La récente pandémie mondiale de la Covid-19 a alerté la communauté scientifique sur la réalité d’une émergence virale à grande échelle. Le constat est sans appel : 80 % des virus infectant les hommes proviennent d’animaux. Ces virus sont appelés zoonoses.
JiaZhen : COVID-19, SARS-CoV-1, MERS, ZIKA… cela arrive beaucoup plus souvent que nous le pensons. La seule question est : est-ce qu’ils vont trouver un chemin jusqu’à l’humains ou non ?
Alors, certains chercheurs vont directement à la source pour trouver les virus potentiellement transmissibles à l’homme avant qu’ils ne nous infectent.
CHASSEURS DE VIRUS À BORNÉO
La prochaine pandémie aura sûrement une origine animale, alors il est important de surveiller les espèces à risque. Et pour ça, il est nécessaire de se rendre directement dans leur habitat.
Sur l'île de Bornéo, Jia Zhen, ingénieur de recherche pour l’Université de Hong Kong, arpente la région de Kinabatangan à la recherche d’une espèce clé dans la transmission virale : le pangolin. Ces animaux, consommés par les habitants de la région, sont des espèces particulièrement sensibles. Pour les localiser, Jia Zhen commence sa journée dans une palmeraie.
Jia Zhen : Pendant la journée, les pangolins cherchent des endroits pour dormir, car ce sont des animaux nocturnes. Et les palmiers sont de très bons lieux de repos pour eux, parce qu'ils ressemblent aux fruits du palmier, donc ils peuvent très bien se camoufler dans leurs cimes.
L’ingénieur a équipé plusieurs pangolins de balises. Grâce à ces émetteurs, il peut capter leurs signaux et ainsi les retrouver plus rapidement.
Jia Zhen : Nous avons un pangolin dans ce palmier.
Mais malgré les jumelles, le pangolin, parfaitement camouflé, reste invisible. Jia Zhen prend alors les mesures de l’arbre pour en savoir plus sur les habitudes de l'animal. Il part ensuite à la recherche du deuxième pangolin marqué.
Jia Zhen : C’est à l’intérieur.
Ce deuxième pangolin semble préférer la jungle à la palmeraie.
Jia Zhen : Il y a un trou en haut de cet arbre. Le pangolin doit être à l’intérieur. Nous avons mis une caméra ici pour l’enregistrer s’il descend. Nous pourrons observer son comportement, à quelle heure il est actif et si le bébé est toujours là.
Quelques heures plus tard, à la tombée de la nuit, voici ce que la caméra a enregistré.
Troisième arrêt de la journée : après une marche dans la jungle, l’équipe arrive près d’un nid de pangolins, bien connu de notre ingénieur de recherche.
Jia ZHen : Nous installons une caméra en face de cet arbre creux où le pangolin dort. L’idée, c’est d’identifier si des animaux partagent ce site de repos avec le pangolin. Comme ça, nous pourrons analyser comment le virus se transmet d’une espèce à l’autre et comment l’ensemble des virus autour du pangolin se comportent.
Une fois la caméra installée, il place un piège pour capturer les petits mammifères partageant potentiellement le nid du fameux pangolin.
Jia Zhen : Nous voulons les capturer pour voir quelles espèces il y a. Et aussi faire des échantillonnages, comme des prélèvements de sang, mais aussi rectal et fécal. Nous faisons ensuite des analyses pour voir comment le virus évolue d’une espèce à l'autre et s’adapte à de nouvelles espèces. Donc, ce que nous faisons, c’est que nous plaçons des feuilles en dessous pour collecter les selles. Nous sommes prêts.
Il est crucial d'étudier les autres espèces animales partageant le nid du pangolin, car des virus initialement inoffensifs pour l’homme peuvent muter en passant d’une espèce à l’autre et devenir dangereux pour l’humain. Explication dans le laboratoire de la virologue Nicole Pavio.
Nicole : On peut prendre l’exemple du SARS-CoV-1, qui était hébergé chez des chauves-souris. Et par un partage de milieux avec d’autres animaux, comme la civette, on a eu une adaptation du virus de la chauve-souris vers la civette. Et ensuite, cette civette était présente sur des marchés, il y a eu exposition du virus de la civette à l’homme. Et c’est comme ça que le SARS-CoV-1 est passé de la chauve-souris à l’humain, via un hôte intermédiaire.
Mais comment ces virus présents chez des espèces sauvages parviennent-ils à infecter l’homme ?
Nicole : Un virus va pouvoir s’accrocher à une cellule. Ici, vous avez la membrane d’une cellule et il y a différents récepteurs qui sont comme des serrures. Pour entrer dans la cellule, le virus va avoir à sa surface des protéines d’enveloppe qui sont comme des clés, qui vont lui permettre, en se liant à la serrures, ensuite de pénétrer dans la cellule.
Si les virus présents sur le pangolin n’ont pas la « clé » pour pénétrer nos cellules, ils peuvent, au fil des passages d'hôtes en hôtes, muter et devenir dangereux.
Nicole : Un virus existe chez un hôte sous forme d’une population virale et, parmi cette population de virus, il y en a certains qui ont une petite mutation qui va les différencier des autres. Et cette mutation va leur permettre, même si ce n’est pas très efficace au début, d’infecter un nouvel hôte. Ensuite, avec la réplication chez ce nouvel hôte, on va avoir une adaptation plus complète et une meilleure compétence du virus à se répliquer dans ce nouvel hôte, et à être transmis dans cette nouvelle espèce d’un individu à un autre.
À Bornéo, la nuit est tombée, et le pangolin est de retour dans son nid. Civette, écureuil, mulot… D’autres espèces s’y installent également, dont un animal emblématique de la transmission virale : la chauve-souris.
Jia Zhen : Les chauves-souris sont un réservoir pour de nombreux virus, c’est pourquoi il est important d’observer les chauves-souris qui partagent un lieu de repos avec le pangolin, quel virus elles portent et comment le virus pourrait évoluer de la chauve-souris au pangolin et même peut-être arriver jusqu’à nous si nous consommons le pangolin.
Jia Zhen décide alors d’installer un piège à chauves-souris pour pouvoir les échantillonner.
Jia Zhen : Quand les chauves-souris vont voler, elles vont se prendre dans les fils. Il y a un bout de plastique au fond du poiège qui les empêche de sortir. C’est comme ça que les chauves-souris sont capturées.
Observer et poser des pièges, c’est le travail de Jia Zhen pendant la journée, car les chauves-souris et les pangolins dorment. Il y a donc peu de chances de les rencontrer. Mais lorsque la nuit tombe, il passe à la deuxième phase de son travail : la capture, afin de prélever des échantillons.
Jia Zhen : Maintenant, nous allons nous habiller en combinaison EPI. C’est une mesure que nous prenons pour éviter les contaminations. Que ce soit nous qui transmettons une maladie aux animaux ou que ce soit eux qui nous la transmettent.
C’est donc parfaitement protégé qu’il vérifie si ses pièges ont bien fonctionné. Lorsqu'il capture une chauve-souris, Jia Zhen prélève des échantillons de sang et de selles et il en va de même pour les pangolins. À la différence qu’il les marque avant de les relâcher. Tous ces prélèvements sont ensuite envoyés au laboratoire pour analyse.
Nicole : Alors, quand on reçoit des échantillons du terrain, on va d’abord tester, rechercher la présence d’un certain nombre de virus. Quand un de ceux-là est positif, on va établir la séquence génétique de ce virus, qui est comme sa carte d’identité. Et ensuite, en confrontant cette séquence génétique avec les données disponibles dans des bases de données, ça permet de dire d’où vient, ou en tout cas avec qui ce virus est apparenté. Ce que l’on peut voir par exemple ici, c’est que, par rapport à la souche de Covid-19 initiale retrouvée à Wuhan, en Chine, eh bien, les virus qui sont les plus proches, dont la séquence est la plus similaire et donc le lien de parenté le plus fort, eh bien, ce sont des virus qui sont isolés dans des chauves-souris en Asie du Sud-Est.
Ces échantillons collectés sur le terrain ont donc permis de retrouver l’origine du SARS-CoV-2 et ont surtout mis en évidence de nouveaux virus qu’il est important de surveiller. Grâce à ce travail de terrain et de surveillance, les chercheurs nous rappellent l’importance de rester vigilants face aux virus émergents, afin de mieux comprendre et prévenir les menaces avant qu'elles ne se transforment en pandémies mondiales.