Voici une pointe de projectile vieille d’environ 18 000 ans. Elle n’est ni en bois de renne, ni en os de bison mais en… os de baleine. Et cet outil n’a pas été trouvé sur une plage mais à 40 km à l’intérieur des terres dans la grotte Duruthy dans le département des Landes. Cet outil est une preuve supplémentaire que les hommes du Magdalénien exploitaient les ressources du littoral. Cela fait une vingtaine d’années que les paléontologues accumulent les indices indirects. Tant pour se nourrir que pour fabriquer des outils, les hommes préhistoriques ont puisé dans les ressources marines. Coquillages, restes de poissons, d’oiseaux marins et de cétacés. Mais pour ces derniers, deux questions restaient à élucider : de quand datent précisément ces ossements et de quelles espèces proviennent-ils ? Problème, pour faire des analyses, il faut prendre un peu de matière sur les objets. Or, ces objets en os de baleine sont peu nombreux, de petites tailles et ils ont une forte valeur patrimoniale. Mais grâce aux progrès techniques de ces dernières années, quelques milligrammes permettent d’obtenir des informations. Dans Nature communications, une équipe internationale vient de publier les résultats des analyses de 130 outils et fragments d’os de cétacés collectés lors de fouilles archéologiques dans le sud-ouest de la France et le nord de l’Espagne. La datation au carbone 14 par spectrométrie de masse a permis de dater précisément les ossements. Les plus vieux remontent à 20 000 ans et les plus récents à 14 000 ans. Grâce à la paléoprotéomique, c’est-à-dire l’analyse des protéines anciennes, l’équipe a pu retracer l’origine du collagène présent dans les échantillons.
- Les analyses ont montré qu'il y a une grande diversité d'espèces de baleines dans le golfe de Gascogne à cette époque. Il y a de la baleine bleue, du rorqual, du cachalot, de la baleine grise et une dernière espèce qu'on ne peut pas distinguer entre baleine franche et baleine boréale. Alors ce n'est pas complètement surprenant dans le sens où la plupart de ces espèces, à part la baleine grise, sont encore présentes dans l'Atlantique Nord aujourd’hui. Moi ce qui m'a surpris c'est qu'on ait quand même cette diversité et puis que ces espèces finalement aient assez peu changé par rapport à l'actuel. Alors que quand on regarde les animaux terrestres par exemple, ça a énormément changé. Les gibiers des hommes préhistoriques à cette époque, c'est le renne, le bison, l'antilope saiga, éventuellement le mammouth. Toutes ces espèces qui, soit ont disparu, soit ne sont plus du tout présentes dans nos régions.
Mais alors comment les hommes du Magdalénien se sont fournis en os de baleines ? En les chassant ?
- La plupart des espèces qu'on a identifiées, ce sont des très grandes espèces qui vivent la plupart du temps en haute mer, qui n'ont pas été chassées jusqu'à des époques beaucoup plus récentes. Donc ce qu'on imagine beaucoup plus, ce sont des groupes qui tirent partie des échouages naturels : des animaux qui viennent s'échouer sur le rivage. Et les plus anciennes traces incontestables de chasse à la baleine, c'est beaucoup plus tard, c'est vers 6000 avant le présent mais c'est pas du tout en Europe, c'est en Corée où on a les premières traces à la fois des représentations, des figurations et des vestiges de chasse à la baleine.
Reste une question en suspens : pourquoi y-a-t’il un arrêt brutal de production d’outils en os de baleine après un pic de fabrication entre 17 500 et 16 000 ans ?
- On peut imaginer que c'est simplement un choix technique. À un moment, on cesse d'utiliser ce matériau, ça passe de mode, on pourrait dire quelque sorte, alors qu'à une époque, c'est quelque chose qui est plus souvent fait. En-tout-cas il n'y a pas de cause évidente d'arrêt de cette production.