LEISHMANIOSE VISCERALE, LE « KALA-AZAR »
1. L’Histoire
C’est au Bengale, entre l’Inde et le Bangladesh, qu’une mystérieuse maladie est observée pour la première fois en 1824. La peau devient terreuse et les cheveux se cassent. Fièvre, maux de tête, amaigrissement, mort… En trois ans, l’épidémie provoque près de 750 000 morts dans la région. On baptise ce mal kala-azar qui signifie « mal noir ». La maladie se propage en suivant les voies de communication, routes et fleuves et frappe par épidémie tous les 15 à 25 ans.
Au XXème siècle, le mal noir étend son territoire en Asie, en Afrique comme au Soudan et en Ethiopie, le long des côtes méditerranéennes de l’Europe… jusqu’au Brésil.
En 1900, un médecin écossais, William Leishman observe au microscope le parasite dans la rate d’un malade.
Dès 1903, on soigne la maladie à base de sels d’antimoine, très toxiques mais très actifs contre les parasites.
Dans les années 1920, on produit une synthèse d’un dérivé de l’antimoine beaucoup moins toxique, le Pentostam.
En 1924, on découvre la véritable cause de la transmission, le vecteur du parasite : un insecte piqueur, une petite mouche argentée, le phlébotome.
Dans les années 50, l’Organisation mondiale de la Santé lance une grande campagne de pulvérisation de DDT, un insecticide pour éradiquer le paludisme. La tentative d’éradication échoue mais l’insecticide se révèle, contre toute attente, fatal pour le phlébotome. Dans le courant des années 1960, le kala-azar semble alors éradiqué. Mais les moustiques du paludisme résistent de plus en plus au DDT. Progressivement, on abandonne les campagnes de pulvérisation au début des années 1970. Les phlébotomes du kala-azar prolifèrent à nouveau et de grandes épidémies meurtrières resurgissent. L’Inde, entre 1977 et 1980, connaît une épidémie de 300 000 cas. Au Soudan, en pleine guerre civile entre 1984 et 1994, 100 000 personnes sont emportées par le "mal noir".
2- La géographie
La leishmaniose viscérale fait partie des maladies tropicales négligées. On dénombre entre 200 000 et 400 000 nouveaux cas par an, dans des régions essentiellement pauvres et rurales. 90% de ces nouveaux cas se trouvent en Afrique de l’Est, en Amérique du Sud et en Asie du Sud: au Bangladesh, Brésil, Ethiopie, Inde, Kenya, Népal, Soudan et Soudan du Sud.
En Afrique de l'Est, la maladie survient par vague épidémique. C'est par exemple le cas au Soudan du Sud depuis 2009. Chaque flambée se transforme en épidémie qui dure de 3 à 5 ans. Dans ce tout jeune état comme dans les pays voisins, la quasi inexistence des infrastructures sanitaires, les déplacements de population engendrés par les conflits et la pandémie de Sida favorisent ces flambées de leishmaniose.
En Ethiopie, entre 20 et 40% des patients souffrant de leishmaniose sont séropositifs au VIH. La co-infection est dramatique pour ces patients car les deux maladies s'entretiennent l'une l'autre. Malchance supplémentaire, la leishmaniose est l'une des infections opportunistes du Sida les plus difficiles à traiter.
En Asie du Sud, la souche du parasite, légèrement différente de l’africaine, est plus sensible aux médicaments donc plus facile à soigner. En 2005, le Népal, l'Inde et le Bangladesh ont présenté un programme visant à l'éradication de la maladie d'ici 2015. Entre 2005 et 2014, le nombre de malades est passé en moyenne de 40 000 à 15 000…
Enfin, la maladie touche aussi le Brésil, à raison de 4 à 5 000 cas par an, souvent chez les enfants malnutris...
Dans les pays du Maghreb, 90 % des malades sont de jeunes enfants. En Europe du Sud, elle touche souvent les personnes dont le système immunitaire est affaibli : depuis les années 1980, on a recensé 2500 cas de co-infection au VIH et à la leishmaniose dans cette région du monde.
En France, de 20 à 30 personnes sont touchées par la leishmaniose chaque année.
3. Le corps
Il y a deux formes de kala-azar , de leishmaniose viscérale. La première, commune au chien et à l’homme est causée par le parasite leishmania infantum,.On la trouve autour du Bassin méditerranéen, au Moyen-Orient et au Brésil. La deuxième forme, causée par le parasite leishmania donovani sévit en Asie et en Afrique.
Que ce soit l’une ou l’autre, le parasite s’y prend de la même manière pour contaminer l’organisme. Il se sert d’un intermédiaire, son vecteur, une minuscule mouche suceuse de sang de quelques millimètres: le phlébotome. Quand il pique une personne déjà infectée, le phlébotome ingère le sang humain chargé de parasites. Quand il pique à nouveau, le phlébotome les transmet à sa nouvelle victime.
A l’intérieur du corps humain, les cellules du système immunitaire chargées de détruire les agents pathogènes, les macrophages, phagocytent le parasite. Si le système immunitaire parvient à combattre l’infection, la victime sera immunisée contre toute nouvelle attaque. En cas de défaillance, la victime tombe rapidement et gravement malade… A l’intérieur des macrophages, le parasite a changé de forme, s’est multiplié puis a envahi tous les organes avec une préférence pour la rate et le foie.
Les malades présentent comme premiers symptômes : fièvre, anémie et gonflements de la rate et du foie. Sans traitement, les malades meurent.
En Asie, on appelle la maladie le « mal noir » à cause d’un symptôme fréquent : le noircissement de la peau.
La leishmaniose affaiblit le système immunitaire. Les malades contractent souvent d’autres maladies dites opportunistes, comme la tuberculose, le paludisme ou la dysenterie.
La leishmaniose est elle-même une maladie opportuniste. Une personne atteinte du VIH est plus vulnérable face au parasite qui prolifère dans son organisme. Lorsque le phlébotome pique un malade co-infecté, encore plus de parasites sont aspirés par l’insecte qui les disséminera lors des nouvelles piqûres. Ces malades co-infectés constituent un réservoir important pour la transmission du Kala-azar.
4- Les soins
La leishmaniose viscérale touche l’Afrique, l’Asie et le Brésil.
En Afrique, il existe un test rapide pour diagnostiquer la leishmaniose viscérale. Pour être sûr du diagnostic, il faut un test sérologique ou une ponction de la rate ou de la moelle osseuse. Seuls des laboratoires bien équipés, qui n’existent pas dans les zones rurales, peuvent réaliser ces tests.
SAGENA (Synthé)
J’ai découvert que mon enfant était malade parce que toutes les nuits il avait de la fièvre et vomissait. Nous l’avons amené à l’hôpital de Adong. Et c’est quand il a été envoyé à Malakal qu’on a découvert qu’il avait le Kala Azar.
Depuis 2010, une thérapie de 17 jours associe deux traitements, les sels d’antimoine et la paromomycine. En diminuant de moitié la durée du traitement, on a allégé le fardeau qui pèse sur les patients, le personnel et les structures de santé.
Les personnes gravement malades ou âgées et les femmes enceintes reçoivent un traitement différent car les sels d’antimoine donnent de mauvais résultats et augmentent le taux de mortalité.
Soigner les malades co-infectés, HIV et leishmaniose viscérale est très difficile. Ces malades ne seront jamais définitivement guéris de la leishmaniose : ils seront toujours susceptibles de faire des rechutes.
En Asie, la leishmaniose est plus facile à diagnostiquer et à traiter. L’OMS recommande l’ambisome, un traitement de deux heures administré en une seule perfusion, avec un taux de guérison de plus de 98%... Il est déjà utilisé par les programmes nationaux en Inde et au Bangladesh. L’ambisome a malheureusement l’inconvénient de mal supporter la chaleur et de s’administrer uniquement par intraveineuse.
5. Le futur
Dr Jorge Alvar (DNDi)
La leishmaniose viscérale ou Kala-Azar est présente sur 3 continents : dans le sud-est asiatique, dans l’est de l’Afrique et au Brésil.
Dans le sud-est asiatique, il y a un programme très ambitieux d’élimination qui a pour objectif de réduire le nombre de cas à moins d’un cas sur 10.000 personnes exposées à l’infection.
Le programme a connu un réel succès au Bangladesh, au Népal et également en Inde.
Dans l’Est de l’Afrique, le problème est plus sérieux.
Nous n’avons pas les médicaments adaptés, nous ne savons pas combattre la mouche des sables qui transmet la maladie.
Le DNDi concentre tous ses efforts sur cette région du monde pour développer 2 médicaments oraux qui permettront un nouveau traitement plus efficace tout en évitant les résistances.
Un problème supplémentaire existe en Afrique : les taux de co-infection Leishmaniose-sida sont très élevés. Cela entraine des rechutes pour les malades, un taux de mortalité très élevé et donc une maîtrise très difficile de la maladie. Un autre problème vient se surajouter : la malnutrition. Tout cela induit un contrôle extrêmement difficile de la maladie et des malades. Sans compter les flambées épidémiques causées par l’instabilité politique comme au Soudan du sud…
Pour finir, le Brésil est une autre zone importante d’infection.
Région du monde où la co-infection leishmaniose-sida est également très présente. Les soins y sont peu développés, peu efficace… DNDi là aussi souhaite développer une médication orale spécifique pour l’Amérique du sud.