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L'Akademik Lomonossov, centrale nucléaire flottante, est remorqué en direction du port de Mourmansk (nord de la Russie), le 19 mai 2018 © AFP/Archives Alexander NEMENOV

De Mourmansk vers l’Extrême-Orient, la première centrale nucléaire flottante du monde entame vendredi un voyage de 5 000 kilomètres dans l’Arctique, malgré les craintes des défenseurs de l’environnement concernant les conséquences pour cette région très fragile.

Destiné à alimenter le développement de la production d’hydrocarbures dans des zones excessivement isolées, l’Akademik Lomonossov doit quitter Mourmansk, port du Grand Nord russe où il a été chargé en combustible nucléaire, en direction de Pevek, petite ville de Sibérie orientale, dans le district autonome de Tchoukotka. Le voyage devrait durer entre quatre et six semaines, en fonction de la météo et de la quantité de glace sur la route, bien que le Passage du Nord-Est – qui permet de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Russie – est de plus en plus accessible avec la fonte des glaces provoquée par le réchauffement climatique.

Bloc de 21 000 tonnes dépourvu de moteur, l’Akademik Lomonossov sera tracté par plusieurs navires pour son voyage. La centrale comporte deux réacteurs d’une capacité de 35 MW chacun, proches de ceux des brise-glace nucléaires, contre plus de 1 000 MW pour un réacteur d’une centrale classique de nouvelle génération. En mai 2018, la barge de 144 mètres de long et 30 de large, qui embarque un équipage de 69 personnes à une vitesse moyenne de 3,5 à 4,5 nœuds (6,5 à 8,3 km/h), arborait encore des couleurs marron et jaune très défraîchies. Désormais repeint aux couleurs de la Russie et de Rosatom, l’agence nucléaire russe, l’Akademik Lomonossov ne passera pas inaperçu à Pevek, où il sera raccordé au réseau électrique local et devrait être opérationnel d’ici la fin de l’année.

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L'Akademik Lomonossov, centrale nucléaire flottante, est remorqué en direction du port de Mourmansk (nord de la Russie), le 19 mai 2018 © AFP/Archives Alexander NEMENOV

Bien que la population de cette petite ville ne dépasse pas 5 000 habitants, la centrale couvre la consommation de 100 000 personnes et servira surtout pour alimenter les plateformes pétrolières de la région, alors que la Russie développe l’exploitation des hydrocarbures dans l’Arctique. L’Akademik Lomonossov, dont la construction avait commencé en 2006 à Saint-Pétersbourg avant d’être amené à Mourmansk l’an passé, remplacera une centrale nucléaire, bien terrestre celle-ci, et une centrale de charbon obsolètes.

« Titanic nucléaire »

Les associations environnementales dénoncent ce projet depuis des années et leurs mises en garde des dangers d’un « Tchernobyl sur glace » ou d’un « Titanic nucléaire » prend un accent particulier, alors qu’une explosion en août sur une base d’essais de missiles dans le Grand Nord a fait brièvement bondir la radioactivité dans la zone. « Toute centrale nucléaire produit des déchets radioactifs et peut avoir un accident, mais l’Akademik Lomonossov est en plus vulnérable aux tempêtes », estime Rachid Alimov, du département de l’énergie de Greenpeace Russie. D’autant que dans l’Arctique, la météo est extrême et imprévisible.

« La barge est tractée par d’autres navires donc en cas de grosse tempête, il peut y avoir des collisions. Rosatom prévoit de stocker le combustible usé à bord (…), tout incident aurait de graves conséquences sur l’environnement fragile de l’Arctique, sans oublier qu’il n’y a pas d’infrastructures de nettoyage nucléaire là-bas », ajoute Rachid Alimov. Selon lui, le district de Tchoukotka, gigantesque région plus grande que la France, mais peuplée de seulement 50 000 habitants, « a un énorme potentiel pour le développement d’énergie éolienne et une centrale nucléaire flottante est tout simplement un moyen trop risqué et trop coûteux de produire de l’électricité ».

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Des ouvriers s'affairent sur l'Akademik Lomonossov, centrale nucléraire flottante remorquée en direction de Mourmansk (nord de la Russie), le 19 mai 2018 © AFP/Archives Alexander NEMENOV

L’idée d’une centrale nucléaire flottante, si elle peut sembler dangereuse, ne sort pourtant pas de nulle part. L’industrie nucléaire, qui cherche à se réinventer face à la morosité du marché, développe actuellement des petits réacteurs, modulaires et moins chers, pour séduire de nouveaux clients. Ils s’inspirent de la construction navale, qui utilise le nucléaire depuis longtemps pour propulser sous-marins, brise-glaces ou porte-avions, et sont destinés notamment aux régions isolées disposant de peu d’infrastructures. Une solution plus simple que de construire une centrale classique sur un sol gelé toute l’année, selon Rosatom, qui compte vendre sa centrale flottante à l’étranger.