Le dérèglement climatique : Nord-Sud même combat ?
À travers 8 films, 21 experts répondent à de grandes questions à enjeux scientifiques, énergétiques, socioéconomiques et politiques. Leurs points de vue nous interpellent aux plans individuel et collectif, dans notre quotidien mais aussi en tant que citoyens du monde.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 13min48
Accessibilité : sous-titres anglais, sous-titres français
Le dérèglement climatique : Nord-Sud même combat ?
NORD-SUD, MÊME COMBAT ?
François GEMENNE X 2
Laurence TUBIANA
Achim STEINER
Nicolas HULOT
Jean JOUZEL X 2
Cécile GUIVARCH
Teresa RIBERA
Hindu Oumarou IBRAHIM
Christian de PERTHUIS
Ronan DANTEC X 2
1 - Laurence TUBIANA,
Ambassadrice chargée des négociations sur le changement
climatique, représentante de la France pour la COP21
Tout le monde cherche à obtenir un accord à Paris. Il n’y a pas de divergence de vue entre les pays développés et les pays en voie de développement pour se mettre d’accord à Paris. C’est très important, car ce n’était pas exemple pas le cas à Copenhague en 2009. A l’époque, beaucoup de pays en voie de développement pensaient que ce n’était pas mûr, que c’était trop tôt, et ils ne voulaient pas prendre d’engagements. Cette phase est derrière nous. Les pays veulent tous un accord à Paris. C’est la première chose, indépendamment de leur appartenance au monde du Nord ou au monde du Sud. La deuxième chose, c’est que le monde du Sud a énormément changé. Cela ne veut plus dire grande chose, aujourd’hui. Ce sont des pays qui ont des niveaux de développement extrêmement différents, et qui se positionnent par rapport à ces politiques de réduction des émissions de manière assez différente aussi. Mais tous les pays, ceux du Nord comme ceux du Sud, ont quelque chose en commun : ils prennent en compte quel impact le changement climatique a sur eux-mêmes. Ce qui fait l’unité et les chances de réussite de cet accord, à des degrés divers, c’est que tous les pays sont inquiets et voient bien qu’ils ne peuvent pas agir seuls. Cela dépasse les clivages traditionnels. C’est pour cela que les discussions dans le cadre de l’accord de Paris relèvent certes en partie de l’ancien monde, un monde divisé entre le Nord et le Sud, mais on voit déjà émerger une nouvelle manière de travailler, avec des alliances différentes qui transgressent d’une certaine manière cette frontière habituelle entre pays du Nord et pays du Sud. Donc oui, les conditions de Paris sont totalement différentes et permettent de trouver un accord. Cette condition n’était pas réunie jusque-là.
2 - Hindu Oumarou IBRAHIM
Le changement climatique ne connaît pas de frontières, il n’impacte pas seulement les pauvres. Il impacte les pauvres peut-être en premier, et de plus en plus, mais il impacte aussi les riches et les pays riches. Je pense qu’il est temps de tirer des leçons de ces impacts et de voir comment on va réduire ces inégalités et faire un équilibre entre les pays pauvres et les pays riches, et entre les pauvres et les riches. Il faut comprendre qu’on respire tous le même air.
3 - Cécile GUIVARCH
Le stock de gaz à effet de serre qui est aujourd’hui dans l’atmosphère est surtout dû aux pays du Nord. Ces pays sont aussi plus développés. La position des pays du Sud, ça peut donc être « Montrez-nous l’exemple, laissez-nous nous développer, et on verra après ». Mais on a aussi besoin de réduire les émissions dans les grands pays émergents, qui sont aujourd’hui les principaux émetteurs. Toute la question est donc là : comment est-ce qu’on réconcilie le besoin légitime en développement et en même temps le fait qu’on a besoin de réduire les émissions partout, pour réussir à atteindre les objectifs qu’on se fixe. C’est là que toutes les questions de transfert de technologies, de finances, de financement des actions, viennent se poser. Les négociations sont évidemment difficiles.
4 - Achim STEINER
Depuis longtemps, les discussions entre le Sud et le Nord concernant le réchauffement climatique et le changement climatique sont conflictuelles. Il y a des intérêts contradictoires en jeu. Mais les dernières années, cela a beaucoup changé. Il y a une prise de conscience dans tous les pays aujourd’hui, on sait que le changement climatique est un défi et un danger qui concerne tous les pays. Je suis convaincu que de nos jours, le Nord et le Sud ne sont plus deux blocs économiques incapables de coopérer dans le contexte du changement climatique. Au contraire, on comprend de plus en plus que la nécessité de réagir est aussi une opportunité pour aller vers une économie plus durable, plus verte. Dans le contexte de l’énergie, c’est un domaine très intéressant. Dans un continent comme l’Afrique, où la plupart de la population n’a pas encore accès à l’électricité, on constate que les énergies renouvelables sont un moyen d’avancer très rapidement dans l’accès à l’électricité.
5 - Teresa RIBERA
Directrice de l'IDDRI (Institut du développement durable
et des relations internationales)
Une des questions la plus importante dans le contexte de politique du climat, ce sont les éléments autour de l’équité, autour de la capacité de garantir un avenir de prospérité pour tous les citoyens du monde, et c’est quelque chose qui est inquiétant surtout dans les pays en développement qui ont peur de se retrouver dans une situation où ils sont forcés d’exiger des modèles de développement qui n’ont pas un résultat, une réalité visible jusqu’à aujourd’hui parce que le modèle de développement que nous avons vécu ce dernier siècle a été bien éloigné de ces « patrons de sustainability » (= modèles de développement) et c’est cela qui pose les défis les plus importants autour de la négociation. A quel point peut-on garder une vision suffisamment ambitieuse du point de vue de l’atténuation de ces émissions de gaz à effet de serre, et en même temps garder la solidarité, la fraternité, la compréhension d’être dans le même bateau ?
6 - François GEMENNE
Je pense d’abord qu’il faut bien se rendre compte que la crise climatique trouve son origine dans les inégalités. C’est ce qu’on va appeler, en sciences politiques, un problème distributionnel, c’est à dire un problème de répartition. Problème de répartition inégale des rapports de forces, de répartition inégale de modes de développement, de répartition inégale des émissions de gaz à effet de serre, de répartition inégale de la population sur la planète, de répartition inégale des impacts. Le changement climatique n’est donc pas un problème d’environnement. C’est avant tout un problème d’égalité, un problème d’équité, un problème de justice. Je pense qu’on ne pourra pas trouver de solution au changement climatique si l’on ne reconnaît pas que le changement climatique dépasse largement la sphère d‘un problème d’environnement.
7 - Jean JOUZEL
Nous sentons bien qu’il y a des pays plus vulnérables que d’autres, et d’ailleurs, quand on regarde l’Afrique, nous percevons bien que certains de ces pays ne se sont pas développés, ou mal développés, parce que leur climat n’y est justement pas favorable. Si on regarde les pays Sahéliens, ces pays seront encore plus touchés par ce réchauffement climatique, c’est donc cela tout l’enjeu. Si nous, les pays développés, continuons un peu de façon égoïste sur notre trajectoire, et si les pays en voie développement et les pays émergents adoptent notre mode de développement, nous irons collectivement vers des réchauffements auxquels il sera difficile de faire face.
8 - Ronan DANTEC
La négociation mondiale sur le climat, ce sont 200 intérêts nationaux autour d’une même table. Evidemment, cela marche assez mal. Il y a des pays qui, objectivement, n’ont pas tellement intérêt à ce qu’on trouve un accord. Il y a des pays qui vendent beaucoup de pétrole, et si l’on ne consomme plus de pétrole, ils vont être en difficultés économiques. Il y a même des pays froids qui se disent que s’il fait un peu plus chaud, ça peut être intéressant pour eux. Il y a donc un certain nombre de pays qui n’ont pas intérêt à un accord. Mais il y a aussi beaucoup de pays qui ont besoin d’un accord sur le climat. La Chine est un pays qui souffrira énormément de la crise climatique. Il y a donc quand même tout intérêt à ce que l’effort soit fait. Après se posent aussi des problèmes d’équilibre économique. Tous les pays ne sont pas au même niveau de développement, on le sait, et ils sont surtout adossés sur différents systèmes énergétiques. La Chine est adossée sur le charbon, et il lui faudra un certain temps pour muter. Evidemment, les Chinois ne veulent pas être en situation d’effondrement ou de marginalisation économique au nom de la lutte contre le changement climatique. Tout cela s’entend.
9 - Christian de PERTHUIS
Pour les pays émergents, il faut rapidement réfléchir à des voies alternatives de développement. Si tous les pays émergents refont le même historique de développement qu’ont fait les pays développés, on va dans le mur. Ca veut dire qu’il faut que ces pays sautent des étapes que les anciens pays industrialisés ont eues dans le passé pour aller directement vers une économie bas carbone. Lorsqu’on travaille sur ces problématiques, on s’aperçoit de plus en plus qu’il y a des possibilités de faire les villes différemment de ce qu’on a fait, d’organiser le système urbain différemment de ce qu’on a fait, de développer des systèmes énergétiques, et notamment des systèmes de distribution électrique, qui ne reproduisent pas les énormes réseaux électriques qu’on a développés dans nos pays. C’est un peu comme pour la téléphonie. Le parallèle avec la téléphonie est très intéressant. Si on avait voulu construire le réseau de téléphonie fixe en Afrique subsaharienne, ou en Asie centrale, comme nous avons créé notre réseau de téléphonie fixe depuis 1920, et jusque dans les années 70 ou 80, jamais ils n’auraient le téléphone aujourd’hui dans les campagnes camerounaises ou en Asie centrale ! Mais ils ont le téléphone ! Grâce au mobile !
Aujourd’hui, avec le système extraordinaire de nouvelles technologies et de mesures qu’on a, avec les progrès qu’on va faire sur la production décentralisée, sur le stockage décentralisé de l’énergie, on peut faire des sauts technologiques très rapides pour que ces pays puissent concilier la poursuite, et même l’accélération, de leur développement avec l’utilisation de sources d’énergie non fossiles.
10 - François GEMENNE
Pour éviter qu’il y ait une trop grande pénalisation des pays du Sud dans la négociation, il faudrait qu’on parvienne véritablement à s’engager sur la voie d’un financement réel de l’adaptation. C’est aujourd’hui la principale demande émise par les pays du Sud, et les pays industrialisés renâclent bien sûr à payer, renâclent à financer l’adaptation, et renâclent aussi à admettre une responsabilité directe dans les impacts du changement climatique, renâclent à admettre ce lien – qui est pourtant évident – entre leurs émissions et les impacts du changement climatique au Sud.
11 - Nicolas HULOT
Les pays du Sud, au premier rang desquels les pays africains, ont bien conscience que nos pays ont des budgets totalement restreints, et même plombés par la dette. Donc, si on promet des milliards, ils savent bien qu’on ne va pas les prendre sur des budgets existants, mais qu’on va trouver des nouvelles sources de financement. Je suis peut-être un peu monomaniaque, mais je sais que pour la crédibilité de Paris – si on veut apaiser et réunir les pays autour d’objectifs crédibles et ambitieux – il faut rétablir la confiance sur ce sujet-là. C’est le nerf de la guerre. On est en guerre. On est en guerre contre un phénomène que nous avons provoqué et qui risque de nous échapper. Il faut une mobilisation universelle, mais pour faire face, pour développer des technologies, pour changer de modèle énergétique, il faut énormément de moyens, comme en temps de guerre.
12 - Jean JOUZEL
Une des clefs de la conférence de Paris, c’est cette capacité des pays développés à tenir les engagements en termes d’échanges financiers, de flux financiers, ces engagements qui ont été faits à la conférence de Copenhague, cette création du Fonds vert, ce qui sera une des clefs de la conférence de Paris, tout comme évidemment les engagements des pays développés à lutter contre le réchauffement climatique en termes de diminution des gaz à effet de serre. Cela devrait jouer un effet d’entraînement par rapport aux autres pays parce que le quatrième pays émetteur est maintenant l’Inde, il y a ensuite l’Indonésie, le Brésil, ces pays qui ne sont pour le moment pas classés dans les pays riches doivent évidemment participer à la lutte contre le réchauffement climatique, sinon nous n’y arriverons pas.
13 - Ronan DANTEC
Si j’étais un peu provocateur, je dirais que peut-être la crise climatique est une véritable chance pour l’avenir de l’humanité. La planète traverse plusieurs crises aujourd’hui. On a une compétition sur les matières premières qui va augmenter. Cela ne concerne pas seulement le pétrole, mais aussi le fer, il risque d’y avoir de plus en plus de compétition. Cette compétition sur les matières premières s’est toujours traduite par un affrontement guerrier et par un fort qui domine le faible. La crise climatique ne peut pas se régler simplement par le fait que le fort domine le faible. Il faut que tout le monde fasse des efforts. On comprend très bien que si je fais des efforts et que mon voisin continue à émettre beaucoup de gaz à effet de serre, je vais souffrir autant que lui. Mais lui aussi a besoin que je fasse des efforts. L’enjeu du climat est aussi un enjeu du développement. La régulation climatique est une régulation où on donne un prix à la tonne de carbone. On a du mal aujourd’hui à y arriver, mais on voit bien que c’est l’idée. Il s’agit donc de créer des flux financiers qui doivent être au service du développement. Si on a juste un effort des pays du Nord, mais qu’on n’ait pas un développement différent des pays du Sud, et surtout des choix énergétiques différents des pays en développement et des grands mégalopoles en Afrique, les émission de gaz à effet de serre vont exploser demain dans ces pays. On a donc un enjeu fort de développement. On voit bien que derrière le climat, on assure du développement et on répond à d’autres crises. Fondamentalement, on s’oriente vers un monde qui est capable de se réguler et qui est capable de dépasser les intérêts nationaux, car l’affrontement a toujours mené à la guerre.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 13min48
Accessibilité : sous-titres anglais, sous-titres français