Les paléontologues étudient à partir de spécimens fossiles les formes de vie ayant existé sur la Terre depuis des millions d'années. Des formes qui s'avèrent extrêmement variées et adaptées. Comprendre et analyser ce vivant disparu sous l'angle de la bio-inspiration est une approche nouvelle afin de pouvoir innover dans de nombreux domaines. - On a toujours tendance à imaginer que le passé, c'était à un instant T, alors qu'en fait il y a eu plein d’instants, une succession de temps. Et les bêtes ont été en constante évolution depuis l'apparition de la vie, donc, en fait, il y a 3,8 3,9 milliards d'années. Donc là où nous on a l'impression qu'elles sont toutes dans la catégorie passée, il y a en fait plein d'événements, plein de périodes qui se suivent, qui s'accumulent et qui ne se ressemblent absolument pas. Si on regarde juste les vertébrés, parce que c'est mon groupe d'intérêt, les vertébrés, ça fait plus de 500 millions d'années à-peu-près. Et donc on voit des structures qu'on n'a pas du tout chez les actuels, qu'il faut comprendre, qu'il faut interpréter. En ce moment, j'ai un projet sur les animaux lourds pour essayer de comprendre comment le squelette va s'adapter à porter un poids massif. Chez les actuels, on n'a pas du gigantisme énorme. Là, par exemple, je peux prendre des gros différents : hippopotames, rhinocéros et éléphants. Ça reste gros mais par rapport à un dinosaure sauropode, genre diplodocus ou brachiosaure, c’est petit. Et, en fait, je me demande comment ils font pour supporter un poids massif et marcher. Et donc c'est vraiment ça qu'on essaye de faire dans mon groupe, c'est de regarder chez les organismes actuels comment sont faits les os des éléphants, des rhinocéros, des hippopotames parce que les trois sont très différents. Et, après, d'aller dans le registre fossile pour enrichir complètement cette gamme de morphologies. Sauf qu'en fait, dans le registre fossile, j'ai au moins une quarantaine de groupes qui ont développé des tailles énormes. Donc je vais avoir beaucoup plus de cas possibles d'être un gros animal lourd et donc ça va me documenter, ça va m'offrir une possibilité d'être lourd qui est beaucoup plus riche et donc une possibilité à l'os de s’être adapté différemment ou pas à une même contrainte. Pour comprendre les propriétés biomécaniques hors-normes de ces géants disparus, il faut étudier la structure de leur os et la comparer avec celles d'animaux actuels. Ces connaissances scientifiques peuvent être transposées afin d'améliorer les capacités de résistance d'ouvrages de construction. - D'un point de vue de la structure un os, c’est un os et que ce soit un os d'un humain ou d'un brachiosaure ou d'un mosasaure marin, ça va être fait de la même façon avec le même matériau. Par contre, on va avoir une gamme de distribution du tissu osseux dans l'os qui là peut varier beaucoup selon les organismes, selon les contraintes, et donc pour le poids lourd, il y a une structure qui va être renforcée à plein d'endroits pour éviter qu'il y ait des compressions trop importantes de l'os. En fait, selon toutes les contraintes, chez un animal qui saute ça va être différent, chez un animal qui fouit, ça va être différent. Donc, on peut toujours aller chercher le lien, moi, je m'intéresse vraiment à ça, le lien entre comment s'est fait à l'intérieur par rapport à ce que l’os doit assurer comme comme contrainte mécanique. Nous, on veut scanner l’os en trois dimensions. Et donc pour ça, on va utiliser de la microtomographie à rayons X, et donc on va prendre une succession de radios. Et avec toute cette succession de radios, on arrive à reconstruire l’os en entier en trois dimensions. Et comme on veut atteindre la structure interne, on va pouvoir documenter l'intégralité de la structure interne en trois dimensions. Donc, par exemple, chez le rhinocéros, on a déjà pu faire un modèle. Et donc on peut sortir un os et dire, sur cet os-là, quand un rhinocéros se tient debout, il y a une contrainte super intense à tel endroit, dans telle direction, super intense dans telle direction, etc.., donc on a un bon modèle pour nous dire quelles sont les contraintes où est-ce qu'elles sont appliquées. Et, comme ça, on arrive à lier ça ensuite avec notre modèle 3D d’os dans lequel on a toute la structure interne qui est documentée, et donc on arrive à faire ce lien comme ça et à sortir des lois biomécaniques générales. On a regardé comment on pouvait s'en inspirer pour la construction et notamment pour fabriquer des colonnes, puisque c'est souvent l'objectif d'une colonne de supporter une charge lourde. Et donc on a pu proposer une structure qui s'inspirait de la structure osseuse de rhinocéros et voir si ça pouvait être mieux que des colonnes qu'on avait l'habitude de faire. On a des premiers résultats qu'on a fait en collaboration avec nos collègues de l'université d'Aix-Marseille qui nous ont permis d'avoir effectivement un meilleur résultat sur la résistance à la compression avec notre colonne inspirée d'os de rhinocéros par rapport aux colonnes basiques. Nos découvertes peuvent être intéressantes dans plusieurs domaines. Alors oui, pour la construction, ça c'est évident, mais aussi dans le domaine médical, parce qu'on peut vraiment améliorer les prothèses d'un point de vue structurel. Ça peut être aussi utile en robotique, ça peut être utile dans l'industrie, dans l'art. Donc on peut considérer la biodiversité passée comme une base de données. Par contre, il faut vraiment faire attention, mais il faut savoir quelles informations prendre. Et là, pour le coup, on a besoin d'un traducteur et il faut venir chercher le biologiste de l'évolution ou le paléontologue pour qu’ils vous permettent de dire : c'est là qu'il faut regarder, c’est cette bête-là, et pour telles raisons. La paléo bio-inspiration ouvre un nouveau champ des possibles afin de s'inspirer des vertébrés, mais aussi des invertébrés, des plantes et des écosystèmes anciens. Cette approche en plein essor rappelle une fois de plus la puissance de la biodiversité, qu'elle soit vivante ou disparue.
Réalisation :
Thomas Marie
Production :
Universcience, La Belle Société Production, CNRS Images, MNHN, Ademe, Cerema, Région Normandie, Région Nouvelle-Aquitaine, Institut des Futurs souhaitables, Ceebios, avec la participation du Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires
Année de production :
2023
Durée :
5min26
Accessibilité :
sous-titres français