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Des techniciens travaillent sur des cellules CAR-T dans un laboratoire de la biotech française Cellectis, le 23 septembre 2021 à Paris, une thérapie développée notamment grâce au Franco-Canadien Michel Sadelain © AFP Thomas Coex

Lorsque Michel Sadelain a commencé ses recherches pour programmer des cellules du système immunitaire à combattre le cancer, beaucoup de collègues sceptiques ont tenté de le décourager, jusqu’à sa propre mère, inquiète pour sa carrière. Mais jeudi, ce chercheur canadien et français a remporté un prestigieux prix scientifique, le Breakthrough Prize, pour son travail ayant permis de développer une nouvelle forme de thérapie appelée CAR-T, très efficace contre certains cancers du sang.

« Vous n’imaginez pas le nombre de fois où j’ai entendu que cela ne marcherait pas, et que même si cela marchait, cela n’avait aucun avenir », a dit cet immunologiste de 63 ans. Résultat : certaines bourses lui échappent, les promotions deviennent incertaines, et les étudiants évitent pour la plupart son laboratoire. « Il faut que j’organise une grande fête pour remercier tous ceux qui ont contribué à réaliser ce concept », rit aujourd’hui le chercheur, qui partagera 3 millions de dollars avec l’Américain Carl June, immunologiste ayant également travaillé sur le sujet de son côté.

Le Breakthrough Prize, surnommé les « Oscars de la science », a été lancé par des entrepreneurs de la Silicon Valley au début des années 2010 pour récompenser des percées (« breakthrough » en anglais) en recherche fondamentale. En décernant plus de 15 millions de dollars au total, c’est le prix scientifique le mieux doté, devant les Nobel.

Médicament « vivant »

Michel Sadelain a étudié la médecine à Paris, puis l’immunologie au Canada, avant de prendre un poste de chercheur postdoctorant au Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1989. A l’époque, l’idée de développer des vaccins contre le cancer, comme il existe des vaccins visant des bactéries et virus, suscite beaucoup d’intérêt.

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Michel Sadelain en 2017 sur une image transmise par le Memorial Sloan Kettering Cancer Center © Sloane Kettering Cancer Center/AFP Karsten Moran

« Mais j’ai commencé à penser que nous devrions peut-être directement programmer les combattants de notre système immunitaire, en particulier les lymphocytes T », explique-t-il. Son travail commence d’abord sur des souris. Après avoir rejoint le Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York, il développe un moyen — à l’aide de vecteurs d’origine virale — de reprogrammer génétiquement les lymphocytes T humains. Ces derniers acquièrent alors des récepteurs capables de reconnaître et combattre les cellules cancéreuses.

Ces récepteurs, qu’il nomme récepteurs d’antigènes chimériques (CAR en anglais), ordonnent également aux lymphocytes T de se multiplier, afin de grossir les rangs de l’armée de petits soldats nécessaires pour combattre la maladie. Grâce aux travaux de Michel Sadelain et Carl June, une demi-douzaine de thérapies utilisant cette méthode sont approuvées aux États-Unis, et des centaines d’autres essais cliniques sont en cours. Les lymphocytes T du patient sont d’abord collectés, modifiés à l’extérieur du corps, puis réinjectés dans le sang, devenant alors des « médicaments vivants ».

Lors d’un essai clinique récent contre un type de cancer appelé myélome multiple, 28 % des patients ont vu la maladie disparaître après avoir reçu ce traitement. Parmi eux, 12 mois plus tard, 65 % n’avaient pas rechuté.

Prix élevé

Le traitement peut avoir de graves effets secondaires liés au déclenchement d’une réaction inflammatoire, qui a pu dans certains cas provoquer la mort. Mais les médecins ont appris à reconnaître et contenir cet effet. Des effets neurologiques, comme une grande confusion ou une incapacité à parler peuvent aussi survenir, même ci ceux-ci disparaissent en quelques jours. Michel Sadelain reste enthousiaste quant à l’avenir de cette thérapie, qui pourrait à l’avenir être employée contre d’autres cancers, des maladies auto-immunes, ou les infections réfractaires comme le VIH, selon lui. Mais il reconnaît qu’une autre amélioration est nécessaire : son prix élevé, aujourd’hui plus de 500 000 dollars.

Aux États-Unis comme en Europe, les assurances prennent en charge le plus gros de l’addition. « Les chercheurs étaient atterrés quand ils ont vu le montant facturé pour les toutes premières thérapies », a-t-il dit. « Le prix doit baisser. » Il s’attend à ce que cela soit le cas à mesure que l’industrie pharmaceutique améliore ses procédés, et grâce à de nouvelles innovations scientifiques sur la production et la qualité des lymphocytes T à récepteur antigénique chimérique (ou CAR-T).

Son propre laboratoire s’apprête par exemple à publier une étude montrant qu’un nouveau modèle permet de réduire le nombre de lymphocytes nécessaires pour un traitement. D’autres chercheurs étudient la production des cellules CAR-T à partir de cellules souches, ce qui pourrait se révéler moins cher.