Vous connaissez sûrement l'arénicole, le ver marin qui fait des tortillons de sable. L'hémoglobine contenue dans son sang fixe plus d'oxygène que l'hémoglobine humaine. De plus, elle n'est pas contenue dans des globules rouges, il n'y a donc pas de souci de compatibilité sanguine. Elle n'est ni immunogène, ni allergène. Franck Zal, biologiste français, a fait cette découverte. Il souhaite mettre ces produits au service des patients Covid-19. L'étude Monaco testant l'efficacité du produit HEMO2life de la société Hemarina, devait commencer ces jours-ci sous la responsabilité de l'AP-HP. Mais elle a été annulée en raison des résultats d'une étude de 2011 sur le modèle porcin. Franck Zal nous répond. Pourquoi l'AP-HP a suspendu l'essai français ? Simplement parce que l'ANSM a reçu le 8 avril une lettre anonyme parlant d'essais réalisés sur des cochons il y a 10 ans avec un produit qui n'était pas du tout le même. On a réalisé sur ces cochons un essai de choc hémorragique létal. Dans l'étude, j'ai lu qu'on parle de 100 % de mortalité. Il n'y avait que trois cochons. Ces trois cochons recevaient le produit et le bras contrôle impliquait du liquide hypersalin. Il faut savoir que dans le cas de ces animaux, on parle de choc hémorragique létal. C'est-à-dire qu'on allait jusqu'au bout de la mort des animaux. On allait regarder la défaillance multiviscérale et on essayait de ressusciter les animaux quasiment morts. Dans cet essai, les trois cochons ont reçu le produit M101 et sont morts. Dans le bras contrôle, il y en a un des deux qui est mort. Je veux être sûre de comprendre. Ce protocole avait pour but de tester la molécule dont on parle ou pas ? Non, le produit qui a été testé dans cette expérimentation n'avait rien à voir avec le produit dont on parle aujourd'hui. Ce n'était pas du tout le même. Quel est l'usage courant du sang de ver marin ? Aujourd'hui, l'hémoglobine a été développée principalement pour la transplantation d'organes. Quand on déconnecte un greffon de la circulation sanguine, c'est une course contre la montre. Pour un cœur, on a 4 heures, pour un poumon, 6 heures, pour un rein, 12 heures. Il faut faire très vite. On a donc développé cette molécule dans le produit HEMO2life comme un additif à toutes les solutions de préservation des greffons à transplanter. Pourquoi avez-vous pensé que cette biotechnologie pouvait s'appliquer aux malades du Covid-19 ? Au démarrage de cette pandémie, j'ai été contacté par des réanimateurs, des médecins qui ont pensé au syndrome de déficience respiratoire aiguë. Ce sont des patients qui arrivent en réanimation avec jusqu'à 70 % de leur capacité respiratoire altérée. Les poumons ne permettent plus un échange sanguin normal. C'est comme s'ils se noyaient dans leurs propres poumons. Quand des patients sont dans cet état, on peut soit les intuber pour amener plus d'oxygène dans les poumons, soit si c'est plus avancé, on les met en circulation extracorporelle. On vient de me contacter pour utiliser cette molécule comme respirateur moléculaire afin d'éviter de faire basculer ces patients en réanimation lourde ou pour temporiser leur entrée en réanimation lourde. Concrètement, qu'est-ce qu'on injecte aux patients ? On injecte le produit HEMO2life qui a une concentration dont on a déterminé la sécurité pour la greffe d'organes. C'était un gramme par litre en plusieurs paliers pour déterminer la bascule entre l'hypoxie et la normoxie, pour voir un signal d'oxygénation des patients. On injectait ce produit par dose ascendante pour déterminer la sécurité du produit, voir où se trouve le point de bascule, et adapter l'oxygénation des patients. Concrètement, que contient ce produit ? Il contient un "plasma expander". C'est un liquide pour mettre la molécule en solution qui s'appelle "plasma expander", et la molécule qui est l'hémoglobine extracellulaire issue de ce ver marin. D'accord. Pouvez-vous me parler de l'essai Monaco ? Que pouvez-vous m'en dire ? Il a été monté par des réanimateurs. C'est un essai qui visait à utiliser cette molécule dans tout ce que je vous ai décrit chez des personnes très atteintes. Aujourd'hui, il y a des facteurs de comorbidité qui empêchent certains réanimateurs et anesthésistes de traiter ces patients car on sait qu'ils ne supporteront pas l'intubation ou l'ECMO, oxygénation par membrane extracorporelle. C'était pour ce type de patients. Ça visait à tester la molécule chez les patients atteints de Covid dans un état d'asphyxie très poussé. Vous avez d'abord été contacté par la Chine. J'ai été contacté par la Chine, le Mexique, l'Inde, l'Égypte, le Liban, les États-Unis. Ces demandes viennent d'un peu partout. Je n'ai pas compris la réponse aussi brutale de l'AP-HP, sachant que tous les documents avaient été fournis à l'ANSM. Le jour même, quelques heures après, ils avaient l'information sur ces tests. Il n'y a même pas eu l'attente d'analyse de l'ANSM des documents, ils ont pris une décision complètement irrationnelle qui va à l'encontre des patients. Hemarina est-elle la seule entreprise à développer la biotechnologie à base de sang de vers marins ? Oui, c'est la seule entreprise. Nous sommes des pionniers dans le développement de cette molécule pour les applications dont je vous ai parlé. Nous sommes les seuls. Toute cette technologie est transparente et publiée. Vous tapez mon nom ou "arénicole" sur Library of Medecine, vous aurez tous les articles au sujet de cette technologie. Notre volonté lors de la mise en place de l'essai Monaco, c'était qu'il soit ouvert. On voulait une transparence totale des résultats et des données. On voulait pouvoir ouvrir l'ensemble de ces données à la communauté internationale. On était parti du principe que dans un cas de pandémie, il n'y a ni protection, ni propriété intellectuelle, tout est ouvert à la communauté internationale. Vous êtes plutôt confiant sur le fait de pouvoir mener ce test ? Bien sûr, je suis certain qu'on aura un retour de l'ANSM qui permettra d'ouvrir le protocole. Il n'y a aucune raison de ne pas essayer ce protocole. Aujourd'hui, on parle du tassement de la courbe des personnes Covid en réanimation. La courbe est continue, il y a autant d'entrées que de sorties. Ce serait criminel de ne pas utiliser tous les moyens à notre disposition pour pouvoir sauver potentiellement des vies.