Plus de 18 000 victimes, une catastrophe nucléaire, et une région sinistrée pour des décennies, c’est le bilan du mégaséisme et du tsunami qui a frappé le Japon en 2011. Or cette menace reste présente au Japon, car l’archipel est situé au carrefour de plusieurs zones de faille. Pour les surveiller et surtout mieux comprendre leur dynamique, le pays a mis à la disposition de la communauté scientifique, un bateau de forage océanique profond, le Chikyu. Sa dernière mission qui s’est achevée en décembre dernier avait pour objectif de venir inspecter la zone de faille du mégaséisme de 2011, avec à son bord, Marianne Conin, une des responsables scientifiques de cette expédition internationale.
- Sous 7 km d'eau, il y a des pressions extraordinaires. Donc, quand on va forer, il faut que l'on descende un train de tiges. Il nous faut plusieurs heures, une quinzaine d'heures pour atteindre le plancher océanique, en vissant le train de tiges. Une fois qu'on les a atteints, il faut que l’on déploie des caméras sous-marines pour voir exactement le plancher océanique, être sûr qu'on n'est pas en train de forer dans une falaise, par exemple. On a le positionnement de cette caméra par rapport au bateau, et il faut imaginer qu'on a des courants marins extrêmement forts dans cette région. Si vous avez le bateau qui est là, avec 7 km de tuyaux, et bien, en fonction des courants, il peut être relativement loin du bateau. Et puis ensuite, on va commencer le forage. On va forer un petit trou. Le trou, il faut imaginer qu’il fait dix centimètres de diamètre, à peu près, dans des zones où c’est fracturé, qui ont subi un "magnitude 9", donc, il y a des choses qui peuvent s'effondrer. Ça, c'est un des challenges. On va aussi forer différentes natures de roches : une fois qu'on a passé les sédiments, qu'on a passé ces zones de faille, et la zone de faille principale, en dessous, on s'attend à trouver des "cherts" qui sont un peu des silex. Si vous avez déjà manipulé des silex, ce sont des roches très très dures, et qui se cassent. Si elles se cassent et qu'elles tombent sur le train de tiges, elles peuvent le bloquer. Après, on veut essayer d'aller forer dans les basaltes, cette roche magmatique très dure, qui se trouve au toit de la croûte océanique. Donc c'est vraiment un challenge très important.
50 scientifiques se sont relayés à bord pendant 4 mois, en travaillant comme l’ensemble de l’équipage, 24h/24. L’expédition a permis de remonter à bord plus d’un kilomètre de carottes, qui ont été coupées en deux. Une première moitié va être observée millimètres par millimètres, et échantillonnée. Et l’autre archivée. L’objectif : comprendre les processus de réparation des failles après des mégaséismes, étudier la structure de cette zone de subduction et la circulation de l'eau. L’expédition a également permis d’installer un observatoire dont les données seront relevées lors d’une prochaine expédition dans une dizaine de mois. Dans cette zone, la probabilité d’un nouveau séisme dévastateur dans les prochaines années est désormais faible. En revanche d’autres failles sont, elles, observées en temps réel car le risque de mégaséisme y est majeur.
- Dans d’autres zones de subduction, on a carrément relié ces observatoires avec des câbles sous-marins et donc la donnée arrive en temps réel. Donc ça, c'est ce qui se passe au Sud-Japon, dans la zone de Nankai, sur laquelle j'ai beaucoup travaillé également. C'est une zone où l'aléa est extrêmement fort, parce qu'on attend une magnitude supérieure à 8.5 donc un mégaséisme, et surtout les côtes sont plus proches. Si, par exemple, dans la zone de Nankai, qui est au sud de Tokyo, on a un mégaséisme, la vague mettra moins de 5 minutes pour arriver à toucher les côtes, quand elle a mis une heure au niveau de Tohoku, et c'est très surveillé.
L’inquiétude est donc vive au Japon : une alerte au mégaséisme a été lancée le 9 aout 24 par le premier ministre après une secousse de magnitude 7,1, et début 2025 la probabilité d’un mégaséisme dans la zone de Nankai dans les 30 prochaines années a été revu à la hausse pour atteindre désormais les 80%.