Tout a si bien commencé. En’Hedu’Anna, née au 23e siècle avant le Christ-Roi dans la région de Sumer, une ancienne civilisation au sud de la Mésopotamie aujourd’hui l’Iraq, les couche tous à ses pieds. Son père, le roi Sargon d’Akkad, la proclame grande prêtresse du Dieu-Lune et lui offre les clés du temple de sa ville d’Ur, véritable maison de l’éducation et du savoir. On lui doit les plus vieux poèmes sortis des décombres, où défilent ses idées et ses croyances considérées comme les premiers hymnes religieux et récités plus de 5 siècles après sa mort, ainsi qu’une certaine idée de la modestie, s’estimant comme « la vraie femme qui possèdait la sagesse supérieure ». On sait un peu moins qu’elle est la reine mère de la Science, la première astronome attitrée dans son royaume, occupée à suivre les étoiles et à reporter les cycles de la Lune, donnant naissance aux premiers calendriers. Certains poèmes témoignent d’une véritable méthode scientifique enrobée d’un vocable mystique. Voilà comment, aussi loin que remontent nos souvenirs, la femme est entrée dans la science : princesse et poétesse éduquée détenant tous les pouvoirs. A quel moment le tableau a-t’il merdé ? On peut citer les philosophies de la Grèce antique de Platon, 427 à 347 avant Jésus-Christ, et d’Aristote, 384-322 avant Jésus-Christ, ce dernier laissant à l’humanité des propos bien sentis sur l’infériorité des femmes. « Des êtres inférieurs, sans logique, sans intelligence » qui auraient « un défaut par nature ». Ou bien l’apparition du concept original de « la sorcellerie », et le jeu dangereux que joue Aglaonice de Thessalie, mère de tous les vices pour les générations futures. Installée en Grèce à la fin du 2e siècle avant J-C, la jeune téméraire maîtrise parfaitement les mécanismes des éclipses de Lune, lui permettant de prévoir le moment où l’astre de nuit entre dans l'ombre de la terre. Plutarque témoigne ainsi qu’elle « abusait les autres femmes en les persuadant qu'elle faisait descendre la Lune. » Ses tours de passe-passe ne provoquent pas de franche rigolade, mais plutôt la terreur face à cette dangereuse sorcière. Hypatie, née vers 370, connait un destin autrement tragique. Cette surdouée de la science, mathématicienne, astronome, philosophe et directrice de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie, « surpasse tous les philosophes de son temps » selon l’historien chrétien Socrate le Scolastique, rappelant qu’« un nombre presque infini de personnes accouraient en foule pour écouter » ses enseignements dispensés en public, au milieu de la rue. Tant de sagesse et d’éloquence excitent forcément les pauvres âmes ignorantes, en particulier l’Eglise d’Alexandrie. Entouré de molosses remontés à bloc, l’évêque local Cyrille cueille la païenne érudite à la sortie de chez elle, la massacre dans une église à coup de pots cassés, la démembre et traîne les morceaux à travers la ville. La période du Moyen-Age n’arrangea pas la cause des femmes instruites, traitées de sorcières et brûlées vives. L’odeur de cramé, qui a su formidablement traverser les époques, titille aujourd’hui encore nos sensibles narines.