Le dérèglement climatique : qu'observe-t-on réellement ?
À travers 8 films, 21 experts répondent à de grandes questions à enjeux scientifiques, énergétiques, socioéconomiques et politiques. Leurs points de vue nous interpellent aux plans individuel et collectif dans notre quotidien, mais aussi en tant que citoyens du monde.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 11min31
Accessibilité : sous-titres français
Le dérèglement climatique : qu'observe-t-on réellement ?
QU’OBSERVE-T-ON ?
Valérie MASSON-DELMOTTE n°1 X 2
Valérie MASSON-DELMOTTE n°2 X 2
Jean-Louis ETIENNE X 4
Wolfgang KRAMER X 2
Sabrina SPEICH
Christophe CASSOU X 3
Hindu Oumarou IBRAHIM X 2
Olivier BOUCHER
Emmanuel GARNIER
1 - Christophe CASSOU
Climatologue au Centre de calculs de Météo France
Peut-on parler de réchauffement de la planète aujourd’hui ? La réponse est oui. On arrive à détecter des tendances de température aujourd’hui à l’échelle de la planète, à l’échelle globale, qui ne sont pas compatibles avec la variabilité, c’est à dire les fluctuations naturelles du climat, sans action extérieure à ces fluctuations.
2 - Valérie MASSON-DELMOTTE n°1
Directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CEA)
C’est un réchauffement exceptionnel dans le contexte des derniers 1500 ans. Cela veut dire que ce réchauffement ne fait pas partie de la variabilité naturelle du climat. On est dans une situation différente, pour l’évolution de la température, mais aussi pour l’évolution du niveau des mers ou la fonte de la banquise arctique. C’est vraiment un phénomène nouveau, qui témoigne d’une accumulation d’énergie dans la machine climatique. Le réchauffement de l’atmosphère n’en est qu’une toute petite partie, et le gros de cette énergie est accumulé dans les océans qui se réchauffent à la surface et en profondeur.
3 - Sabrina SPEICH
Océanographe
Professeure de géosciences, Ecole Nationale Supérieure de Paris
Il y a plus d’énergie dans le système climatique, cette énergie donne lieu à différents phénomènes que nous n’appréhendons pas tous aujourd’hui, nous n’avons pas de série temporelle pour tous, mais nous voyons clairement qu’il y a un changement. Ce changement semble surtout s’opérer très vite par rapport aux ères passées où les changements naturels se sont passés sur des centaines, voire des milliers d’années.
4 - Olivier BOUCHER
Directeur de recherche, Laboratoire de météorologie dynamique (CNRS)
Ce qui caractérise le réchauffement actuel, c’est surtout sa rapidité – un petit peu moins d’un degré en un siècle – et aussi le fait qu’il arrive dans une période interglaciaire qui aurait par ailleurs du être relativement stable, compte tenu de l’absence de perturbations naturelles dans le climat.
5 - Christophe CASSOU
Si l’on regarde les années de température globale les plus chaudes, on voit qu’elles se situent toutes sur les 20 dernières années. Ce qui traduit une tendance forte et lourde vers le réchauffement climatique. Si l’on ne regarde pas une année de manière isolée, mais une décennie, par exemple la décennie 2000-2010, c’est certainement la décennie la plus chaude jamais enregistrée depuis 1850, et puis même très certainement depuis 1500 ans, début des mesures relativement fiables sur les pays européens.
6 - Jean-Louis ETIENNE
Médecin et explorateur,
spécialiste de l'Arctique et de l'Antarctique
Il faut voir le réchauffement climatique comme une maladie chronique. La Terre a un fébricule, comme on dirait en médecine, une petite fièvre. Ca s’est réchauffé de un degré en un siècle. Un degré en un siècle, ce n’est pas perceptible. On voit régulièrement des reportages sur des gens qui se baignent par exemple à Pâques, et on leur fait dire à tous « Oui, c’est certainement le réchauffement climatique », ce qui est une bêtise totale ! La température moyenne s’est réchauffée d’un degré en un siècle. C’est une valeur scientifique, c’est une mesure, ce n’est pas une perception. On est donc dans un phénomène scientifique complexe qui est imperceptible et qui est à l’origine de cette maladie chronique de la planète qu’est cette petite fièvre qui monte. Chez l’humain, ça ferait du 38°, on va dire. 38, ou 37,8, c’est déjà une fièvre qui s’est installée, et souvent, les gens commencent à s’inquiéter quand ils ont cette petite température. On s’inquiète en général quand les complications commencent à apparaître. La Terre en est là aujourd’hui, elle est à l’aube des complications. Et les manifestations climatiques extrêmes sont les prémices de ces complications liées à une dérégulation. Alors il est évident qu’il serait intéressant d’intervenir avant des phénomènes d’aggravation irréversibles.
7 - Valérie MASSON-DELMOTTE n°1
Le réchauffement est sans équivoque, mais le terme de réchauffement cache une facette importante de l’évolution du climat, puisque ce n’est pas simplement une histoire de température, c’est aussi une histoire du niveau des mers qui change, c’est aussi une histoire du cycle de l’eau dans atmosphère qui est modifié, et on utilise donc souvent le terme de changement climatique pour mieux traduire les différentes facettes d’un climat qui se réchauffe, avec des conséquences dans d’autres aspects que simplement la température.
On observe un réchauffement de l’air, des basses couches de l’atmosphère, on observe une augmentation de la quantité de vapeur d’eau – de l’air plus chaud peut contenir plus de vapeur d’eau – on observe un réchauffement des océans en surface et en profondeur, on observe une diminution de la couverture de neige sur le continent, à la fin de l’hiver et au printemps, on observe également une fonte de la plupart des glaciers et des calottes polaires, y compris le Groenland et une partie de l’Antarctique de l’Ouest, et comme l’océan se réchauffe et que les glaciers fondent, on observe une augmentation des niveaux des mers . Ca, c’est la partie grande échelle. Il y a également des changements importants dans le cycle de l’eau, avec certaines régions qui deviennent plus humides, autour de l’Arctique par exemple, et d’autres régions qui deviennent plus sèches, par exemple autour de le Méditerranée. Cela traduit aussi des changements dans la circulation de l’atmosphère. Enfin, on observe une augmentation de certains événements extrêmes, en particulier les vagues de chaleur – plus fréquentes et plus intenses – une diminution des vagues de froid, à l’inverse, et puis dans certaines régions une augmentation des événements de fortes précipitations, c’est à dire des pluies très intenses cumulées en quelques heures, et puis on observe aussi une augmentation des ouragans dans le secteur de l’océan Atlantique, en particulier les ouragans les plus violents.
8 - Jean-Louis ETIENNE
Les manifestations climatiques extrêmes, il y en a toujours eu. Ce qui change, c’est l’intensité de ces phénomènes. Ce qu’on appelait des tempêtes tropicales, il y en a régulièrement dans les Tropiques, on se prend des saucées énormes… Mais aujourd’hui, c’est passé au stade de cyclone, et c’est extrêmement dévastateur.
On voit bien qu’on va vers une période où, petit à petit, on va avoir des phénomènes climatiques que l’on va percevoir de plus en plus, et de plus en plus gravement. En fait, on se rend compte que la population mondiale est en train de se réunir autour des villes, et la majorité des grandes villes sont au bord des océans, à la descente des fleuves et des montages. Donc effectivement, on va se rendre compte que les phénomènes climatiques… Le réchauffement ne sera pas perceptible, mais les conséquences de ce réchauffement vont l’être.
9 - Emmanuel GARNIER
Historien, enseignant-chercheur (CNRS) à l’université de Caen
Le changement climatique est-il plus dramatique, plus important qu’hier ? Je dirais que je n’en sais rien. En termes de température, les climatologues semblent le démontrer, je ne peux pas trancher en tant qu’historien, je n’ai pas d’expertise suffisante. Ce que je peux dire néanmoins, c’est qu’à coup sûr, oui, ce changement climatique aura un impact plus fort que les impacts précédents, même si ces impacts historiques avaient pu être égaux en intensité, tout simplement parce que nos sociétés contemporaines depuis la seconde guerre mondiale, depuis les années 1950, sont beaucoup plus vulnérables qu’avant. Un exemple parmi d’autres, je travaille donc sur les risques littoraux, avant 1950, on n’a pas d’habitation sur ce qu’on appelle le très côtier, à proximité des plages, les habitations sont systématiquement fixées à 1 km, voire 2 km. Cela signifie que pour un même événement extrême, érosion dont on parlait encore l’an dernier à la suite des tempêtes hivernales de 2013, ou à la suite d’une submersion, certes du terrain disparaissait, certes du terrain pouvait être inondé, mais il ne détruisait que des terres, il ne prenait pas de vie, et il ne détruisait pas non plus d’habitations, ou très peu.
10 - Valérie MASSON-DELMOTTE n°1
Le climat qui est en train de changer, c’est un climat qui a déjà des impacts. Il a des impacts sur les risques, puisqu’on a des événements extrêmes qui changent, des impacts sur les milieux naturels – on voit des déplacements d’espèces vivantes, insectes, poissons ou oiseaux, par exemple – on voit des conséquences pour la production agricole, pour la gestion des forêts. Donc le changement climatique a déjà des impacts aujourd’hui, notamment sur les populations qui dépendent le plus des milieux naturels et les populations qui vivent près de l’Arctique.
11 - Jean-Louis ETIENNE
Il y a des endroits où la température moyenne en Arctique a augmenté de presque 5 degrés en 80 ans ! Cette disparition progressive, ou cette atténuation plutôt, du froid au Nord va être préjudiciable pour compenser l’excès de chaleur tropicale. Bien sûr, quand on regarde fondre la banquise, cela nous inquiète. On pense tout de suite à l’ours, mais cela va avoir des conséquences sur nous, ici, parce que, si vous voulez, on a ouvert la porte du frigo. On perd des frigories qui vont manquer à l’excès de chaleur tropicale. En ce sens, les régions polaires, et surtout l’Arctique, sont devenus des témoins, mais aussi des acteurs du changement climatique importants.
12 - Hindu Oumarou IBRAHIM
Coordinatrice de l’association des femmes autochtones peules du Tchad
En général, et particulièrement au Tchad, les impacts du changement climatique se voient déjà depuis plusieurs années. Dans la région du Sahel, cet impact est très visible, et comme le Tchad fait aussi partie du Sahel, on voit cela tout de suite par rapport aux changements de saisons.
Nous, en tant que nomades, on se déplace en fonction de la migration des oiseaux. On sait que la saison des pluies va se terminer et que la saison froide va arriver, et on doit donc se préparer à migrer dans une autre région. Mais maintenant, les oiseaux changent de direction, et ils changent aussi de flux de migration. C’est aussi le cas pour les animaux sauvages, qui changent aussi de comportement. Ceux qui vivaient dans le Sahel ou dans la savane quittent leur habitat et essaient d’aller à un autre endroit. Nous ne pouvons pas expliquer ces changements par des phénomènes qui ont lieu seulement tous les 40 ou 50 ans.
13 - Wolfgang KRAMER
Directeur de recherche CNRS, directeur adjoint scientifique de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale
Au niveau de l’écologie, nous sommes surtout préoccupées par le fait que les gens comprennent que la perte de la biodiversité, telle qu’elle est provoquée par le changement climatique, soit quasiment irréversible. Si nous perdons les récifs tropicaux ou les coraux dans ces systèmes-là, ou les écosystèmes arctiques, ou certaines grandes zones de forêts, à cause d’une politique qui, à l’heure actuelle, ne se préoccupe pas du climat, ce n’est pas quelque chose que l’on peut récupérer facilement, dans 20 ans ou dans 50 ans, quand nous aurons développé de nouvelles méthodes pour gérer notre système énergétique. Dans la biodiversité, on n’a pas cette capacité de rebondir. Quand les espèces sont perdues, elles sont perdues. Elles ne peuvent pas être recréées une fois que la lutte contre le changement climatique a abouti. C’est donc aujourd’hui qu’il faut agir, et pas demain, ni après-demain.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 11min31
Accessibilité : sous-titres français