Doit-on poser des limites à la manipulation des virus ?
Alors que la revue Nature a mis en ligne le 3 mai 2012 des travaux décrivant l'obtention d'un virus de la grippe aviaire H5N1 transmissible entre mammifères, le virologue Jean-Claude Manuguerra et le biologiste Michel Morange débattent autour des questions soulevées par ce type de manipulations génétiques.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 28min42
Accessibilité : sous-titres français
Doit-on poser des limites à la manipulation des virus ?
Un plateau, deux invités, seuls devant les caméras. Ils sont là pour mener un débat exactement comme ils le veulent. Le débat et vice-versa Doit-on poser des limites à la manipulation des virus ? Premier invité, qui êtes-vous ? Donc je m'appelle Jean-Claude Manuguerra, je suis chercheur à l'Institut Pasteur, l'essentiel de mes travaux porte sur les virus grippaux et je suis virologiste. Même question, pouvez-vous vous présenter ? Je m'appelle Michel Morange, je suis biologiste, biologiste moléculaire, et je m'intéresse aussi à l'histoire et à la philosophie des sciences, et aux relations entre la science et la société. Top chrono, vous avez maintenant 30 minutes pour vous exprimer et vous écouter. Allez, c'est parti. Poser des limites à la manipulation des virus, oui c'est une, c'est une bonne question. Seulement, je pense qu'elle vient un peu tard. Elle vient un peu tard parce que, là on parle des virus grippaux H5N1, qui ont été manipulés pour répondre à une question, mais ça vient tard parce qu'en fait la manipulation des virus grippaux, comme d'autres virus s'est faite depuis plusieurs années. Et, et il aurait éventuellement fallu se poser la question avant que les limites technologiques ne soient levées à cette manipulation de virus. Je pense qu'au-delà de ce débat, dont vous avez rappelé l'intérêt et l'actualité, il y a un débat plus fondamental sur la liberté de la recherche, qui se pointe en quelque sorte derrière ce, cette question spécifiquement liée à la manipulation du virus de la grippe. Est-ce qu'il y a une liberté de recherche, est-ce que cette liberté peut et doit être éventuellement limitée ? Est-ce qu'il y a de même, une nécessité dans certains cas de limer... – limiter la liberté de communication scientifique ? Et si on répond oui à l'une ou l'autre de ces deux questions ou aux deux, qui sera en charge de cette limitation ? Est-ce le milieu scientifique lui-même qui doit s'auto-réguler ? Est-ce la société qui doit venir limiter l'activité des scientifiques, leur activité de communication ? Je pense donc qu'il y a une question ponctuelle, il y a une maladie qui peut être potentiellement très grave, il y a une pandémie, et puis il y a une question assez fondamentale sur la recherche et la liberté de recherche. Petit rappel des faits : en septembre 2011, deux équipes américaines et hollandaises annoncent avoir créé au laboratoire, un virus de la grippe aviaire, transmissible entre mammifères. Des résultats qui ont soulevé une vive polémique. Fallait-il manipuler génétiquement le virus H5N1 ? Et fallait-il le communiquer aux autres biologistes ? Pour l'heure, les chercheurs ont suspendu leurs recherches. Pour quoi faire ? En fait, la manipulation génétique des virus est faite pour apporter des outils. Des outils à la fois pour la détection des virus, dans le diagnostic, à la fois des outils pour la prévention des maladies virales ou bactériennes, par, en fabriquant des, des vaccins. Ou alors on peut faire des manipulations génétiques juste pour répondre à des questions, des questions scientifiques, si on prend par exemple le cas du virus H5N1, dont on a beaucoup parlé, qui fait l'objet de polémiques. L'idée c'était si ce virus, H5N1 – grippal H5N1, n'est pas capable de se transmettre entre mammifères, peut-être que tous les efforts qui sont faits pour empêcher que le virus ne passe des oiseaux à l'homme, en fait peut-être que tous ces efforts, tous les moyens qui sont mis dedans, sont, ne sont pas nécessaires, et, et peut-être que ces moyens pourraient être utilisés à lutter contre d'autres maladies. Et donc, la question était légitime parce qu'effectivement si la réponse avait été non, ben, peut-être qu'il aurait fallu revoir les programmes qui ont été mis en place depuis, depuis fin 2003, début 2004. Maintenant, la réponse est oui. Et donc ça, ça, ça apporte quand même un, un éclairage intéressant sur, eh ben sur l'opportunité, la pertinence de, des efforts qui sont faits pour éviter justement le passage de ce, de ce virus d'oiseau à l'homme. Si j'ai bien compris, mais vous me corrigerez si ce n'est pas le cas, ce virus chez les oiseaux a créé une maladie très grave puisque 60 % des personnes qui sont infectées, je crois, meurent après infection. Et la question était s'il acquiert cette capacité de passer d'homme à homme, on aura un virus qui sera à la fois plus dangereux que tous ceux qui ont été connus, jusque tous les virus de la grippe décrits jusqu'ici. Et qui en plus pourra, comme tout virus grippal, passer facilement d'un individu à l'autre. Donc on aura un agent pathogène particulièrement dangereux. Effectivement, chez l'homme pour l'instant, il a une sévérité très, très grande lorsqu'il infecte, mais pour l'instant, c'est pas un virus qui est adapté à l'homme. Et, s'il s'adapte à l'homme probablement, probablement que ses, ses capacités néfastes pourraient être changer par des mutations qu'il acquerrait au cours de l'adaptation. Donc, il est pas sûr que le virus qui deviendrait transmissible conserve ce niveau de pathogénicité. Alors, là aussi, le ré... – les résultats qui ont été produits ont montré qu'il faut, je crois, 5 mutations seulement des, pour, apparemment faire que ce virus puisse passer d'homme à homme, et être transmis entre les, les humains. Et ces 5 mutations, si j'ai aussi bien compris, elles existent déjà mais elles existent séparées. Et, la peur donc, que les gens ont, c'est que d'une certaine manière, elles puissent être réunies dans un virus qui lui deviendrait capable de diffuser dans la population humaine. Tout à fait. Alors, en fait, ce qui est intéressant, c'est que les mutations effectivement, elle n'ont jamais été ensemble. Peut-être parce que tout est une question de hasard, de hasard et de sélection. Et donc, la nature l'a pas fait encore mais elle pourrait très bien le faire elle-même. C'est simplement un, un, faire des mutations comme ça c'est, c'est, c'est fait couramment dans les laboratoires. Alors évidemment, ça n'a pas toujours des conséquences sur les, sur les capacités du virus à se multiplier, à infecter, à se transmettre, mais c'est effectivement un, un jeu de meccano génétique qui permet de, de, de comprendre quels sont les déterminants au niveau moléculaire de, des propriétés virales. Alors les auteurs, je crois ont avancé deux arguments disant que si on connaissait mieux ces déterminants moléculaires, d'une part on pourrait mieux surveiller éventuellement l’émergence d'un tel virus, et on pourrait aussi peut-être aller plus vite dans la production de vaccins. Alors je pense que ça c'est vraiment, c'était pas vraiment, pas vraiment astucieux de leur part, de, de mettre ça en avant. Sur les questions de la surveillance, pour moi c'est un, c'est un, c'est, c'est un peu un, c'est pas vrai, c'est, c'est, c'est faux. C'est, c'est déjà fait, ça servira pas à ça, ça servira pas à ça. L'autre, l'autre argument qui a été avancé par les auteurs c'est : ah ben ça sera intéressant pour le vaccin. Or, les déterminants qui ont été, moléculaires, qui ont été modifiés là, en fait n'ont pas d'impact sur l'antigénicité du virus et il existe déjà un vaccin contre le virus H5N1. Donc, c'est, je pense que là c'était une mauvaise, une mauvaise ligne de défense, enfin à mon, à mon sens. Antigénicité : Capacité de l'antigène à être reconnu par le système immunitaire J'avais le sentiment moi, que c'était un travail au fond intéressant du point de vue fondamental parce que justement il nous permet de mieux comprendre, comme vous le disiez, les déterminants moléculaires. Mais que peut-être qu'il y a là une sorte de problème qu'on voit dans la recherche et que les scientifiques ont trop besoin aujourd'hui de justifier leur travail, souvent en disant on va avoir un vaccin, on va avoir un remède. Et que s'ils disent simplement, ben on aura une connaissance accrue et cette connaissance c'est toujours bon parce qu'on aura des armes plus adaptées, plus fortes pour lutter contre le virus. C'est pas considéré souvent comme suffisant. On attend d'eux qu'ils nous disent : voilà j'ai fait quelque chose pour un vaccin. Et que c'est peut-être un problème que la recherche rencontre souvent : de devoir tellement se vendre que finalement souvent avec de mauvais arguments qui peuvent se retourner contre les chercheurs. Ah oui, oh ben ça c'est, c'est clair. Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est clair que la, la science a besoin de visibilité pour avoir des fonds. Et lorsqu'on demande des fonds à la puissance publique par exemple. En Europe, l'Union Européenne est un grand pourvoyeur de fonds pour la, pour la recherche. Ou aux États-Unis, avec certains instituts qui, qui distribuent des, des, des fonds, effectivement il nous manque, il nous manque des déliverables. C'est quoi un déliverable ? Alors si on leur dit que c'est de la connaissance pure ça ne leur va pas. Alors si, encore si la connaissance pure se transforme en article, là, c'est quelque chose qu'on peut, qu'on peut toucher, qu'on peut mesurer. Et donc là, c'est de la connaissance transformée en publication. Et plus on a cette transformation en publication, et plus on est visible et plus on peut avoir de, voilà. Et donc c'est un peu un, un cercle, qui pourrait être vertueux, mais qui quelquefois, va, va dans le mauvais sens. Tout à fait, j'avais été un peu déçu par justement, en lisant les, ce que disaient les auteurs. Sur le fait que, ils limitaient leur projet justement de manière tellement étroite que l'on ne voyait plus l’intérêt de connaissance sur le, du virus proprement dit, de son, de sa transformation éventuelle. Et j'avais lu, et je pense que c'est peut-être vrai, que le mérite essentiel de cet ou ces articles enfin qui vont paraître, de ces travaux, c'est de montrer qu'il y a un danger. Au fond, ils ont montré que c'était probablement pas très compliqué d'arriver à un virus capable de passer... Et donc, ils ont levé le drapeau rouge, et que c'était peut-être un des mérites essentiels de ces travaux. Il y a, il y a deux niveaux. Effectivement, le, la publication qui est intéressante parce que la, la réponse apportée est assez claire, qui justifie plein de choses, dans la lutte contre la grippe aviaire. Mais alors, après il y a l'autre question c'est, c'est le virus. Qu'est-ce qu'on fait de ce virus ? Alors là, après c'est, c'est un peu, c'est un peu du délire. On entend tout de suite des, alors, des récriminations sur quel niveau de confinement doit avoir le virus, est-ce que ce virus est très dangereux. Je dirais, pour l'instant, il a tué zéro humain ce virus. Les virus dangereux ils sont dans la nature. En particulier. Ou dans les laboratoires de recherche sur la guerre bactériologique, on dit quelque fois. Oui alors... Il y a plus de virus dangereux dans ces laboratoires que dans tous les laboratoires de recherche fondamentaux. Oui, et puis quand même, enfin je ne sais pas si vous serez d'accord avec nous, ou avec moi. C'est tout le, quand même, le virus le plus dangereux qui tuait 50 millions de personnes par an dans le monde, c'est le virus de la variole. Voilà, ça c'est un virus super dangereux. Or, ce virus-là, on l'a éradiqué par la vaccination, et il est gardé dans deux laboratoires qui étaient de chaque côté du rideau de fer, un en Russie, et l'autre aux États-Unis. Et je pense que certains, vous avez du le voir dans la nature des débats, et il y a un professeur de New York qui, qui disait, qui calculait le temps au bout duquel la probabilité que le virus sorte de, du laboratoire et s'échappe pour se répandre dans, chez l'homme. Je me demande s'il a fait le calcul pour la variole, si elle sortait des laboratoires américains. Alors, c'est vrai que, vous parliez tout à l'heure de la liberté de la, de la recherche, c'est vrai que, il y a quand même, il y a quand même des limites, il y a des limites réglementaires, il y a des limites, il y a toujours des limites, je veux dire, pratiques à la, à la mise en, à la mise en œuvre de la recherche. Mais c'est vrai que la recherche elle est quand même dans la société. Et je comprends quand on, on agite comme ça le chiffon rouge, que les voisins de l'institut où il y a eu le virus soient inquiets. Mais les virus ça sort pas comme ça de, des fioles. Et alors, on a eu très, très vite des délires sur « ah ben il faut mettre ça dans des niveaux de confinement plus élevés. » Et non parce que le virus, il est dans un tube et si on n'ouvre pas le tube, il va pas sortir. Avec quels risques ? Si on parle du virus H5N1 modifié, tel qu'il est là, le risque est pour l'instant théorique. Parce que le virus est dans un laboratoire. Ce sont des laboratoires d'instituts qui sont connus. Les, quand on fait, quand on fait un programme de recherche, on dépose des dossiers pour montrer que le confinement est suffisant, que la sécurité du personnel et de l'environnement est prise en compte. Et donc, c'est pas un virus qui est comme ça dans un frigo, ou complètement ouvert au milieu de, au milieu de la ville. Il est, il est. Donc, pour l'instant le risque est théorique. Alors effectivement, il peut y avoir un accident de laboratoire. On peut pas dire qu'il y en aura pas. Il y a eu quelque fois des accidents de laboratoire, qui ont contaminé du personnel, qui ensuite ont pu contaminer quelques personnes. Mais ça n'a jamais donné vraiment d'épidémies. Donc, pour l'instant c'est un peu une vue, enfin qui à, à, à mon sens, est un petit peu pessimiste sur la possibilité, la possibilité de ce virus de se répandre. Je ne sais pas ce que vous en pensez. Ben, mais j'ai le sentiment en particulier de, à propos du débat qui s'est tenu aux États-Unis, puisque c'est un peu parti de là, c'est parti d'un organisme américain chargé de rechercher en quelque sorte, les dangers pour, ce qu'ils appellent la biosécurité. NSABB : National Science Advisory Board for Biosecurity C'est-à-dire l'utilisation éventuellement de, de résultats de la biologie, pour, par des gens malintentionnés, que ce soit des terroristes, des pays terroristes ou des associations de terroristes. C'est surtout au fond le risque d'une utilisation de ces nouveaux virus qui a été mis en avant, plus peut-être que le risque de l'accident de laboratoire et du, du fait que le virus pourrait par erreur, par mauvaise manipulation se retrouver dans l'environnement et passer. Il y a un risque d'une mauvaise utilisation du virus, et ça c'est un risque qui est, qui est, qui est anticipé ou qui est imaginé, par, par des spécialistes de la biosécurité, notamment aux États-Unis, qui sont là pour lutter contre le terrorisme ou l'utilisation d'armes biologiques par des, par des États. Alors que l'autre partie, c'est plus dans la, dans la société. C'est-à-dire, que, c'est pas tellement les aspects de biosécurité, je crois que c'est pas une peur dans la société vraiment. En revanche, la société réagit très mal lorsqu'on dit ben vous créez des choses qui sont dangereuses, est-ce que vous avez le droit de faire ça ? Donc, c'est, c'est deux débats un peu différents. Moi je pense. Oui, aux États-Unis, il y a des raisons, qui sont qu'il y a eu le septembre 2001, et puis il y a eu cette fameuse attaque avec le, le virus du charbon, là pendant, où il y a eu je crois 5 morts par quelqu'un qui envoyait du, du virus du, de la bactérie du charbon, pardon, et dans des lettres, qui a contaminé un certain nombre de personnes. C'est, c'est, c'est un très bon exemple. L'arsenal des gens malintentionnés est, se trouve dans la nature. Et il faut pas, il faut pas s'imaginer, enfin je ne crois pas que il y ait des équipes qui puissent être à ce point dotées assez longtemps pour développer des recherches, qui peuvent utiliser, ou qui peut aboutir à un virus modifié. Alors que, il y a, il y a beaucoup de choses qui sont dans la nature et il suffit de se baisser pour les ramasser. Et le virus du charbon en est un exemple. Alors, il y a quelques fois des bactéries qui sont issues de laboratoires, qui sont identifiées. Mais le, le, la bactérie du charbon est dans la nature. C'est un, c'est une bactérie naturelle. Donc, là il y a aussi tout un fantasme, de la, de la création d'arme etc. Et, et alors le gros problème dans la, dans la, dans la gestion de ça, c'est qu'on a un peu une vision souvent nucléariste des choses. C'est-à-dire qu'on veut contrôler, on veut faire de l'anti-prolifération à tous les, à tous les, les étages. Ben, je crois justement qu'on a dit que ce virus de la grippe, même s'il est potentiellement dangereux, à l'origine d'une pandémie, en fait, ça serait une très mauvaise arme pour les terroristes, pour des raisons, d'une part parce qu'ils serait pas protégés, plus que le reste de la population. Donc il est impossible de le cibler. Je veux dire tout le monde serait touché. Puisque ça serait une pandémie. Et deuxièmement, c'est pas un très bon choix non plus, parce qu'on a quand même déjà des armes contre, on a un vaccin. Vous en parliez plus tôt. On a quand même des agents antiviraux qui sont relativement efficaces. Tout à fait. Donc, il y a sans doute dans la nature, des armes biologiques potentiellement plus, plus utilisables par des terroristes et, que ce, que ce virus. Il me semble aussi qu'il y a une crainte c'est que, je veux dire on peut toujours imaginer des scénarios catastrophes, et en particulier, imaginer des esprits tordus qui vont faire ceci ou cela. C'est sans fin, je veux dire. Et, si on commence à rentrer dans ce genre de scénario catastrophe, avec quelqu'un qui cherche à faire du mal, les moyens de faire du mal sont infinis. Donc, c'est totalement paralysant. C'est vrai que moi j'aurais tendance pour apaiser, parce que tout ça fait beaucoup de mal à la communauté scientifique quand même, notamment dans l'opinion publique. Moi je, ma position c'est, c'est, c'est que, ce qui a, l'outil qui a permis de répondre à l'hypothèse de base, de départ, existe. La réponse ayant été apportée, je pense qu'ils devraient, pour l'exemple, se débarrasser de ce virus muté. D'accord. Publier, mais détruire ce virus muté, parce qu'effectivement, je pense que c'est pas bien compris par la société. Oui. Alors, on ne doit pas empêcher, fallait pas empêcher de le, de le faire, parce que ça, je crois que la réponse est à. Le résultat était intéressant en quelque sorte. Voilà le résultat est intéressant et peut être utile. Mais en même temps, si on détruit, justement on ne perd pas puisqu'on a le résultat, et que s'il y a d'autres recherches, nécessité qu'on fabrique un virus analogue, ça serait assez facile à faire, vu les connaissances actuelles. Ça ne serait pas une perte de temps de détruire ce, ce virus. Ce qui est aussi assez étonnant, c'est que en fait, la, la question s'est posée au moment de la publication, mais en fait, ces programmes-là sont financés, sont financés par des, par des grandes agences. Une partie du programme était financé par des fonds américains. C'est pas, c'est pas un projet qui est sorti comme ça, c'est pas des gens qui traînaient dans un coin, et puis tout d'un coup, on s'est aperçu que, que, mais qu'ont-ils fait ? Ces projets ont été déposés. Plein de gens les ont lus, et tout d'un coup, on se dit : ah mais, c'est horrible, on a un virus super dangereux, mais, oui mais c'est – à ce moment-là, il fallait pas financer le programme. Là il y a quelque chose que je ne comprends pas. Ou alors c'est jeter l'argent par les, des contribuables, par les fenêtres. Enfin, je sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve que là c'est un peu tard pour se poser la question. Si, mais cette controverse, certains journaux s'en sont emparés, et en ont fait des titres. Même Nature, a joué un rôle ambigu, parce qu'au fond, ils ont beaucoup parlé de cette question, ils ont à la fois mis l'accent dessus, lancé un débat, accompagné le débat, pour eux c'est quelque chose, c'est assez juteux au fond une, une affaire comme ça, pour les ventes du journal. C'est de la bonne, c'est de la bonne publicité. Quant à l'équipe, elle était aussi, probablement intéressée à ce qui est aussi ce, toute cette, toute cette présentation, donc qui a conduit à la polémique, de manière à rendre visible leurs recherches, pour avoir ensuite des fonds pour d'autres recherches. Alors peut-être qu'on peut revenir un petit peu sur les peurs de, de la société, des gens, de, de voir de tels virus, ou agents pathogènes, sortir des centres de recherche. Ce n'est pas totalement nouveau. Je sais qu'au XIXe siècle, les voisins de Pasteur, quand il était à l’École Normale déjà, et à l'Institut Pasteur après, n'étaient pas très heureux du voisinage qu'ils avaient autour d'eux, et ça a perduré. Donc. Et c'est normal je veux dire à la limite que le, le public s'inquiète. Il n'y a rien d'anormal. Mais comment au fond pourrait-on essayer de, de lutter contre ces, ces peurs, ou de faire comprendre la vraie nature des risques. C'est pas simple. Je pense que grosso modo, il y a quand même beaucoup, beaucoup à faire dans l'éducation scientifique, il n'y a pas de culture scientifique, il y a peu d’émissions scientifiques à la télévision. Je pense que il, il est important d'avoir, de, de cultiver cette, cette dimension de, de la connaissance générale. Et je pense que, c'est par cette, cette connaissance minimale, de base, qu'aurait le, la majorité du public, qu'on peut, ben, ne pas avoir ces peurs, parce que ces peurs sont des peurs souvent qui sont des, des, des peurs basées sur des mauvaises informations, des mauvaises représentations. Avec des garde-fous ? Quels garde-fous il pourrait y avoir, comme vous le disiez, le premier garde-fou serait en amont. Au moment où un projet de recherche est déposé, par exemple, reçoit un financement, est contrôlé pour les risques qu'il peut poser. Et dans le cas qu'on a vu, justement, apparemment ces garde-fous n'ont, n'ont pas joué. Mais évidemment si on place ces garde-fous en amont, au moment d'un projet de recherche, on peut commencer à limiter la, la liberté de la recherche scientifique. Puisque on va dire que telles voies de recherche, telles lignes de recherche, sont impossibles, défendues, parce que potentiellement trop dangereuses. Qu'est-ce que vous en penseriez de ça ? Ben, effectivement, il y a là, il y aurait une certaine limitation de la liberté de la, de la recherche, et probablement qu'on pourrait arriver à un résultat contraire à celui recherché. C'est-à-dire que si on interdit ce, ce type de travaux, c'est pour protéger les populations finalement, qu'on empêcherait ce type de recherche. Mais au bout du compte, peut-être qu'en empêchant de la connaissance, en empêchant de répondre à certaines questions, on arrive à l'effet inverse. C'est-à-dire que la recherche ne progressant plus, on arrive paradoxalement à mettre en danger la population. Et dans les garde-fous qui sont, qui sont érigés, notamment sur les aspects de biosécurité, ça devient extrêmement difficile d'échanger des souches bactériennes ou des souches virales. Et c'est très important notamment, pour la protection des publics lors d'épidémies, de pouvoir avoir ces échanges. Or, ces échanges sont limités par des réglementations extrêmement, extrêmement dures. Du coup, ça a un coût financier très, très important, et on arrive maintenant à des situations complètement ubuesques, où on n'arrive plus à, à avoir d'échanges entre laboratoires, et qui sont, et notamment avec certains pays, il y a des virus qui entrent dans, dans certains pays, qui sont de vrais trous noirs. C'est-à-dire, une fois que ça rentre dedans, ça sort plus. Et ça, ça c'est un gros problème pour l'échange de matériel biologique. Par exemple, d'avoir au départ classé le H5N1 dans les, dans les agents sensibles, c'est, c'est une erreur. Et d'ailleurs, dans les recommandations de, américaines qui avaient été faites, parmi les garde-fous qui avaient été envisagés, il y avait publier le travail sans publier le protocole précis mais en fait le détail était connu de la majorité des chercheurs, donc ça n'avait guère de sens. Et puis, il y avait une autre mesure qui avait été envisagée, c'est une diffusion limitée des résultats. Donc, il y aurait une sorte de liste de correspondants de, à la moralité élevée, qui auraient le droit de recevoir l'information scientifique et par contre, les autres ne l'auraient pas. Ça c'est absolument scandaleux. Je sais pas ce que vous en pensez, mais c'est absolument, la diffusion restreinte est absolument scandaleuse. La publication c'est pour être publique. La, le, le but d'un projet de recherche, c'est de produire de la connaissance et la connaissance doit être là, doit être partagée. Sinon, sinon elle a pas de sens. Et ça voudrait dire quoi en fait de limiter à certaines personnes ? Qui aurait droit de le lire et qui n'aurait pas le droit de le lire ? Enfin, je pense que, c'est, c'est, ça c'est ahurissant et un peu choquant de, de même penser à cette diffusion restreinte. Disons que je pense que c'est vrai que toute la science s'est bâtie sur un : la liberté de recherche, et deux : la liberté de communication. Ce sont un peu deux valeurs fondamentales, deux valeurs fondamentales de la science et deux raisons de son succès. Alors en même temps, peut-être qu'on peut dire qu'il y a eu quand même, c'est peut-être là où l'histoire peut être intéressante, il y a eu des cas d'auto-limitation. Par exemple, par les scientifiques eux-mêmes, de diffusion d'un certain nombre de leurs travaux parce qu'ils considéraient qu'ils étaient potentiellement dangereux. On va sortir des virus mais, un cas intéressant, c'est avant la Seconde Guerre mondiale, quand pas mal de scientifiques anglais, américains, ont vu les potentialités, la possibilité de construire une bombe atomique à partir des connaissances accumulées en physique. Et, voyant le régime nazi, voyant ses ambitions, d'eux-mêmes se sont limités dans la publication des résultats scientifiques qui pouvaient être sensibles, parce qu'ils ne souhaitaient pas justement que les physiciens allemands, ou certains physiciens allemands, puissent disposer d'informations, qui pourraient les aider à construire éventuellement une arme atomique. C'est un cas intéressant et qui je pense pose, bon, pas mal de questions éthiques. Ben, l'auto-limitation c'est, c'est autre chose. C'est-à-dire que effectivement après il y a, il y a les, la conscience de, du chercheur, des chercheurs. Peut-être qu'on peut être plus positif ou se dire quelles sont quand même les limites. Parce que on peut imaginer des situations où effectivement une équipe de recherche, pour des raisons d'ambition ou, fasse des choses qui soient répréhensibles ou qui soient... Et quels sont les moyens donc pour la communauté scientifique de s'auto-limiter ? Alors, il y a par exemple, le moratoire, puisque dans ce cas-là, il y a eu un moratoire de deux mois qui avait été fixé et qui a été prolongé. C'est quelque chose qui a déjà existé dans le passé, où la communauté scientifique fixe un moratoire avant d'avoir justement édicté, par exemple, des règles de manipulation, de communication, adaptées à un nouveau projet. Je pense que les chercheurs doivent pas être complètement déconnectés de la société. Et lorsqu'il y a à un moment une question qui se pose, lorsqu'il y a un émoi, parce qu'il y a eu un émoi, je pense dans la population, il faut, il faut prendre le temps de poser des questions, et de manière à y répondre de manière sereine. Et, il faut pas dire on arrête tout de suite. Il faut pas dire on continue coûte que coûte. Je pense que c'est bien de dire, ben, on souffle un peu. Alors des moratoires de deux mois, c'est quand même pas très long, non plus. Mais je pense que c'est, il faut prendre le temps de la discussion. Je regrette un peu que les débats qui ont eu lieu, orchestrés à l'OMS, avec les parties prenantes, n'aient pas été plus largement ouverts. Puisque là, c'est un débat qui va beaucoup plus loin que, que l'équipe qui, que les équipes qui ont travaillé sur ces virus de grippe aviaire. Parce que le débat, il faut, il faut, il faut le débat, il faut le temps de ce débat et il faut pas non plus forcer la société à accepter des choses, sans qu'elle puisse comprendre ce qu'il se passe. Et je pense qu'au moment du moratoire, d'abord ça montre une certaine bonne volonté, de la part des, des équipes. Et puis, ça, c'est là pour poser des questions, et c'est, et faire en sorte de, de, de se faire comprendre par la société en général, et je pense que ça c'était bien. Et moi personnellement si j'avais une conclusion, elle est un peu idéaliste, mais il me semble que les, les chercheurs devraient remettre au premier plan, la volonté de connaître, le projet de connaissance. Alors c'est pas facile parce qu'ils sont soumis à de telles pressions, en particulier financières, ils doivent, ils obtiennent ces financements pour faire leurs recherches sur des projets précis. Mais, néanmoins lorsqu'ils sont libres de, de dire ce qu'ils pensent, qu'ils réaffirment haut et fort que le principal objectif de la recherche, c'est d'augmenter la connaissance. S'il y a des bénéfices, comme les vaccins, la possibilité de lutter contre les maladies, c'est parfait, mais qu'on n'y arrivera pas, à ces objectifs, sans un progrès de la connaissance, et que on doit juger la valeur des travaux sur le progrès de la connaissance et peut-être pas sur justement des revendications un peu sensationnalistes, redonner à la connaissance toute sa place. Alors, avec bon, les limites que l'organisation de la recherche actuelle impose aux chercheurs, mais néanmoins, je pense que, au moins ils gardent dans leur tête que l'idéal c'est la connaissance. C'est déjà fini, bravo et merci. On se retrouve bientôt pour un nouveau débat : deux invités dans ce même plateau, rien que pour eux.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 28min42
Accessibilité : sous-titres français