel interpelle à plusieurs reprises des randonneurs pour qu’ils restent sur le sentier balisé. « La visite est encouragée mais pas promue. Il faudra être vigilant avec ce classement à l’Unesco », explique-t-elle, ajoutant que ce qui a sauvé le site préservé est son côté « un peu inaccessible ». 

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La forêt de Massane (Pyrénées-Orientales), le 30 juillet 2021 une zone de réserve qui vient d’être classée au patrimoine mondial de l’Unesco © AFP/Archives Raymond Roig

Après une demi-heure de marche jusqu’à la crête, sous le soleil de la Méditerranée, un climat de fraîcheur prend le dessus à l’orée de la hêtraie grâce aux arbres de 30 mètres de haut. Des centaines de souches, branches et troncs d’arbres morts parsèment le sol, de jeunes arbres verts commencent à pousser à partir du bois mort. « Ce bois mort va aussi servir de ressource alimentaire pour plein d’espèces. Sur certains hêtres on va trouver des cavités qui constitueront des habitats pour toute une faune, que ce soit des oiseaux, des petits mammifères ou même d’autres insectes », précise-t-elle près d’un hêtre mort après la récente vague de chaleur.

La réserve présente une grande biodiversité, avec quelque 8200 espèces, comme la Rosalie alpine, un petit coléoptère bleu aux longues antennes, qui vit sur l’écorce des hêtres. « On pourrait craindre du bois mort qu’il favorise les incendies, or c’est pas le cas : il permet de maintenir de l’humidité et de la fraîcheur au niveau du sol. C’est quelque chose de très important en contexte méditerranéen », note-t-elle. 

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L’entrée de la forêt de Massane (Pyrénées-orientales), le 30 juillet 2021 qui vient d’être classée au patrimoine mondial de l’Unesco © AFP/Archives Raymond Roig

L’Unesco a ajouté la hêtraie de la Massane à la liste des « forêts primaires et anciennes de hêtres des Carpates et d’autres régions d’Europe » le 28 juillet, avec celles des réserves du Grand-Ventron (massif des Vosges) et du Chapitre (Hautes-Alpes). « C’est une très belle reconnaissance du travail accompli sur ce site et une invitation à poursuivre cet effort à la fois de connaissance de la biodiversité et puis aussi du fonctionnement de cet écosystème forestier relativement rare aujourd’hui en Europe », soutient Diane Sorel. 

Les gestionnaires de la réserve regrettent que seulement 0,25 % de la surface forestière française soit laissée volontairement en libre évolution par les pouvoirs publics. Il n’y a pas d’objectif national contrairement à l’Allemagne ou la Suisse qui visent 5 % de forêts en libre évolution.