Patrick Chambres, professeur de psychologie cognitive, université de Clermont-Ferrand.
-Il est vrai que la dimension sociale est très très déterminante de ce que l'on fait, ce que l'on pense, ce que l'on apprend ou n'apprend pas.
C'est dans ce cadre-là où, depuis plus de dix ans maintenant, j'ai une activité de recherche spécifique sur l'autisme.
L'autisme, c'est le handicap de la compétence sociale.
C'est très clair.
Et ce n'est pas une compétence sociale en particulier, c'est à peu près l'ensemble des compétences sociales dont on a besoin au quotidien.
Là, on est en train d'échanger, vous me regardez, je vous regarde, et je vais ajuster ce que je dis en fonction de la tête que vous ferez.
C'est dire que cette information me renseigne sur le fait que vous comprenez, que vous ne comprenez pas, ou que vous êtes d'accord avec ce que je dis, ou pas.
Donc, voilà une compétence sociale qui est assez fondamentale, puisque je l'utilise constamment dans les interactions du quotidien.
Ça ne veut pas dire qu'elles ne peuvent pas traiter cette information.
Ça veut simplement dire que, naturellement, dans les échanges que ces personnes ont eus avec leur environnement, les différents feedbacks, elles n'ont pas construit cette compétence.
Donc, ce qui n'a pas été construit de manière "naturelle", implicite, peut néanmoins se construire de manière explicite.
Quand on parlait d'outils, oui, je peux apprendre à une personne autiste à avoir de la compétence sociale et donc à réduire la probabilité d'exclusion, se sentir plus à l'aise car je vais comprendre ce qui se passe, être moins inquiet de ce qui peut se passer...
Je comprends mieux le monde.
En y mettant un bémol néanmoins, c'est que la personne autiste va devenir capable de lire les expressions faciales, émotionnelles, par exemple, mais cette activité n'est pas automatique.
Nous, on ne se dit pas : "Ah, elle sourit !"
Je vois que vous souriez.
Pour moi, c'est d'entrée un visage de quelqu'un qui est satisfait de ce qui se produit.
Alors que la personne autiste va se dire : "Elle a la bouche qui fait comme ça, les yeux comme ça : elle est contente."
Mais pour moi, si je prenais sur une échelle de 10, voir que vous êtes contente, en termes de coût, d'efforts à faire, ça me coûte 1 sur 10.
Donc, je peux consacrer 9 à comprendre ce que vous êtes en train de me dire.
Pour la personne autiste, sur 10, ça va lui prendre dans un premier temps peut-être 7 sur 10 à traiter cette information sociale, et il ne lui reste plus que 3 pour comprendre ce qui se passe : il ne comprend rien à la situation.
Voilà le lien aussi entre le social et le cognitif : on a une quantité de ressources de traitement, on appelle ça aussi ressources attentionnelles, qui est limitée.
Tout ce qui est automatique consomme très peu de ressources.
Nous, nous avons automatisé des tas d'analyses de notre environnement, ce qui nous laisse des ressources pour comprendre le cours, comprendre ce qui se dit dans l'interaction.
Donnons de la compétence sociale aux personnes avec autisme et on va rendre plus probable le fait qu'ils fassent des apprentissages plus basiques, plus classiques, en termes de langage, de mémoire, d'organisation, de résolution de problèmes, etc.
Mais là où va vivre une personne avec autisme, si on a la possibilité d'informer toutes les personnes qui vont autour, c'est le double rapprochement : la personne a fait des progrès en compréhension sociale et son environnement peut faire des progrès en termes d'adaptation.
Dans ce cas-là, les autistes vont avoir un niveau de participation sociale qui va leur convenir, et nous, on leur a fait une place qui leur convient aussi.
Voilà comment on peut résoudre le problème.