SARS-CoV-2 : sur la piste des trafiquants d’animaux sauvages
Publié le - par Barbara Vignaux
La quête de l’hôte intermédiaire du coronavirus se poursuit : entre la chauve-souris, identifiée comme réservoir, et l’être humain, durement frappé par le Covid-19, quelle trajectoire le virus a-t-il suivie ? Par quel hôte intermédiaire est-il passé ? Des chasseurs de virus poursuivent l’enquête. Et parmi eux, Alexandre Hassanin, maître de conférences à l’institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (UPMC/MNHN), pour qui la responsabilité de l’épidémie incombe avant tout au trafic d’animaux sauvages.
Le génome le plus proche de celui du SARS-CoV-2 a été identifié chez une chauve-souris de l’espèce Rhinolophus affinis collectée en 2013 dans la province chinoise du Yunnan, avec 96 % d’identité. Aucun doute, donc, que la chauve-souris est bien le réservoir du virus. Mais ces quatre petits points de différence – séparant 96 % de 100 % – qui distinguent ce virus de celui responsable de l’épidémie actuelle, c’est énorme ! « Ça correspond à une trentaine d’années d’évolution ; autrement dit, ce qu’on doit reconstituer, c’est ce qui s’est passé entre l’ancêtre commun des deux virus et l’apparition du SARS-CoV-2 », explique Alexandre Hassanin, auteur d’un article détaillé sur le sujet paru dans The Conversation.
En quête des 99 %
Ce qu’il faudrait, c’est désormais trouver « une séquence identique à au moins 99 % du SARS-CoV-2 chez un organisme autre que l’Homme : plus la séquence est proche, plus on est près du patient zéro. À l’image de ce qui avait été fait en 2002-2003 durant l’épidémie de Sras, avec l’identification d’un virus identique à 99,8 % au SARS-CoV chez plusieurs civettes masquées d’un marché de Shenzhen, dans le Guangdong ». Une telle découverte est essentielle pour la prévention d’une nouvelle flambée épidémique, naturellement, mais aussi « pour éteindre le feu de l’hypothèse d’un accident de labo, souligne ce zoologiste passionné de chauves-souris. Tant que cela ne sera pas fait, l’hypothèse d’un virus échappé du laboratoire de haute sécurité de Wuhan se poursuivra ».
Pour le SARS-CoV-2, quel est donc l’hôte intermédiaire ? Une grande diversité d’espèces sont susceptibles de l’être, comme les petits mammifères ou les pangolins. Et pour que la transmission s’effectue entre le réservoir et l’intermédiaire, deux hypothèses possibles : une proximité physique du fait de l’Homme – des cages contiguës sur un marché par exemple – ou une transmission dans la nature – consommation de charognes de chauves-souris par la civette par exemple. Le pangolin pourrait avoir été contaminé dans la nature, en mangeant des fourmis (sa nourriture habituelle) sur des cadavres de rhinolophes, mais aussi sur un marché, au contact d’une chauve-souris (ou d’un autre animal) en cage.
Pangolins et autres mammifères
Pour en savoir davantage, il faudrait disposer de nouvelles données provenant du terrain, lesquelles manquent « cruellement ». Les chercheurs chinois ont pourtant beaucoup travaillé sur le virome des chauves-souris depuis plus de quinze ans, c’est-à-dire les génomes de leur population virale. Mais ils ne sont plus autorisés à publier leurs recherches sur les liens entre chauve-souris et SARS-CoV-2 sans les avoir soumises à leur institution de recherche puis au gouvernement, regrettent plusieurs chercheurs français contactés.
Plus récemment, ils ont aussi commencé à étudier le virome des pangolins. « Je ne serais pas étonné qu’ils aient soupçonné, même avant l’épidémie de Covid-19, que le pangolin soit une source possible de contamination dangereuse, explique le chercheur, car trois articles sont récemment parus sur le sujet provenant de trois laboratoires chinois différents ». Un de ces articles signale la présence de deux souches virales de la lignée SARS-CoV-2 chez des pangolins malais (Manis javanica) saisis par les douanes chinoises, mais avec une identité de 86 à 92 % seulement : un pourcentage trop bas pour désigner ces virus comme directement responsables de l’épidémie de Covid-19. Ce que confirme ce pourcentage, toutefois, c’est que des virus proches du SARS-CoV-2 circulent depuis des années en Chine.
Pour reconstituer la chaîne de transmission, il serait intéressant de savoir où les pangolins malais (naturellement présents dans toute l’Asie du Sud-Est, mais plus en Chine) ont été contaminés : sur le sol chinois, après importation ? ou dans leur milieu naturel ? Il serait intéressant aussi de tester les autres animaux sauvages vendus sur les marchés : « Si j’étais un chercheur chinois, je testerais toutes les espèces de mammifères vendues sur les marchés, même les plus rares ».
La piste des chasseurs
Une autre hypothèse mériterait également d’être testée, celle d’une contamination directe de l’Homme, notamment par l’intermédiaire des chasseurs (comme pour Ebola) : « Les chasseurs-trafiquants, j’en ai vu, raconte Alexandre Hassanin, enfumer des grottes pour attraper des chauve-souris ». Durant la période de pré-hibernation où se concentrent de nombreux individus appartenant à plusieurs espèces, davantage de chauves-souris pourraient être porteuses de virus. Des chasseurs attirés par cette concentration d’individus pourraient alors être contaminés par contact : « Il serait donc intéressant de savoir si les chasseurs sont immunisés », s’interroge M. Hassanin.
Dans ce cas, une contamination rampante chez l’être humain aurait pu précéder la forme virale actuelle, hautement contagieuse et pathogène. Il est d’ailleurs probable que depuis 2003, d’autres épidémies de moindre ampleur se soient produites à partir de diverses souches de SARS-CoV-2, restées inaperçues car mises sur le compte de banales pneumonies ou n’affectant qu’un nombre restreint de villageois. Bref : hôte intermédiaire ou pas, la recherche du « chaînon manquant » entre le réservoir et l’Homme est une tâche scientifique d’une redoutable difficulté.