Japon, États-Unis, Pérou, Haïti, Turquie. Tous ces pays subissent fréquemment des séismes meurtriers et destructeurs. Et la liste est encore longue. Partout sur la planète, les plaques tectoniques bougent et provoquent tremblements de terre et tsunamis. En France, la région de Nice est concernée par le risque sismique, et les chercheurs mettent en place des dispositifs inédits pour les anticiper. C'est donc ici, à l'observatoire de la Côte d'Azur, près de Nice, que naissent les dernières innovations en matière de sismologie. Quentin Blétery et son équipe s'attaquent à l'un des plus grands défis de notre époque : essayer d'anticiper les séismes pour sauver des vies. - Les séismes ont fait près d'un million de morts depuis le début du siècle, c'est considérable. Le problème, c'est qu'on ne sait pas les prédire. Ce qu'on essaye de faire, c'est d'utiliser l'IA et des signaux nouveaux qu'on a découverts récemment pour alerter les gens plus vite, voire pour explorer la possibilité de prédire ces événements. Mais pour développer cette intelligence artificielle, il faut des données solides. Xavier Martin est assistant ingénieur à l'Observatoire de la Côte d'Azur. Il nous emmène sur le plateau de Caussols, à 1 300 mètres d'altitude, où se trouve un observatoire astronomique de pointe et une station sismologique. - On gère une quarantaine de stations. 43 exactement. Cette antenne sert à envoyer, à transmettre les signaux qui sont générés par la station au laboratoire. La région est qualifiée de sismicité faible à modérée, et on enregistre de l'ordre de 2 000, 3 000 événements avec des magnitudes qui vont aller de -0,6 à 4 ou 5. On peut avoir des séismes un peu plus forts qui vont aller jusqu'à magnitude 6. Comme le séisme de Lambesc, qui sert de référence dans la région. C'était un 6,2 en 1909 et qui a fait beaucoup de dégâts sur les constructions et qui a occasionné quelques morts. Xavier Martin descend dans une cave sismologique, un abri situé à 2 m sous terre et isolé au maximum des perturbations extérieures. C'est là que se trouve le sismomètre. - Il est légèrement débullé. Donc on va le recentrer. L'engin mesure comment bouge le sol grâce à trois capteurs qui calculent leur déplacement dans l'espace. - Donc les trois composantes : On a donc la première : la verticale. Ensuite, on a les deux composantes horizontales, donc la Nord-Sud et la Est-Ouest. Si un séisme arrive, en fait, le signal va sortir du bruit de fond, donc on va avoir un événement. Donc ça peut être un séisme, une explosion, un tir de mine ou de carrière. Ca peut être quelqu'un qui passe, la voiture qui arrive. Comme c'est très sensible, on aura un signal qui sort du bruit. Les sismomètres sont effectivement hypersensibles. Démonstration. - Je vais taper du pied, admettons, pour vérifier que mes trois composantes répondent bien. Donc les trois impacts, on les voit bien. J'ai tapé trois fois, trois impacts sur les trois composantes. Ce que détecte le sismomètre, ce sont des ondes. C'est sur ces signaux que sont basés les systèmes d'alerte des populations lors d'un tremblement de terre. - Les ondes responsables des tremblements de terre sont les ondes S, qui ne sont pas les plus rapides. Les plus rapides sont les P qui produisent moins de dégâts. Elles se propagent environ deux fois plus vite. Les ondes P se propagent à 6 ou 7 km/s et les ondes S environ 3,5. Ces ondes P sont détectées par les sismomètres qui envoient des alertes à la population avant le séisme. Les habitants ont quelques secondes pour se mettre à l'abri avant que les ondes S, les plus destructrices, n'atteignent leur ville. - Les systèmes d'alerte existants triangulent le signal à partir de quatre ou cinq stations. Ca veut dire qu'il faut attendre que les ondes sismiques arrivent sur quatre ou cinq stations avant de pouvoir faire quelque chose. Si vous avez un réseau très dense comme au Japon, vous perdez pas forcément beaucoup de temps. Mais au Pérou, vous en perdrez beaucoup plus. Le chercheur a donc réfléchi à une façon de pouvoir détecter plus vite les séismes. - On a conçu un système d'alerte entièrement basé sur l'IA qui va être capable de faire ce que font les systèmes d'alerte sur quatre ou cinq stations, mais en en utilisant qu'une. C'est un gain de temps pour lancer une alerte plus rapide. Notre algorithme d'intelligence artificielle est implémenté à l'heure actuelle, au Pérou. Le système est encore en construction, mais ça devrait être opérationnel dans les mois à venir. Il est donc possible, grâce à l'IA, d'anticiper l'arrivée des ondes destructrices d'un séisme. En revanche, il est pour le moment impossible de dire si ce sera un séisme de magnitude 7, 8 ou 9. Et c'est une énorme différence en ce qui concerne les tsunamis, l'autre axe de recherche sur lequel travaille Quentin Blétery. - Le tsunami généré par un séisme de magnitude 9 va être 30 fois plus grand qu'un séisme de magnitude 8 et 900 fois plus grand que celui généré par un de magnitude 7. Un séisme de magnitude 7 va pas faire de tsunami. Un séisme de magnitude 8 peut faire un petit tsunami avec des amplitudes de l'ordre d'1 mètre et un séisme de magnitude 9 va faire des vagues de 30 mètres. Il est donc essentiel d'avoir cette information pour lancer une alerte tsunami adéquate. Pour résoudre ce problème, les chercheurs se sont appuyés sur une découverte récente. - Tous les signaux qu'on utilise dans le cadre du deuxième algorithme sont des signaux gravitationnels qu'on appelle PEGS, prompt elastro-gravity signals, qui se propagent à la vitesse de la lumière, donc beaucoup plus vite que tous les autres. Ces ondes arrivent presque instantanément sur les sismomètres et permettent de déterminer la magnitude d'un séisme. Le souci, c'est que ce signal est infime et très difficile à repérer par les sismomètres. - La Terre bouge toujours un petit peu, on marche, on a des voitures, il y a les vagues... Et donc un sismogramme ne donne pas une ligne plate mais toujours une oscillation, c'est ce qu'on appelle le bruit sismique. Dans notre cas, le problème, c'est que les signaux qui nous intéressent sont plus faibles, plus petits que le bruit sismique ambiant. Là encore, les chercheurs ont fait appel à l'IA. - L'enjeu était d'extraire ces signaux qui sont vraiment très très faibles, 1 million de fois plus faibles que les ondes sismiques pour faire de l'alerte, c'est-à-dire pour estimer la magnitude des grands séismes le plus vite possible. Et donc pour ça, on a entraîné un algorithme d'IA sur des centaines de milliers de scénarios de séismes et on a entraîné l'algorithme à prédire la magnitude des séismes à partir des signaux distribués sur toutes les stations. Alors que les systèmes existants mettent une vingtaine de minutes à alerter d'un tsunami, ce nouveau système ne nécessite qu'1 à 2 min. Il est en cours d'installation au Pérou mais pourrait intéresser de nombreux pays. Il permettra de laisser plus de temps aux habitants pour se mettre à l'abri des vagues meurtrières et ainsi sauver des vies.