AU TABLEAU !
Gilles Boeuf
Nous allons aborder maintenant la question des raisons des disparitions, des extinctions d'espèces, de destructions d'habitats qui existent. Et pour ça je vais revenir, en fait, au terme de « Homo sapiens ». C'est effectivement l'espèce, aujourd'hui, qui est responsable après des – un moteur de l'évolution qui correspondait à des changements environnementaux, des modifications qui affectent les habitats et les disparitions d'espèces. Et l'Homo sapiens est appelé « sapiens », l'homme sage alors qu'il a affublé de termes comme horridus, horribilis, gulo, atrox ou ferox, des espèces plus ou moins dangereuses pour lui, des crotales par exemple, ou des araignées. C'est vrai qu'aujourd'hui si quelqu'un qui vient d'ailleurs regardait les relations entre les humains entre eux et entre non humains et humain, je doute très fort que le vocable « sapiens », sage, vienne en priorité.
C'est bien lui qui est au centre du débat aujourd'hui, pour qu'on comprenne en fait pourquoi ces crises d'extinction sont-elles aujourd'hui en cours. Et pour ça il faut remonter à l'impact, l'histoire de l'impact de l'humain sur son environnement. Il y a trois dates clés, en fait, qui vont séparer l'humain de l'animal. La première c'est la domestication du feu. On est vers 800 000 ans en Israël où on trouve les premières traces de foyer. L'homme domestique le feu et ce feu va être magnifique puisqu'il permettra, l'hiver, bien sûr, de se chauffer, il augmente la longueur du jour quand les jours sont courts et surtout il permettra à l'humain d'aller vers des zones où il serait jamais allé autrement, sans le feu, il serait mort de froid. Il a perdu ses poils, il est – c'est pas une espèce géniale, il est pas très fort, il est pas très gros, pas très grand, pas trop petit. Il court pas vite, il saute pas haut, il nage pas vite. Si je prends les meilleurs nageurs dont on parle beaucoup en ce moment, ils nagent à la vitesse d'une carpe, il faut bien qu'on s'en rende compte. Mais il sait un peu tout faire et il est extrêmement opportuniste et extrêmement adaptable. La question c'est : « Quand est-ce que l'humain a cesser d'avoir sur son environnement l'impact d'un animal du même style, même masse, 40 ou 50 kg et qui mange un peu de tout ? »
Donc, le feu. Le deuxième date c'est le Néolithique. C'est justement l'époque où l'humain va s'arrêter de bouger, va commencer à protéger les femmes qui sont enceintes beaucoup plus souvent. Et on a le premier baby-boom, qu'on arrive très bien à mesurer, vers, à peu près 10 – 12 000 ans d'aujourd'hui. C'est là en fait que tout va commencer. Cet humain il va rapidement inventer agriculture et élevage, et après il va créer les villes. Donc on va avoir des communautés qui vont s'installer. Et l'humain s'installe et commence à avoir un impact très fort sur l'environnement.
Et la troisième date, c'est en fait l'invention de la machine à vapeur, la première locomotive. Donc c'est Denis Papin en France, James Watt aux États-Unis, et là on est juste après la Révolution française. Et là on commence à avoir besoin de pétrole et de charbon. Et on entre dans l'ère industrielle. Donc ces trois dates-là vont faire de l'humain une espèce très particulière par rapport aux autres et bien sûr, associé à ça, sa prolifération. Au moment où ceci se produit, on est 700 millions d'humains sur la Terre, aujourd'hui on est 7 milliards, et on sera 9 milliards en 2050. Donc tout ceci fait que le l'urbanisation effrénée, la multiplication de – de l'humanité, sa dissémination partout sur la Terre créent des conditions très difficiles. (Pour les non humains et pour la nature et son environnement.) Alors les quatre causes essentielles de destruction des écosystèmes et des espèces, la première c'est tout ce qui touche à la destruction et à la pollution. Ça veut dire qu'on enlève de la nature pour faire une ville par exemple, et on pollue, on contamine. Et quand on pense pollution, n'oubliez jamais une chose, c'est pas que la poubelle d'à côté ou la décharge publique. L'homme pollue aujourd'hui des zones où il n'est pas : le plein Pacifique, les grands fonds océaniques, l'Arctique ou l'Antarctique, parce qu'il y a des produits chimiques qui sont absolument disséminés partout.
L'acidité de l'océan change partout en ce moment. Il y a aussi des émissions de CO2 dans des zones où il y a absolument pas d'humains.
La deuxième cause, c'est, bien sûr, la surexploitation, et ça c'est très bien documenté, par tout ce qui touche à la forêt tropicale d'un côté et aux pêches maritimes de l'autre. On tire trop. On parle de ressources vivantes renouvelables. On a dépassé les seuils de renouvelabilité, et on revient, comme des ressources comme le pétrole ou le charbon, elles sont finies ces ressources. On a épuisé la morue. 500 années de pêche à la morue en harmonie, tous les pays riverains de l'Atlantique nord, depuis 1990, de puissants moyens de pêche, en détection des stocks et en capture, effondre les stocks des morues. 20 ans de moratoire, elle ne revient plus. Elle ne reviendra plus parce que quand elle a disparu, d'autres espèces prennent sa place.
La troisième cause, elle est beaucoup plus insidieuse, c'est la dissémination d'espèces qui vont ensuite devenir, ce qu'on appelle des espèces « invasives ». Ce sont les « aliens » des Anglais, « alien invasive species », des espèces – 300 000 plantes connues, 300 nous posent des gros problèmes. On les transporte partout, elles s'installent à la place d'autres et elles prennent de la place dans les écosystèmes.
Et la quatrième raison, c'est que la quatrième, c'est le climat, c'est le changement climatique qui produit des conditions aussi difficiles. Et le climat c'est pas que la température c'est aussi la remontée du niveau des océans, c'est aussi, bien évidemment, lié à tout ceci, toutes les questions qui sont liées aux aspects de salinité, des baisses d’oxygène, et c'est aussi l'acidification des océans en même temps que la température. Tout ceci, mis bout à bout explique aujourd'hui cette condition de crise que nous sommes en train de créer sur les habitats et sur les espèces.