Les agrumes, menacés d’extinction ?
Et si prendre un jus d’orange devenait un luxe ? Une maladie redoutable, le huanglongbing, affecte toute la planète agrumicole. Les pertes étant déjà colossales, des scientifiques du monde entier, dont les chercheurs du Cirad Martinique, tentent de trouver des solutions.
Réalisation : Barbara Gineau Delyon
Production : Universcience
Année de production : 2025
Durée : 9min26
Accessibilité : sous-titres français
Les agrumes, menacés d’extinction ?
Vous aimez prendre un jus d’orange le matin ? Mais saviez-vous que cette habitude pourrait devenir un geste luxueux ? Le huanglongbing, une maladie incurable et redoutable, touche les pieds d’agrumes et met en péril toute l’agrumiculture.
Claire : Toute la planète agrume tropicale est vraiment très très affectée par cette maladie. Ce sont des pertes qui se chiffrent en milliards, le cours du jus a terriblement augmenté, les fruits se raréfient, la production a chuté, ça c’est clair et net que la catastrophe existe déjà.
TITRE : Les agrumes, menacés d’extinction ?
Les agrumes étant les premiers fruits échangés et commercialisés dans le monde, avec plus de 15 millions de tonnes chaque année, il est difficile d’imaginer cette industrie mourir, pourtant la maladie du huanglongbing menace toute l’agrumiculture. Alors les scientifiques du monde entier cherchent des solutions à ce problème de taille.
Pour découvrir leur travail, nous nous rendons sur l’île de la Martinique, direction le CIRAD. Mais d’abord, qu’est-ce que cette terrible maladie ? Explication de Claire Amar.
Claire : C’est une maladie bactérienne très grave qui affecte tout le territoire caribéen.
Cette maladie a un autre petit nom, la maladie du Dragon jaune. Et pour cause.
Claire : Tout simplement parce que ça occasionne des marbrures en taches jaunes sur le fruit avec déformation parfois du fruit et aussi sur les feuilles.
Mais au-delà des feuilles et des fruits, elle s’attaque en particulier au tronc.
Claire : L’effet sur l’arbre, c’est le bouchage, enfin l’obstruction des vaisseaux par cette bactérie qui va entraîner une succession de réactions, qui fait que les cellules des vaisseaux vont se boucher. À plus ou moins court terme, moyen terme, à l’échelle de un an, trois ans, quatre ans, le pied finit par mourir.
Si cette maladie est connue en Asie depuis plusieurs siècles, elle restait cantonnée à son territoire d’origine. Elle s’est ensuite propagée petit à petit aux territoires africains. Mais la grande catastrophe commence il y a une vingtaine d'années, quand la maladie a été détectée dans les régions tropicales. Ces régions sont connues pour être de grandes productrices d’agrumes.
Claire : Toute la planète agrume tropicale est affectée. La Floride a des pertes par milliards. La situation est extrêmement grave et on est très inquiet pour la zone européenne ou le pourtour méditerranéen, parce qu’avec le réchauffement climatique on a très très peur que cette maladie arrive en zone plus tempérée.
Au Brésil comme en Guadeloupe, la production s’est effondrée de plus de 60 % deux à trois ans après la découverte de la maladie. La Floride, producteur bien connu d’oranges, a vu des milliers d’emplois s’envoler dans le secteur agrumicole. Et le responsable de toutes ces catastrophes, c’est lui.
Clovel : Voici le psylle, c’est un insecte qui fait grosso modo 2 à 3 mm. C’est un hyménoptère, un ravageur des agrumes, qui en se nourrissant injecte une bactérie au niveau des agrumes, et cette bactérie véhicule la maladie et à terme tue la plante.
Ces tout petits insectes qui ressemblent à des mini-cigales sont des ravageurs redoutables. Dans sa courte vie d’une cinquantaine de jours, une femelle pond jusqu’à 850 œufs, ce qui rend leur propagation incontrôlable.
Pour éviter la catastrophe, les chercheurs tentent de trouver des espèces d’agrumes qui résistent au Dragon jaune. Première étape : repartir du tout début ! En essayant de trouver de nouvelles espèces jusqu’alors inconnues.
Éric : Par exemple cet oranger, c’est un oranger amer. Très bon au goût et que les gens apprécient en Martinique. Cet arbre, c’est une variété d’agrume, ça donne des fruits de cette taille. Tous les arbres sont différents ici, ce ne sont pas les mêmes.
Le travail d’Eric est de sillonner la Martinique afin de découvrir ces plants d’agrumes inédits.
Éric : Là, c’est une autre variété de mandarine que j’ai trouvée chez l’habitant aussi. Avant on avait cette variété en Martinique mais ça a disparu.
Selon les estimations d’Éric, plus d’un millier d’agrumes sauvages seraient présents rien que sur le territoire martiniquais.
Éric : On passe un peu partout en Martinique et on arrive à trouver des plants que l’on ne connaît pas et ce sont ces plants que l’on a pris pour mettre sur nos parcelles.
Et ces arbres ne sont pas récupérés pour rien.
Éric : Quand on les récupère, ce sont des plants qui sont déjà très vieux. Vu leur âge, on pense que ces plants sont assez résistants. On pense que ces plants pourront nous être salutaires pour des hybridations.
Partir de plants sauvages, anciens et résistants, pour les hybrider à d’autres espèces dont les caractéristiques sont connues. C’est le principe de l’amélioration variétale. De croisement en croisement, les plantes avec les meilleures caractéristiques sont sélectionnées et de nouveau croisées. Le but : obtenir des individus hybrides qui compilent les atouts de chaque plant ! Le plant final sera malgré tout bien différent de ses parents.
Claire : On travaille au niveau cellulaire pour pouvoir obtenir non plus des diploïdes, donc avec deux lots de chromosomes dits normaux, mais des hybrides à partir d’un parent et d’un autre parent qui sont tous les deux intéressants. Et donc là, on obtient un hybride triploïde, donc trois lots de chromosomes. Pourquoi on recherche ça ? Pourquoi on provoque ce type de croisement ? Parce qu’on obtient des vaisseaux plus larges et qui sont du coup plus lentement atteints par la bactérie qui a la très mauvaise idée de boucher les vaisseaux.
Toutes ces hybridations ne sont pas réalisées ici, mais au Centre de ressources biologiques de Corse. Après plusieurs évaluations, certains des hybrides les plus prometteurs sont renvoyés en Martinique pour les tester directement sur le terrain pendant plus de 10 ans.
Claire : Nous avons dans cette collection plus de 200 arbres ; je crois que c’était 217 au départ, que nous sommes en train d’évaluer. Alors la plupart des arbres ont une petite dizaine d’années donc ça veut dire qu’on arrive proche de la fin de l’évaluation. En caractère agronomique on évalue par exemple la présence d’épines ou l’absence d’épines, qui est un critère assez sélectif pour la profession.
En effet, pas facile de collecter les oranges avec des épines de 5 cm sur l’arbre. Ces arbres ne seront pas retenus. Toutes ces caractéristiques permettront de déterminer si le fruit est adapté à une production à grande échelle.
Claire : Là vous êtes plutôt devant un individu prometteur assez chargé en fruits. Et puis un petit peu plus bas, l’individu qui est jaune là, celui-là, il est plutôt chétif, il a un port qui n’est pas sensationnel, donc ce n’est pas un individu que l’on va retenir.
Et il existe un dernier critère de taille.
Claire : On note aussi l'appétence, c’est-à-dire comment se comporte l’arbre en fonction des insectes. Alors voyez par exemple cet arbre, il est classé dans les peu appétents. Bon, il y a quelques chenilles, il y a quelques pucerons ici, mais globalement on est inférieur à 5 % de l’arbre qui est atteint par les insectes et autres acariens. Donc on va le classer dans les peu appétents.
Les arbres bons élèves subissent ensuite un dernier test appelé . Ils vérifient que la couleur et la texture du fruit sont conformes et surtout que son goût correspond aux attentes du marché.
Cathy : On va récupérer un peu de jus, on va le mettre sur le spectrophotomètre qui va nous donner le taux de sucre. On va récupérer aussi un peu de ce mélange que l’on va mettre sur le spectrophotomètre qui va nous donner le taux d’acidité du fruit. Le but recherché, c’est d’avoir un taux de sucre supérieur à 7 et un taux d’acidité inférieur à 1.
Alors Verdict ?
Cathy : Celui-là, il est très bon. D’emblée il a été sélectionné, malgré son aspect extérieur pas attractif.
Sur les 217 arbres testés, une trentaine de pieds a réussi tous les tests. Les grands gagnants de cette sélection drastique sont conservés précieusement dans une serre.
Claire : Nous entrons dans une serre sécurisée et à ce moment-là, moi j’ai mes chaussures dédiées que j’enfile pour pouvoir entrer dans la serre. Parce qu’il y a un film insect-proof qui empêche le psylle de venir contaminer nos plants puisqu’il s’agit de notre première sélection et nous avons du matériel végétal très précieux. On considère que ce sont nos individus les plus prometteurs pour tous nos critères. Il y a déjà des jeunes plants qui produisent des fruits donc ça signifie que ce sont des variétés qui vont être plus productives.
Ces plants sont si précieux qu’ici au Cirad, ils sont appelés les Élites. Ces Élites triploïdes, résultat de dizaines d’années de travail acharné, représentent peut-être l’avenir de la production agrumicole. À vous maintenant de les accepter dans vos assiettes.
Réalisation : Barbara Gineau Delyon
Production : Universcience
Année de production : 2025
Durée : 9min26
Accessibilité : sous-titres français