- Sur la réalité de l'érosion de la biodiversité des insectes il n'y a plus guère de doute. Plus guère de doute mais un déclin de quelle ampleur ? La question est vivement débattue depuis la parution en 2020 d'une méta-analyse, c'est à dire l'analyse d'un vaste groupe d'étude. - Ce qui a beaucoup surpris les lecteurs et les scientifiques à la lecture de cette analyse, cette méta-analyse publiée dans "Science", c'est le résultat que la diversité ou l'abondance des insectes aquatiques était en augmentation, ce qui va à l'encontre des observations de la plupart des naturalistes et des autres études. Donc en fait c'est un problème plus technique dans le choix des publications primaires, que les collègues ont utilisé dans leurs méta-analyses, qui explique ce biais. C'est très compliqué, parce que les insectes appartiennent à différents ordres, famille etc. Et donc il faut des spécialistes pour les identifier, mais on est aussi obligé de faire appel à différentes méthodes d'échantillonnage et de capture, et donc on est obligé de combiner un certain nombre de techniques de piégeage. Alors ça peut être des pièges lumineux pour les insectes nocturnes, ça peut être des pièges attractifs pour les espèces diurnes, ça peut être des pièges passifs où on les laisse tomber dedans où ils sont interceptés par une paroi vitrée transparente. Et donc ça explique aussi la difficulté d'avoir des données fiables et complètes, parce qu'on n'a pas de méthode universelle pour capturer, piéger les insectes, et en dénombrer les individus ou identifier les espèces. On a une énorme diversité d'insectes. Il y a plusieurs millions d'espèces d'insectes et on est incapable de les connaître tous. Mais quand on dispose d'experts ou de méthodes de suivi, on observe cette érosion de l'abondance ou de la diversité des insectes, qui est quand même beaucoup plus marquée, il faut le reconnaître, dans les milieux les plus anthropisés, là où l'homme a le plus modifié les écosystèmes naturels. Donc il n'est pas étonnant que la biodiversité des insectes montre une érosion, un déclin, beaucoup plus marqué, dans les milieux agricoles, où l'intensification de l'agriculture, qui s'est accompagnée d'une simplification des types d'occupation du sol, avec des grandes monocultures et surtout l'emploi, depuis la moitié du siècle dernier, de pesticides, d'insecticides qui sont par nature toxiques contre les insectes, se soit traduit par une grande diminution, en terme d'abondance et en terme de diversité des espèces. L'autre déclin important des insectes s'est observé dans les milieux aquatiques. Par contre là où on diverge, par rapport à la publication dans "Science", c'est parce que, ces milieux aquatiques, se trouvent être dans une phase d'assèchement. Il y a eu beaucoup de réduction de mares, d'étangs, les rivières ont été canalisées. On sait aussi qu'en Europe, les rivières sont polluées et donc il y a toute une gamme, toute une diversité d'insectes aquatiques dont les larves sont aquatiques, qui pâtissent ou de la disparition de l'eau, ou de la diminution de la qualité de l'eau. Donc ces deux grands milieux, milieux aquatiques et milieux agricoles, sont ceux où l'on observe le plus ce déclin rapide. Alors il y a un troisième milieu que je voudrais souligner qui est un petit peu la mort silencieuse, si je peux m'exprimer ainsi, associée au milieu forestier. Il y a probablement une espèce d'hécatombe des insectes associée aux forêts tropicales à l'oeuvre, accélérée par la déforestation actuelle et les incendies de forêts que l'on observe, mais qu'on n'a pas encore réussi à chiffrer précisément faute de données. Dans le texte que nous venons de publier, en compte-rendu de l'Académie des sciences française, nous faisons trois recommandations : la première, c'est de mettre en œuvre des suivis de l'abondance et de la diversité des insectes, de façon à fournir des données fiables permettant de mesurer la réalité d'érosion, donc en faisant appel à des technologies nouvelles et aussi à de la science citoyenne en particulier. La deuxième recommandation c'est de s'occuper de ces causes du déclin, qui sont bien identifiées et pour lesquelles il faut agir. Donc en agissant sur l'intensification de l'agriculture, en agissant sur le changement climatique, sur les invasions biologiques notamment. Et puis il faut aussi que le public soit plus conscient de l'intérêt des insectes pour la santé de la planète et la santé de l'homme. Donc il faut revaloriser l'image des insectes vis-à-vis du grand public, mais aussi des décideurs publics pour, non seulement les suivre, les étudier, mais aussi arrêter les causes de leur déclin.