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Vue d'artiste d'une scène d'embaumement sur le site de Saqqarah en Egypte il y a plus de 2.500 ans © Ludwig Maximilian University of Munich/AFP Nikola Nevenov

Résines d'Asie, huiles de cèdre du Liban, bitume de la mer Morte : une étude dévoile mercredi les ingrédients utilisés par les anciens Égyptiens pour leurs momies, et dont la fourniture a influencé le commerce en Méditerranée et jusqu'en Asie.

« Nous connaissions le nom des produits d'embaumement depuis le déchiffrage des anciens écrits égyptiens », a expliqué l'égyptologue Susanne Beck, dans un communiqué de l'Université allemande de Tübingen, « mais jusqu'à aujourd'hui nous ne pouvions que deviner les substances derrière ces noms ».

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Poteries contenant les préparations nécessaires à l'embaumement sur le site de Saqqarah, au sud du Caire, dans une photo fournie par l'archéologue Susanne Beck © University of Tubingen/Saqqara saite tombs project/AFP M.Abdelghaffar

La découverte est exceptionnelle car des inscriptions sur les pots fournissent des instructions pour l'emploi des préparations. « Pour laver », avec un mélange d'huiles ou goudrons de conifères. « Pour rendre son odeur agréable », avec de la graisse de ruminant et de la résine d'arbuste. Ou encore pour le « traitement de la tête », la partie du corps faisant l'objet du plus grand soin, avec pas moins de trois concoctions.

Les analyses, menées par Maxime Rageot, archéologue à l'Université de Tübingen et premier auteur de l'étude parue dans Nature, révèlent « l'utilisation de substances ayant toutes des propriétés biologiques utiles à la préservation des tissus humains et à la réduction des mauvaises odeurs », a-t-il expliqué dans un point de presse. 

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Vue d'artiste d'une scène d'embaumement d'un mort sur le site égyptien de Saqqarah, au sud du Caire © Ludwig Maximilian University of Munich/AFP Nikola Nevenov

« Moteur de la globalisation »

Ces analyses corrigent aussi des croyances sur certaines substances, les égyptologues n'ayant disposé pendant longtemps que d'antiques sources écrites - papyrus égyptiens et auteurs grecs - et d'analyses de momies. A l'instar de ce que les anciens Égyptiens appelaient l'antiu, longtemps assimilé à de la myrrhe, une gomme aromatique. Il s'agit en fait d'un mélange d'huile de cèdre, de cyprès et de graisse animale.

Avec une pratique de l'embaumement remontant aux temps préhistoriques, et qui s'est complexifiée environ mille ans avant notre ère, les anciens Égyptiens « avaient accumulé une connaissance énorme » dans la préservation des corps, a précisé Philipp Stockhammer, professeur d'archéologie à l'Institut allemand Max Planck d'archéoanthropologie. Ils avaient selon lui une connaissance aiguë des propriétés de leurs produits et de leurs associations. Afin par exemple, une fois le corps séché avec des sels de natron, d'empêcher sa colonisation immédiate par des microbes qui auraient dévoré la peau. Les fouilles menées par son collègue aujourd'hui disparu Ramadan Hussein, dans la nécropole de Saqqarah au sud du Caire, ont mis au jour en 2016 une collection exceptionnelle de poteries utilisées dans une chambre funéraire. A Saqqarah, cette chambre funéraire appelée « wabet »se trouve au fond d'un puits, à 13 mètres de profondeur. Après l'éviscération du défunt et le retrait de son cerveau, les embaumeurs, accompagnés de prêtres dédiés, y lavaient le corps et le préparaient pour éviter la décomposition empêchant selon leurs croyances toute vie ultérieure. Après un traitement pouvant durer jusqu'à 70 jours, certaines des momies ont transité vers un deuxième puits, profond de 30 mètres, pour entamer leur voyage vers l'au-delà. L'équipe de chercheurs des Universités de Tübingen et Munich, aidée par le Centre national de recherche du Caire, a analysé avec des instruments de pointe les résidus dans 31 récipients du « wabet », datés de la 26e dynastie, il y a plus de 2.500 ans, et a pu les comparer à ceux identifiés dans des récipients trouvés dans les tombes adjacentes.

Une des plus grandes surprises des chercheurs a été d'identifier des résines, comme l'élémi ou le dammar, venant de forêts tropicales d'Asie du sud-est et peut-être aussi d'Afrique. S'y ajoutent des résines de pistachiers et huiles d'olive de l'arc méditerranéen, ce qui « montre que l'embaumement a été un moteur de la globalisation », selon le Pr Stockhammer. La diversité des substances identifiées à Saqqarah montre que les embaumeurs « étaient très intéressés par l'expérimentation et l'obtention d'autres huiles et résines », selon lui. Ils ont mis à profit une route commerciale avec l'Asie et l'Asie du sud-est, qui existait déjà mille ans avant notre ère et qui reliait l'actuelle Indonésie à l'Egypte via l'Inde, puis le Golfe persique et la mer Rouge. Reste à découvrir les propriétés exactes des substances que les embaumeurs utilisaient pour conserver leurs morts, si ce n'est pour leur garantir la vie éternelle.