AU TABLEAU !
Gilles Bœuf
Alors, nous allons aborder une question qui est extrêmement intéressante, qui a été posée en fait aux débuts des années 2000 et qui était : est-ce qu’aujourd’hui les humains, sont-ils en train de créer les conditions d’une sixième grande crise d’extinction ?
Alors pour ça, je vais réagir sur un travail publié par un prix Nobel de chimie, qui s’appelle Paul Crutzen et qui propose en 2002 le terme d’anthropocène. Paul Crutzen est connu parce qu’il est célèbre. C’est un chimiste qui a eu le prix Nobel en 1995. Il a contribué à démontrer le trou dans la couche d’ozone. Et ce mot « anthropocène », en fait, nous vient pour expliquer dans l’histoire de la Terre, à un moment de son histoire, qui est récente évidemment - on pourrait après réfléchir sur quand commence l’anthropocène - c’est que le plus puissant moteur de l’évolution n’est plus, comme pendant très longtemps, la salinité de l’océan, la longueur du jour, la composition de l’atmosphère ou la température, mais l’activité d’une espèce sur les 1,9 millions d’espèces connues et déposées dans les musées aujourd’hui. Et ça, c’est intéressant, parce que ça permettra de relancer les débats après en fait une histoire qu’on arrive à raconter, les géologues et les paléontologues depuis 570 millions d’années - il s’en est sûrement passé avant des crises, on ne les connaît pas, c’est trop ancien - les animaux ont laissé trop peu de traces de fossiles et là donc, on a des coquilles qui existent dans la nature, on a des cuticules et donc on trouve des fossiles. Et depuis cette époque, on a dénombré cinq grandes crises d’extinction. Je parle de la troisième qui se déroule vers 245 millions d’années et qui éteint, c’est la plus grande, 96 % des espèces vivantes, marines et terrestres - la vie était déjà sortie des océans. Et la cinquième, la dernière, elle est donc entre le secondaire et le tertiaire, elle est vers 65,5 millions d’années et elle éteint celle-ci à peu près 76 % des espèces vivantes, aussi marines et terrestres.
Alors, la question c’est : pourquoi ces crise se produisent-elles ? Il faut revenir à ce qu’est l’évolution au cours du temps depuis l’apparition de la vie il y a 3,85 milliards d’années, des grands évènements dans l’océan ancestral, la vie est sortie de l’eau, et c’est un subtil équilibre entre des espèces qui apparaissent, donc la spéciation, et puis de l’extinction. Et souvent, on s’est posé la question : combien de temps vit une espèce ? Sur les grandes espèces type mammifères, on pense que c’est 2 à 3 millions d’années. Ça pourrait être beaucoup plus pour des espèces marines, des invertébrés, de l’ordre de peut-être 7 ou 8 millions d’années. Et ces grandes crises, brutalement, remettent un peu les compteurs à zéro.
Alors, elles sont crées pourquoi, ces grandes crises ? La définition, c’est : au moins 75 % des espèces vivantes disparaissent sur un laps de temps court. Et là, il faut revenir à la notion de temps entre la géologie et puis, bien sûr, le sens du temps de l’humain, c'est-à-dire 2 millions d’années. Entre 300 000 ans et 2 millions d’années, les espèces s’éteignent. Alors, c’est très court pour un géologue, c’est très long, bien sûr, pour un humain. Et c’est vrai qu’aujourd’hui, ce qu’on observe, c’est des changements extrêmement rapides qui se produisent. Alors, dans l’histoire du vivant, ces cinq grandes crises ont été bien étudiées, travaillées. Elles sont liées toujours à des émissions très importantes de volcans, beaucoup de gaz carbonique, beaucoup de méthane aussi, sont libérés dans l’atmosphère, de la vapeur d’eau, du dioxyde de souffre, une température qui augmente, souvent aussi des chutes, des effondrements de l’oxygène dans l’eau et dans l’air, dans le milieu marin et puis dans l’air... la température qui augmente et puis souvent, bien sûr, des impacts de météorites. Ça a été bien documenté pour la cinquième grande crise, disparition des dinosaures et des ammonites marines.
Alors, comment est-ce qu’une espèce, par son mode de vie, pourrait créer les conditions d’une sixième grande crise ? Simplement parce qu’il est extrêmement impactant et qu’en très peu de temps, il contribue à faire disparaître les espèces.
Le document qui s’appelle MEA (Millenium Ecosystem Assessment) est sorti du travail de 1 400 écologues du monde entier commandités donc par les chefs d’État lors de l’entrée dans le troisième millénaire. Et il nous dit deux choses en 2005. Il nous dit que d’une part, on remet au goût du jour ce qu’on appelle les services rendus par les écosystèmes et deuxièmement, les taux d’extinction actuels sont d’environ mille fois plus rapides que ce qu’on avait calculé depuis la cinquième grande crise d’extinction, le moment justement où disparaissent ces fameux dinosaures et ces ammonites.
Donc aujourd’hui, il est clair que l’humain modifie profondément son environnement et la nature qui l’environne, y compris bien sûr le climat. Alors, les causes de disparition sont diverses et variées. Et un papier très récemment dans la revue Nature repose la question : a-t-on déjà commencé à vivre la sixième grande crise d’extinction ? Et leurs conclusions sont assez claires, en fait. Ils montrent que par exemple on a perdu déjà 43 % des amphibiens - on part de 30-40 ans - et que si effectivement on continue à perdre les espèces à ce rythme-là, comme l’a imaginé l’UICN, l’Union internationale pour la Conservation de la Nature, on va aller en un demi millénaire, 500 années, on va perdre effectivement 75 % des espèces. Donc il faut absolument, bien sûr, qu’on réagisse si on veut éviter ces conditions très particulières.
Donc la question a vraiment sa pertinence. Aujourd’hui, il est impératif que l’on change nos modes de vie si on veut éviter de continuer comme on le fait à l’heure actuelle. Ça demande des changements assez radicaux dans notre façon de faire et dans les relations entre les humains et les non-humains.