- Dans la transition énergétique, il y a 2 grandes contraintes. La première, c'est de diminuer au plus vite les émissions de gaz à effet de serre. Mais la deuxième, c'est de le faire avec la meilleure acceptabilité sociétale. Car oui, il faut faire évoluer nos moyens de transport, mais il faut aussi pouvoir continuer à se déplacer quand on ne peut pas prendre le vélo. Si l'électrique et l'hydrogène ont le vent en poupe depuis plusieurs années, un autre type de ressource énergétique s'invite depuis quelques mois sur le devant de la scène : le carburant de synthèse. Pour certains, se substituer aux ressources fossiles pourrait être une alternative pour décarboner les transports. - Le carburant de synthèse, c'est quoi ? C'est se dire "je veux faire les mêmes carburants." Par exemple du diesel, du kérosène, du gaz naturel, mais avec des ressources durables et renouvelables. En théorie, l'idée est simple : générer un cercle du carbone vertueux, synthétiser un carburant avec du CO2 déjà émis pour éviter que celui-ci ne s'accumule dans l'atmosphère tout en s'assurant que la quantité de CO2 produite pour la synthèse de ce carburant et ré-émise par sa combustion n'excède pas la quantité initiale de CO2 capturée. Une recette dont les ingrédients sont faciles à se procurer. - Il faut de l'eau, de l'électricité et du CO2. À l'heure actuelle, tout commence par l'électrolyse de l'eau. Un courant électrique casse la molécule d'eau qui se décompose en dioxygène et dihydrogène. Le dihydrogène est ensuite combiné au CO2 pour réaliser la catalyse, c'est-à-dire la production du carburant de synthèse, aussi appelé E-fuel, électro-carburant ou E-carburant. Naturellement, l'électricité employée doit être issue de renouvelable et pas d'énergie fossile. C'est sur la partie catalyse : la transformation en hydrocarbure que se concentre Alban Chappaz au Commissariat d'Énergie Atomique de Grenoble. - On va avoir l'hydrogène et le CO2 qui vont arriver en entrée du réacteur en étant comprimés et chauffés. Ensuite, on va avoir la séparation de toutes les coupes liquides qui sont produites en plusieurs étapes. Tous ces liquides sont analysés pour caractériser les performances de la réaction qui transforment le CO2 vers les hydrocarbures. La particularité de ce laboratoire, c'est qu'il ne se cantonne pas à étudier une seule molécule. Au contraire, il analyse un large éventail de carburants de synthèse afin d'optimiser toutes les étapes de production. On est encore loin d'une production de masse. Il existe aussi une alternative plus récente qui permettrait de stocker l'énergie produite : la photosynthèse artificielle. - Le cœur de cette recherche, c'est d'arriver à combiner l'absorption de la lumière, sa conversion en électricité, la conversion de cette électricité en molécules avec la catalyse. Au laboratoire, on développe beaucoup de catalyseurs, ensuite on s'attache à combiner ces catalyseurs avec des éléments qui vont capter la lumière. L'idée derrière cette approche, c'est de pouvoir produire des carburants, stocker de l'énergie, lorsque l'on a déjà atteint les besoins en production d'électricité solaire photovoltaïque. L'énergie que l'on va stocker au sein du carburant solaire, on va pouvoir la stocker sur des grandes durées et en grande quantité au lieu d'être obligé de la réutiliser directement, comme c'est le cas pour l'électricité photovoltaïque. Cette approche a récemment été concrétisée dans le cadre d'Easy Fuel, un projet européen auquel a participé l'équipe de Vincent Artero. Le carburant, ici du méthane, serait produit directement par synthèse solaire. Une solution qui pourrait être industrialisée d'ici 2 à 3 décennies. - Ces cellules photoélectrochimiques intégrées combinent des panneaux photovoltaïques à haut rendement et un électroliseur qui va transformer l'eau en oxygène et en hydrogène. C'est cet hydrogène qui va être collecté ici et qui va servir à alimenter le biométhaneur. Le mélange va être envoyé dans le biométhaneur ici. On a une culture de ces organismes méthanogènes qui utilise l'hydrogène pour transformer le CO2 en méthane. E-méthane, E-méthanol, E-essence, E-kérosène, E-gazole et même E-ammoniac lorsqu'on remplace le carbone par l'azote. La liste des carburants de synthèse possibles est longue, tout comme le nombre d'industriels majoritairement allemands engagés dans la mise au point de leurs propres électro-carburants. À l'instar d'INERATEC, Siemens Energy et Porsche. Ces derniers, parmi les plus actifs, ont même construit une usine pilote au Chili qui devrait produire jusqu'à 550 millions de litres de carburant de synthèse en 2026. D'ici-là, la production plus modeste sera destinée en priorité aux voitures de course de leur championnat. La grande ambition des carburants de synthèse, c'est de revaloriser le CO2 responsable du réchauffement climatique. Mais au fait, de quel CO2 parle-t-on ici ? - Il y a 3 possibilités : soit utiliser du CO2 qui vient de sources ponctuelles. Ça veut dire de procédés qui émettent actuellement du CO2 fossile. Par exemple des cimenteries et des aciéries. Idéalement, il faudrait utiliser du CO2 qui vient de l'air directement capté dans l'air ou bien du CO2 de la biomasse. L'idée de produire des carburants de synthèse n'est pas nouvelle. Alors pourquoi un tel engouement aujourd'hui ? Et bien parce que l'Union européenne a annoncé il y a quelques mois l'interdiction de la vente de voitures thermiques à partir de 2035. Juste avant de signer l'accord le 28 mars 2023, certains pays comme l'Allemagne ont accepté cette interdiction, sous réserve que les moteurs thermiques perdurent au delà de 2035, en étant alimenté par des carburants de synthèse. Une position décriée. - Dans l'automobile en tant que telle, les E-fiouls ont une pertinence tout à fait limitée. Pourquoi ? D'une part aujourd'hui il y en a pas. La deuxième chose c'est que, si ça se développe, le prix va être important. C'est plus intéressant de les avoir dans l'aérien ou le maritime parce que ces deux secteurs-là n'ont pas d'autres solutions majeures de décarbonation. Ils sont plus faciles à transporter et à stocker que d'autres alternatives comme l'hydrogène ou autre. C'est intéressant de les avoir pour ces secteurs là. Des E-carburants pour la navigation ou l'aviation ? Voici une approche partagée par l'Agence nationale de la transition écologique : l'ADEME. Dans son rapport d'octobre 2023, elle ne prend en compte que ces 2 moyens de transport. Ce qui est déjà considérable puisque d'après ses prévisions, les besoins en électricité, nécessaires pour la synthèse de ces carburants, équivaudraient à la production de 13 EPR en 2050. - Les 13 EPR au plus fort de l'hiver, ça représente 20 % de la production et de la capacité totale du système électrique français. Un réacteur sur cinq qui est dédié à la production de carburant de synthèse. Juste pour faire voler des avions et transporter les marchandises. Des chiffres spectaculaires qui découlent directement du Pacte vert pour l'Europe, dont l'objectif est d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050. D'un point de vue maritime, les navires de plus de 5 000 tonnes faisant escale dans les ports européens devront réduire progressivement l'intensité de leur gaz à effet de serre, jusqu'à être diminués de 80 % en 2050 par rapport à 2020. La part des carburants de synthèse n'est néanmoins pas définie avec précision. Car si la technologie qui sous-tend certains des carburants renouvelables est déjà au point, leur application dans le secteur maritime doit encore être testée et déployée à grande échelle. D'un point de vue aérien, le Conseil a adopté le 9 octobre 2023 le règlement ReFuelEU Aviation, qui impose une part croissante d'utilisation de carburant durable pour atteindre une part minimale de 70 % en 2050, dont la moitié devra être assurée par des carburants de synthèse. C'est bien au niveau européen qu'on souhaite se donner cet objectif commun. Il est très ambitieux. Donc oui, les carburants de synthèse dans l'aérien ont un rôle important à jouer. C'est clair Si on veut une telle production en 2050, c'est maintenant qu'il faut lancer les études. C'est maintenant qu'il faut mettre au point les process industriels pour à la fois les fiabiliser et puis surtout faire baisser les coûts.