Les mégafeux australiens au cœur d’un tour de passe-passe
Publié le - par Veronique Marsollier
L’Australie connaît des feux de brousse presque chaque été. Mais ceux qui ont éclaté dans le sud-est de l’Australie fin 2019 et début 2020 ont libéré plus de 700 millions de tonnes de dioxyde de carbone dans l’air, selon une nouvelle analyse publiée le mercredi 15 septembre dans la revue Nature par des chercheurs néerlandais. Une quantité énorme remettant en cause une estimation précédente. Par ailleurs une autre étude, également publiée dans Nature ce mercredi par une équipe internationale, rapporte un événement connexe surprenant : une grande partie de ce panache de carbone pourrait avoir été indirectement aspirée par une gigantesque prolifération de phytoplanctons dans l’océan Austral. Ces résultats mettent en évidence les liens complexes entre les incendies de forêt, les écosystèmes et le climat.
Au cours de la saison estivale 2019-2020, environ 74 000 km2 – une superficie à peu près équivalente à 2,5 fois la superficie de la Belgique – ont brûlé dans les forêts d’eucalyptus ou de gomme dans des régions côtières de Victoria et de la Nouvelle-Galles-du-Sud, en Australie. Ces feux de forêt ou de brousse extrêmement importants en termes d’intensité et d’ampleur ont libéré de grandes quantités de CO2, puissant gaz à effet de serre, dans l’atmosphère. Les estimations d’émissions concernant ces feux restaient jusqu’à présent incertaines.
Une quantité de CO2 largement sous-estimée
Les estimations antérieures faites à partir des bases de données mondiales sur les émissions d’incendies de forêt suggéraient que les incendies avaient libéré environ 275 millions de tonnes de dioxyde de carbone, entre novembre 2019 et janvier 2020. « Mais la nouvelle analyse montre que ce chiffre était largement sous-estimé », déclare Ivar Van der Velde, auteur principal du premier article, à la revue Nature.
Ce sont 715 millions de tonnes de dioxyde de carbone qui ont été libérés dans l’air, soit plus du double des émissions précédemment estimées, annoncent les chercheurs. Un volume considérable, qui pourrait amener les scientifiques à revoir l’impact sur le climat mondial de ces incendies extrêmes qui ont fait rage, non seulement en Australie, mais aussi dans l’ouest des États-Unis et en Sibérie.
Pour obtenir cette nouvelle estimation plus fiable, Ivar Van der Velde, spécialiste de l’environnement à l’Institut néerlandais de recherche spatiale SRON, à Utrecht, et à l’Université libre d’Amsterdam ainsi que son équipe ont mis à contribution un instrument de surveillance de la troposphère – la couche la plus basse de notre atmosphère – TROPOMI installé sur le satellite Sentinel-5 Precursor de l’Agence spatiale européenne. TROPOMI est capable de prendre des instantanés quotidiens des niveaux de monoxyde de carbone dans la colonne atmosphérique. Les chercheurs ont ainsi pu obtenir les émissions de carbone induites par les feux australiens à partir des mesures satellitaires haute résolution sur la concentration de monoxyde de carbone dans l’atmosphère.
Mieux comprendre la charge atmosphérique en CO2 causés par ces incendies, et ce qu’ils causeront à l’avenir est essentiel pour construire de futurs scénarios du bilan mondial du carbone, soulignent les auteurs de l’étude.
Car ces forêts-puits de carbone vont-elles pouvoir se reconstituer ? Certes, les incendies de forêt ont longtemps été considérés comme des événements à « zéro carbone net », car les émissions qu’ils libèrent sont récupérées lorsque la végétation repousse, explique Cristina Santín, chercheuse sur les feux de forêt au Conseil national espagnol de la recherche dans les Asturies et interrogée par Nature. Mais une augmentation de la fréquence et de l’intensité des incendies en Australie pourrait signifier que les écosystèmes ne rebondissent jamais complètement. Si ces incendies « menacent la récupération de l’écosystème, alors nous devons vraiment nous inquiéter », insiste-t-elle.
Rien ne se perd, tout se transforme !
Le deuxième article, également publié mercredi 15 septembre dans Nature, pourrait cependant donner aux chercheurs des raisons d’espérer. Il suggère que les émissions générées par la crise des feux de brousse ont été presque compensées par les gigantesques efflorescences phytoplanctoniques de couleur verte dans l’océan Austral, enregistrées au cours de l’été, de décembre 2019 à mars 2020.
En effet, l’équipe internationale de chercheurs découvre que de vastes panaches de fumée noire provenant des incendies, riches en nutriments, ont été balayés à des milliers de kilomètres au-dessus de l’océan. Les incendies de brousse en plus des émissions de carbone libèrent aussi des aérosols tels que l’azote, le fer ou du phosphore. Les trajectoires atmosphériques montrent que ces aérosols fertilisants étaient susceptibles d’être transportés vers les régions d’efflorescence de plancton. En quelques jours, expliquent les chercheurs ces aérosols ont infusé les eaux en particulier en fer, nécessaire à la photosynthèse, comme l’atteste les échantillons prélevés – et dont l’apport est pauvre dans l’océan austral – nourrissant ainsi le phytoplancton et provoquant d’immenses efflorescences (blooms). Ceux-ci, suggèrent les chercheurs, auraient absorbé jusqu’à 95 % d’équivalent carbone provenant des émissions des incendies.
Les résultats obtenus à partir essentiellement d’observations aériennes, d’analyse des aérosols de l’atmosphère issus du programme européen Copernicus, d’observation de données satellitaires (MODIS) et biogéochimiques autonomes du réseau Argo démontrent comment les incendies de forêt peuvent influencer directement les processus océaniques, explique le co-auteur de l’étude Richard Matear, un climatologue de l’Organisation de recherche scientifique et industrielle du Commonwealth du gouvernement australien : « Les systèmes sont connectés ».
Si, pour l’heure, les résultats de ces deux études mettent en exergue l’influence déterminante de ces incendies dévastateurs sur les niveaux de CO2 dans l’atmosphère et les écosystèmes océaniques. Les chercheurs sont loin d’avoir compris tout le processus estiment–ils. Où va le carbone absorbé par le plancton ? Retourne-t-il dans l’atmosphère, quelle proportion risque d’être stockée au fond des océans, ou ingérée par la faune ? Toutes ces questions cruciales restent encore sans réponse.