TRANSCRIPTION INFOX ? RIPOSTES ? Des scientifiques face à la désinformation EPISODE : Canular et trottinettes contre les revues prédatrices Thomas Gauthier : Vous voulez une bonne nouvelle ? C'est maintenant prouvé que l'hydroxychloroquine guérit le Covid. C'est un article scientifique qui le montre. Si je tombe malade je cours directement m'acheter une boîte. Michaël Rochoy : Ah non mon cher Thomas, c'est un article qui ne montre rien du tout. Il a été publié dans une revue bidon, nous l'avons prouvé avec des collègues et cette histoire a fait le tour du monde. On en parle ? GENERIQUE Thomas Gauthier : Machine à remonter dans le temps, on est au printemps 2020. En France, Didier Raoult et d'autres ne jurent que par l'hydroxychloroquine pour soigner le Covid alors que les autorités de santé déconseillent ce médicament. Certains médecins en sont tellement fans qu'ils décident de se prendre eux-mêmes comme cobayes pour le tester. Michaël Rochoy : Ils ont essayé de montrer que c'était utile en proposant à des médecins de s'auto-prescrire ça lorsqu'ils étaient malades et de tester deux groupes : des médecins qui s'auto-prescrivaient et des médecins qui ne s'auto-prescrivaient pas. Thomas Gauthier : Ça n'a pas paru hyper sérieux à d'autres professionnels de la santé dont notre scientifique du jour et ses acolytes, à qui je décerne la palme des chercheurs les plus drôles de France. Vous allez comprendre. Quand le brouillon de l'étude - on appelle ça "pré-print" - a commencé à circuler, d'autres médecins se sont inquiétés et ont essayé de démontrer que c'était du grand n'importe quoi. Mais rien à faire ! En juillet, la fameuse étude est publiée dans une revue scientifique. Michaël Rochoy : Ce qui m'énervait dans cette étude, ça a principalement été le fait que ce soit par le biais d'une revue qui semblait être une revue prédatrice. Thomas Gauthier : Wow ! Pause, pause, une petite seconde. Une revue quoi ? Michaël Rochoy : … une revue prédatrice. Thomas Gauthier : Ok, pour comprendre, il faut commencer par expliquer comment fonctionne une revue scientifique “sérieuse” ou pas prédatrice. Alors je suis un chercheur, je pense avoir trouvé quelque chose de nouveau. J'écris un article avec mes résultats et je l'envoie à une revue scientifique. Et après il se passe quoi ? Michaël Rochoy : Une revue sérieuse, lorsqu'elle reçoit un article, elle le transmet à des relecteurs qu'elle juge compétents dans ce domaine. Et puis les relecteurs corrigent et renvoient à l'auteur, l'auteur répond aux relecteurs. Il peut y avoir plusieurs allers-retours qui se font comme ça. Thomas Gauthier : Comme des milliers de scientifiques, Michaël Rochoy relit régulièrement des articles, ça s'appelle la relecture par les pairs. Ça se fait de façon anonyme, pour ne pas être influencé, et c'est une critique constructive. T'es pas là pour juger le résultat mais pour vérifier la méthode et l'analyse utilisées. Alors une fois que tout est bon, soit le chercheur publie son article de façon classique - les lecteurs devront payer pour y avoir accès - soit une institution paie la revue pour que l'article soit accessible à tout le monde. Soit c'est l'auteur lui-même qui paie la revue. Et c'est là que des petits malins ont vu une aubaine. Michaël Rochoy : Certaines personnes peu scrupuleuses vont créer ce qu'on appelle des revues prédatrices, qui sont là pour accueillir tout et n'importe quoi. Quand elle reçoit un article, elle sait par avance qu'elle va l'accepter parce que, qui dit article accepté, dit argent encaissé. Le problème derrière cette démarche c'est qu'ils utilisent une revue prédatrice pour diffuser des messages qui ont probablement été refusés par des revues sérieuses, c'est-à-dire qu'ils utilisent un moyen de diffusion qui est malhonnête. Thomas Gauthier : Ok, c'est comme si moi je devenais testeur de fusée dans mon jardin et que la NASA se fondait sur mes résultats pour atteindre la lune. Hyper sérieux ! Michaël Rochoy : Le 20 juillet, on a cet article de Violaine Guérin et de Martine Wonner qui est publié dans une revue asiatique inconnue du grand public et on se dit : "On va essayer de prouver que c'est une revue prédatrice". Donc on essaye de publier un article qui est complètement canular, s'il est accepté alors c'est une revue prédatrice. Thomas Gauthier : Tout se passe sur Twitter. En quelques minutes, le Dr Rochoy discute avec trois autres scientifiques qu'il ne connaît pas mais qui ont le même humour que lui. Il met quelques idées dans un Google doc et la mayonnaise du grand n'importe quoi commence à prendre. Michaël Rochoy : Alors l'article s'intitule "Contrairement aux attentes, le Sars-Cov2 est plus létal que les accidents de trottinette. Est-ce que l'hydroxychloroquine pourrait être la seule solution ?" Thomas Gauthier : Attends… quoi ?!? Michaël Rochoy : C'est plusieurs études qui ont montré que, dans Google Actualités, on parlait moins d'accidents de trottinette entre mars et mai 2020 et puis qu'en même temps, il y a eu plus d’hydroxychloroquine qui a été vendue. Donc première conclusion naturelle : plus on utilise hydroxychloroquine, moins il y a d'accidents de trottinette. Thomas Gauthier : Les scientifiques blagueurs prétendent aussi avoir fait une expérience. Un groupe de trottineurs avec des bonnes trottinettes et de l'hydroxychloroquine et un groupe avec des trottinettes en mauvais état et pas d'hydroxychloroquine. Ils racontent qu'ils les ont fait foncer sur un mur puis après ils ont compté combien il y avait de morts de chaque côté. Évidemment il y avait moins de décès du côté de ceux qui prenaient le médicament miracle. Tout était prouvé ! Michaël Rochoy : Tout est faux aussi au niveau des références. On cite Picsou Magazine, Pomme d'Api. Dedans on cite clairement The Dark Knight et à la fin on cite Jean Claude Dusse qui dit que “sur un malentendu, ça peut passer”. Thomas Gauthier : Ah, j'adore cet humour ! Donc les quatre blagueurs ont envoyé leur article à la fameuse revue, celle qui avait publié l'article qu'ils jugeaient comme n'étant pas sérieux. Et un beau jour… tadam ! l'article canular est publié dans la revue bidon. Michaël Rochoy et ses complices partagent leur énorme farce sur le web. Et c'est l'emballement. Michaël Rochoy : Cela a été relayé absolument partout, du Canada à l'Inde en passant par le Brésil, la Suisse et la France évidemment, la Belgique, partout. C'est un des best-sellers de la communauté scientifique. Ce qui est flatteur et en même temps… gênant. Thomas Gauthier : Incroyable ! Bravo les gars, palme d'or de l'imposture, vraiment. Vous étiez satisfaits ? Michaël Rochoy : Nos objectifs étaient atteints. Celui déjà de montrer que l'article de Martine Wonner était dans une revue prédatrice, lui était bien atteint. Et puis celui d'informer sur ce qu'étaient les revues prédatrices était pas mal atteint, pas seulement auprès des scientifiques mais vraiment auprès du grand public. Thomas Gauthier : Franchement bravo ! Moi j'aurais jamais cherché à savoir ce qu'est une revue prédatrice et là j'ai juste envie de raconter cette histoire à tout le monde. Mais il y a un petit truc qui me chiffonne quand même : ce genre de canular, ça risquerait pas de décrédibiliser la science ? Michaël Rochoy : Clairement, il ne faut pas répéter les hoaxs et les canulars comme ça tous les quatre matins, ce n'est pas du tout ce qu'il faut faire. Mais je pense que ça a été fait relativement intelligemment, c'est-à-dire que tout est canular de A à Z, il n'y a aucun doute. Même pour le grand public c'est vraiment très clair. Thomas Gauthier : Et maintenant on fait comment pour que les revues prédatrices fassent moins de victimes innocentes à l'avenir ? On ne pourrait pas juste les interdire ? Michaël Rochoy : C'est très compliqué de faire disparaître ces revues prédatrices parce qu'en fait il y en a plein. Souvent ce sont des revues qui peuvent être tenues par quelqu'un en caleçon dans son garage à l'autre bout du monde et qui envoie des mails aux scientifiques en disant : "Venez publier chez moi". Ce qui est important c'est déjà de communiquer auprès des scientifiques, que les revues prédatrices existent et qu'il ne faut pas se faire avoir. On peut aussi éviter que les articles des revues prédatrices passent au niveau du grand public et pour ça le meilleur moyen c'est d'avoir, dans chaque rédaction, des journalistes scientifiques qui sont bien formés à ces questions. Thomas Gauthier : Ah, ça donne presque envie de devenir journaliste scientifique ! Pour défendre la planète Monde contre les affreux colporteurs de science moisie. Un grand merci de nous avoir suivi, tout le monde ! A l'avenir demandez-vous : "Qui a écrit ça ?", "Est-ce que cette personne a un intérêt dans l'histoire ?". La science ce n'est pas une affaire d'opinion. Et sur ce, je vous dis à très bientôt pour d'autres vidéos sur les réactions des scientifiques face à la désinformation. D'ici là, musclez votre esprit critique ! Bye !