En France, moins de la moitié des femmes participe au dépistage organisé du cancer du sein qui prévoit une mammographie tous les 2 ans entre 50 et 74 ans. C'est bien dommage, car le dépistage permet de prendre en charge un cancer au stade précoce et réduit la mortalité de 20 à 30 %. Pour mieux lutter contre cette maladie à la fois tragique et banale, qui affecte 1 femme sur 8, l'oncologue Suzette Delaloge teste un dépistage personnalisé appelé MyPeBS. MyPeBS, c'est une étude qui évalue si estimer le risque de développer un cancer du sein dans les 5 ans permet de choisir si on va faire ou pas des mammographies dans les années à venir, donc retarder éventuellement l'âge de début des mammographies et faire des mammographies plus ou moins fréquentes selon le niveau de risque à l'échelle individuelle et à un temps donné. MyPeBS, c'est entre 40 et 70 ans. Les femmes de l'étude ont été tirées au sort, soit pour continuer le dépistage standard, mené dans 6 pays, dont la France. Soit pour avoir un dépistage qui est basé sur leur risque individuel à un temps donné. MyPeBS inclut un peu plus de 53 000 femmes. On a fini les inclusions l'année dernière, on est dans la période de suivi et on aura les résultats en 2027. Donc en 2027, on pourra dire si oui ou non, c'est vers cela qu'il faut tendre : faire un dépistage adapté en fonction du risque. Ce qu'on pense et qu'on espère, c'est que ce sera pertinent à l'échelle individuelle mais aussi à l'échelle de la santé publique : qu'on fera mieux, qu'on évitera plus les cancers graves, les traitements agressifs, tout en imposant moins de mammographies, moins tôt, à celles qui n'en ont pas besoin. Le score va utiliser mon histoire familiale, mon âge, mon histoire gynécologique : les hormones auxquelles j'ai été exposée, si j'ai déjà eu des biopsies du sein, et la densité des seins à un temps donné. Et surtout, un facteur majeur qui est un test génétique. Ce n'est pas un test génétique de prédisposition, mais un test qu'on fait avec un échantillon de salive, une seule fois dans la vie, et qui évalue les polymorphismes : les petites variations d'ADN qui prédisent une augmentation ou une diminution du risque de cancer du sein à l'échelle individuelle. Si les femmes ont moins de 1 % de risque de cancer infiltrant dans les 5 ans, on considère qu'elles sont vraiment à bas risque. Alors le rapport bénéfice-risque du dépistage n'est pas bon, donc leur prochaine mammo sera dans 4 ans. Par contre, si elles ont un risque au-delà de 1,7 % à 5 ans, ce qui n'est pas énorme, on considère qu'il faut des mammographies, même annuelles. Et si elles ont un risque très élevé, on propose également des IRM. En plus, on a des échographies si les seins sont denses, donc on utilise cet aspect de densité. Pour les 4 images de la mammographie, il y a des outils d'intelligence artificielle. Il y en a plusieurs en développement avancé, qui sont capables de prédire le risque dans les 2, 5 ou 10 ans, de développer un cancer du sein. C'est intéressant, parce que ces outils ont l'air d'être au moins aussi bons que les scores classiques multiparamétriques qui sont beaucoup plus complexes. Dans les grands messages, il y a le surpoids. C'est un facteur de risque, en particulier après la ménopause. Il faut essayer de lutter contre le surpoids. La deuxième chose, c'est la sédentarité : l'absence d'exercice physique ou une activité très limitée, le fait de rester assis toute la journée. On peut vraiment lutter contre ça. Malheureusement, les efforts de santé publique ne portent pas leurs fruits. Mais là aussi, il s'agit de dérives sociétales qui imposent aux personnes d'être assises de plus en plus. Troisièmement, dans nos modes de vie alimentaires, il y a beaucoup de choses connues aujourd'hui qui augmentent un peu ou beaucoup les risques de cancer du sein. Le premier, c'est l'alcool. C'est un facteur de risque. Et pas l'alcool avec des seuils d'addiction, mais déjà à des seuils beaucoup plus faibles. Il faut vraiment limiter sa consommation d'alcool pour avoir un risque minime de cancer du sein. Limiter, ça veut dire probablement moins d'un verre par semaine. Les recommandations actuelles, pour éviter les autres maladies liées à l'alcool, c'est plutôt, grand maximum, 7 verres par semaine, sans boire tous les jours. Dans l'alimentation, il y a pas mal d'autres choses qui vont être cruciales ou importantes, comme une alimentation équilibrée. De l'ordre de 8 % des cancers du sein peuvent être expliqués par une alimentation trop riche en sucre, en graisse, et trop pauvre en fibres. Aujourd'hui, on a d'autres pistes, par exemple les aliments ultra-transformés, avec beaucoup d'additifs, de substances chimiques, etc. On estime qu'à peu près 40 % des personnes développent un cancer pour lesquels on aurait pu, 5 ou même 10 ans auparavant, identifier la situation de risque et faire en sorte que le cancer soit pris plus tôt, voire qu'il ne survienne pas. Ça veut dire plus de dépistage, plus intensif, et une prévention personnalisée, ne serait-ce qu'en changeant de mode de vie, ou avec des médicaments, etc. Le concept d'interception, c'est ça : voir si on peut, à l'échelle nationale, identifier ces personnes à risque. On a commencé avec un certain nombre de risques et le cancer du sein était le premier. On a aussi des parcours pour les personnes à risque de cancer du pancréas, du poumon, de certains cancers génétiques, colorectaux, etc. Le cancer du sein est assez emblématique. On a ouvert en 2021 ce programme pilote à Gustave Roussy. Actuellement, on a 4 autres centres en France, des centres anticancéreux qui ont ouvert récemment. On aura entre 10 et 14 centres d'ici un an, et puis d'autres ensuite. On a un soutien du ministère de la Santé, pour faire la démonstration de cette nouvelle prévention personnalisée. Ces 3 premières années sont assez intéressantes. On a beaucoup de personnes qui commencent un exercice physique de façon pertinente. Plus de la moitié, ce qui est super. Et on a 40 % des femmes qui ont amélioré leur score WCRF, un score de nutrition et d'activité physique sur 7 points. On sait qu'augmenter de 1 point, c'est diminuer de 10 % le risque de cancer. Très tôt dans la vie, dans les tissus sains, on va avoir des mutations "driver", qui peuvent créer des cancers. On en a un peu partout et plus on vieillit, plus on en a, dans tous les tissus. Il y en a déjà à la naissance, à cause d'expositions anténatales. Il y en a dès les premières années de vie. Même ainsi, ce qu'on appelle l'expansion clonale ne va pas forcément donner lieu à un cancer. Donc on va pouvoir, dans le futur, très probablement, identifier les personnes qui ont des expansions clonales à risque et éventuellement savoir ce qu'il vaut éviter comme expositions. Ce sera très utile pour pouvoir intercepter le cancer, pour identifier tôt qu'un tissu est en train de changer, pourrait développer un cancer dans les années à venir et faire une intervention pour reprogrammer ce tissu. Ça, on sait faire. Un exemple trivial : les hormonothérapies utilisées en prévention, il y a des années dans des études cliniques. Ce traitement antihormonal prévient le cancer du sein. Ça diminue de 50 à 60 % le risque de cancer du sein. On ne l'utilise pas en population générale parce que les effets secondaires sont trop importants. C'est juste un modèle. On s'est aperçu que 20 ans après, les femmes qui avaient pris entre 2 et 5 ans de traitement antihormonal, 20 ans après, elles avaient un risque diminué de cancer du sein toujours de 50 à 60 %. En fait, on a reprogrammé le tissu très tôt et des années après, ça marche encore. Il faut donc utiliser ce modèle, c'est ce qu'on va développer dans les prochaines années, pour reprogrammer les tissus très tôt et empêcher la survenue du cancer dans le futur. On se dirige vraiment vers cette médecine assez futuriste, basée sur les biomarqueurs, sur l'identification du risque. C'est une surveillance différente de ce qu'on fait aujourd'hui. Mais finalement, ce sera comme le cholestérol pour les maladies cardiovasculaires. Le cholestérol est un biomarqueur qui reflète le risque. C'est probablement la prévention du cancer telle qu'elle sera dans les 20 à 30 ans.