Ils s’étendent sur un territoire plus vaste que la France et forment un gigantesque réservoir d’eau douce désormais menacé. Les glaciers réagissent aux variations climatiques à long terme et constituent ainsi les observatoires privilégiés des bouleversements à venir. Mais en raison de leur accès difficile, seul 1% des 200 000 glaciers et calottes glaciaires qui couvrent notre planète sont régulièrement suivis lors de missions de terrain. Dans ces conditions, comment la science parvient-elle à collecter des données sur les glaciers à l’échelle du globe ? Que nous apprennent ces sentinelles du climat sur l’avenir de notre planète ? Pour le découvrir, il nous faut suivre les traces de glaciologues français.
GÉNÉRIQUE
Sonder la glace, c’est l’une des spécialités de l’Institut des géosciences de l’environnement situé à Grenoble. Dans ces laboratoires, des glaciologues comme Fanny Brun étudient l’évolution des régions de montagne et des régions polaires au fil du temps. Dans ces chambres froides, les scientifiques manipulent la mémoire glacée de notre planète : des échantillons d’eau sous forme solide qui servent de témoins des variations climatiques. Cette précieuse glace, il leur faut aller la collecter dans des conditions extrêmes. Depuis 2007, Fanny participe à des missions au Népal, notamment au chevet du glacier Mera Peak, un sommet himalayen qui culmine à près de 6500 mètres.
ITV FANNY
- Au cours de cette mission de terrain, on monte un certain nombre d'équipements. On doit notamment monter un petit carottier pour pouvoir faire des forages, mais aussi une sonde à vapeur, une grosse cocotte minute qui nous permet d'implanter des jalons dans la glace pour mesurer la fonte. Les données qu'on collecte au cours de ce mois de terrain, on les ramène au laboratoire. et donc là, il y a une autre partie du travail qui se met en place pour pouvoir les partager avec la communauté. Et aussi pour pouvoir les analyser et mieux comprendre les réponses des glaciers au changement climatique.
Depuis 30 ans, ces campagnes de terrain ont fourni aux glaciologues du monde entier des données sur un nombre limité de glaciers. Mais depuis le début des années 2000, le développement des satellites a bouleversé leur travail. Le traitement des images satellitaires a permis de retracer l’évolution de certains glaciers dans le temps et d’estimer leur changement de masse. Plus récemment grâce au capteur Aster qui équipe le satellite Terra, les scientifiques parviennent à mesurer la hauteur de la quasi-totalité des glaciers présents à la surface du globe et à les modéliser.
ITV FANNY
- Sur cette carte en 3D, j'ai superposé une ligne qui correspond à une mesure GPS qui a été faite en 2016. La ligne est colorée par la différence entre les mesures GPS de 2016 et la mesure satellite de 2019. On voit que quasiment l'ensemble du glacier s'amincit, les points sont colorés en rouge, sauf une petite partie à très haute altitude, qui est au-delà de 5000 mètres d'altitude, où on observe un très léger épaississement du glacier. Dans cet exemple précis, si on veut avoir une bonne mesure de l'altitude du glacier on a vraiment besoin du satellite qui offre une couverture plus large et du GPS qui offre une référence, une précision qui est vraiment indispensable.
Ces données satellitaires ont permis d’obtenir pour la première fois une vue d’ensemble de l’état de santé des glaciers du globe. Depuis 50 ans, ils n’ont cessé de reculer. On estime désormais que ces géants perdent chaque année 300 milliards de tonnes des suites du réchauffement climatique : l’équivalent d’un gigantesque cube de glace haut de 7 kilomètres.
ITV FANNY
- En moyenne, sur la période 2000 à 2010, les glaciers se sont amincis d'environ 4 mètres. Et sur la période 2010-2020, l'ensemble des glaciers s'est aminci d'environ 6 mètres, donc 60 centimètres par an. Sur Terre, on montre aussi qu'il y a des forts contrastes entre les changements de masse des glaciers. Certaines régions perdent beaucoup de masse, car les glaciers s'amincissent vite et parce que ce sont des régions très englacées. C'est le cas notamment de l'Alaska et de la Patagonie qui sont les plus gros contributeurs à la hausse du niveau des mers.
Ce recul des glaciers, certains l’observent depuis leur bureau grenoblois.
ITV Gerhard Krinner
- Derrière moi, on voit un sommet avec un petit point blanc devant. Ce petit point blanc, c'était un glacier qui étaient encore assez grand, quand je suis arrivé à Grenoble il y a 30 ans. Et aujourd'hui, il ne reste rien. Là, on voit clairement, à l'échelle de Grenoble, l'effet du changement climatique global sur les glaciers d'ici qui disparaissent.
Spécialiste du climat polaire, Gerhard Krinner a participé durant 3 ans à la rédaction du dernier rapport du GIEC. Il est l’un des 18 auteurs du chapitre consacré aux océans et aux glaciers. Ces pages forment la synthèse de plusieurs centaines d’articles scientifiques. Elles soulignent notamment que la fonte des glaciers a contribué pour un tiers à l’élévation du niveau des mers au 20e siècle. D’après les différents scénarios climatiques, à l’horizon 2100, cette fonte des glaciers pourrait faire s’élever le niveau des mers de 10 à 20 cm supplémentaires.
ITV Gerhard Krinner
- Ce qui est nouveau, dans ce rapport de 2021, c'est qu'on a des nouvelles projections de l'évolution des glaciers, avec des modèles de glacier qui ont été faits de manière coordonnée, dans le cadre d'un programme international que j'ai aidé à organiser. Il est très clair que les projections du futur des glaciers dépendent énormément des émissions futures. Si on réussit à réduire le changement climatique ou de maintenir le changement climatique global à moins d'1,5 degrés ou à moins de 2 degrés, on peut sauvegarder certains glaciers dans le monde, même dans les Alpes. Certains vont forcément disparaître parce que les glaciers réagissent avec un retard par rapport au climat. Si on stabilise le climat par miracle au niveau d'aujourd'hui, certains glaciers dans les Alpes vont forcément disparaître.
Cette disparition annoncée est-elle irréversible ? Les glaciers des Alpes avaient presque disparu il y a 7000 ans, avant de renaître. Un phénomène lent et naturel, sur une planète en grande partie préservée des impacts humains. Désormais la situation est tout autre : sans réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, les générations futures pourraient ne jamais contempler ces paysages englacés.
Réalisation :
Barbara Vignaux, Pierre De Parscau
Production :
Universcience, CNRS, IRD, Inrae
Année de production :
2021
Durée :
6min47
Accessibilité :
sous-titres français