Nous sommes à Folschviller, dans le bassin minier de Lorraine, là où 2 chercheurs ont découvert dans le sous sol un réservoir d'hydrogène naturel. Peut-être l'un des plus gros du monde. À l'heure de la transition énergétique, cette découverte n'est pas passée inaperçue. Et pourtant, elle est due au hasard. C'est en fait en cherchant comment exploiter les gaz issus du charbon souterrain, le méthane notamment, qu'ils sont "tombés" sur ce gisement d'hydrogène. Encore reste-t’il aux chercheurs à confirmer leurs estimations et comprendre comment s'est formé ce gaz.
- La Lorraine a une géologie un peu particulière puisqu'on a l'empilement de 2 bassins sédimentaires. Si on regarde sur cette coupe, on voit en orange et en rose des sédiments qui appartiennent à ce que l'on appelle le bassin parisien. Ce sont des sédiments relativement récents qui ont environ 260 millions d'années. Et en-dessous de cette pile sédimentaire, on a des formations que l'on remarque ici sur cette coupe en blanc et en noir, qui sont les accumulations de sédiments du Carbonifère. Là, on a eu des accumulations très importantes avec des successions de dépôts de minéraux, de sable en fait, et des dépôts de plantes, de débris de plantes qui ont donné naissance aux veines de charbon. Et on a pu remarquer que dans ces profondeurs-là, les veines de charbon ne contenaient pas ou très peu d'hydrogène, alors que l'hydrogène est plutôt concentré dans les interbandes, dans les parties entre les veines de charbon. C'est ce qui nous fait dire qu'en fait la source de l'hydrogène est profonde et que ce que l'on observe dans notre forage, c'est en réalité un panache de diffusion de l'hydrogène produit en milieu profond, vers 5 km. Donc aujourd'hui, nous, on propose une estimation du volume d'hydrogène sous nos pieds, de l'ordre de 37 millions de tonnes d'hydrogène dans les formations carbonifères de Lorraine. Parce que justement, on est les seuls aujourd'hui à pouvoir faire une mesure d'hydrogène dans un forage. En effet, les scientifiques ont développé, avec l'aide d'un industriel, Solexperts, un outil, une sonde qui permet de mesurer directement dans le sous-sol la concentration des gaz pourtant dissous dans l'eau des aquifères, ces roches souterraines perméables et donc remplies d'eau.
- Ce type d'instrument, en fait, s'il n'existe pas, c'est tout simplement parce qu’il faut avoir un système membranaire qui va laisser passer exclusivement les gaz en laissant l'eau sur sur site, et qui va nous permettre de remonter ensuite les gaz dans un circuit de circulation de gaz. Et ce gaz va passer au travers d'un certain nombre d'instruments de mesure que l'on va déployer sur site et qui vont nous permettre de voir en ligne, in situ, et de façon instantanée la concentration des gaz et son évolution avec le temps.
- C’est d’autant plus innovant que lorsque l'on descend à ces profondeurs-là, c'est-à-dire 1200-1500 m de profondeur, on a des pressions qui s'exercent sur la membrane, qui sont de l'ordre de 150 bars. Pour donner un ordre de grandeur, c'est plus de 7 fois la pression qu'il y a dans un pneu de voiture. Donc il faut que les innovations technologiques puissent répondre à ces contraintes.
- Donc voilà la capsule de gaz, la capacité qui a permis de prélever un échantillon de gaz à 1300 m de profondeur. Pour l'instrumentation, les scientifiques se sont appuyés sur les 30 années d'expertise des équipes du laboratoire GeoRessources de l'Université de Lorraine. Elles sont notamment spécialisées dans la spectroscopie. Cette technique permet, grâce à la lumière, d'analyser les gaz échantillonnés dans les ampoules de la sonde.
- Voilà les derniers échantillons qu'on a reçus et on va essayer de voir quelle est la nature des gaz qui sont présents. Car il s'agit maintenant pour les chercheurs de trouver comment fonctionne cette usine à gaz, de comprendre les mécanismes à l'origine de cet hydrogène. Alors on a aujourd'hui un certain nombre d'hypothèses. On va en privilégier une qui est le fait d'avoir sous nos pieds, dans les formations carbonifères, un minéral d'intérêt, qui est un carbonate de fer qui, on le sait, dans des conditions de grande profondeur, en l'absence d'oxygène, va pouvoir déstabiliser la molécule d'eau, couper cette molécule d'eau pour produire de l'hydrogène. Et pour tenter de valider cette hypothèse, retour au laboratoire où Jacques Pironon et son équipe tentent de reproduire les mécanismes physico-chimiques qui se déroulent à plus de 3 km de profondeur.
- On va essayer de mettre cet échantillon dans des conditions dites “anoxiques”, sans oxygène. Une fois cet échantillon dans l'environnement sans oxygène, on va sertir la capsule en or pour l'isoler de l'environnement extérieur. Après, on va la mettre dans ce qu'on appelle un autoclave. Cet autoclave, on va l'enfourner dans un four pour simuler les conditions de température. La pression quant à elle sera simulée à partir d'une pompe adaptée qu'on appelle une pompe hydropneumatique.
- Il y a une différence énorme entre le million d'années qui sont les conditions naturelles et puis la semaine, le mois, qui sont les durées de laboratoire. Donc on peut augmenter la température et quelque part simuler une augmentation du temps.
L'hydrogène naturel, blanc, est une ressource prometteuse pour la décarbonation de l'industrie ou des transports. Les 2 chercheurs voient donc plus loin. Ils ambitionnent de créer à partir de la sonde qu'ils ont mise au point un nouveau moyen d'exploiter l'hydrogène dissous sous nos pieds.
- Le challenge, c'est de développer un outil qui nous permettra aussi de faire de la séparation de gaz dans le milieu souterrain. On a envie de faire une usine in situ, c’est-à-dire de faire vraiment la séparation de gaz dans la formation, donc sous nos pieds, et de pouvoir remonter ces gaz en surface et ensuite de pouvoir les stocker et les distribuer.
Les 2 chercheurs se donnent trois ans, jusqu'en 2027, pour réussir ce challenge et créer leur première usine pilote d'exploitation d'hydrogène naturel.