La Norvège a autorisé en janvier la prospection minière sous-marine autour du Svalbard. D'autres projets d'exploration du même typemenés par plusieurs pays et autorisés par l'autorité internationale des fonds marins sont en cours, notamment dans la zone Clarion-Clipperton dans le Pacifique, motivés par la recherche de matériaux stratégiques comme le nickel, le cuivre, le manganèse et le cobalt. Cette situation suscite des inquiétudes à l'échelle mondiale alors que la communauté scientifique souligne que 80 % des fonds marins restent inexplorés. 24 pays dont la France appellent à une pause de l'exploitation minière sous-marine, le temps que la science se prononce. Parallèlement, fin mars, les représentants de 36 États du conseil de l'AIFM reprennent un cycle de négociations pour établir un code minier encadrant une future exploitation des richesses minérales sous-marines, source de vives tensions.
- Les ressources minérales des grands fonds marins se divisent en trois types. Un type est bien distinct des deux autres : ce sont les amas sulfurés qui sont des dépôts à partir de fluides hydrothermaux qui sont des dépôts de sulfure de fer, de cuivre et de zinc. Ces dépôts sont précipités par les fluides hydrothermaux très chauds qui ont été réchauffés à l'intérieur de la croute océanique et qui ressortent sur le plancher océanique. Les deux autres espèces s'appellent des encroutements. On les appelle des encroutements s'ils sont sur des falaises rocheuses dans les fonds marins. On les appelle des nodules s'ils sont autour de petits cailloux ou de petits débris sur les fonds sableux des plaines abyssales. Ces nodules et ces encroutements se forment par précipitation de métaux et de terres rares à partir de l'eau de mer au fil de millions d'années, très lentement. Ils font typiquement quelques centimètres d'épaisseur et couvrent de très grandes surfaces. Leur exploitation implique ou impliquerait de racler de très grandes surfaces de fonds océaniques et donc de détruire des écosystèmes avec des organismes très divers qu'on connaît très mal. On ne connaît que 10 % de la diversité de ces organismes qui ont des métabolismes très lents et qui se reconstitueraient très mal, voire pas du tout. Voici le premier aspect. Le deuxième impact auquel on doit s'attendre si une exploitation minière avait vraiment lieu dans ces zones très profondes (pour rappel, ça se situe à des profondeurs de plusieurs milliers de mètres d'eau) : le raclage de tous ces fonds générerait des panaches de poussière partiellement métalliques qui peuvent être toxiques mais aussi des panaches de poussière qui sans être toxiques troubleraient l'eau sur des milliers de mètres sur l'ensemble de la colonne d'eau. Le fonctionnement des organismes qui vivent dans la colonne d'eau et qui sont, on le reconnaît sans bien connaître leur diversité, d'une importance fondamentale dans le piégeage du carbone en excès dans l'atmosphère. Il y a un impact climatique qui peut être direct et à court terme, qui peut être craint de ce genre d'exploitation. Voilà pourquoi après quelques années d'exploration des processus, la communauté scientifique est largement en faveur d'une attitude de précaution, et donc de ne pas se lancer dans cette exploitation. On associe souvent les termes "exploitation" et "exploration". N'oublions pas que l'exploration a un sens un peu plus noble qui est d'explorer pour comprendre comment ça fonctionne. Si on ne comprend pas le fonctionnement d'un milieu, l'interaction des êtres vivants avec la matière, avec la colonne d'eau, les fonds, etc., on ne comprend pas les conséquences possibles de nos actes. Et on ne peut pas adapter notre comportement pour éviter d'endommager ces milieux. Quel est le rôle des courants pour entraîner les fluides qui sortent des sources hydrothermales ? Comment fonctionne la pompe à carbone ? Comment les organismes de la surface transfèrent la matière première carbonée aux organismes plus profonds ? Qui sont ces organismes plus profonds ? Comment fonctionnent-ils ? Il y a beaucoup de questions de recherche fondamentale qui sont indispensables pour ensuite, et c'est la deuxième partie, comprendre comment adapter nos comportements pour détruire le moins possible et pour favoriser au maximum les effets positifs de ces processus. On a besoin de chercheurs en sciences humaines et sociales pour réfléchir à nos biais. En milieu océanique, par exemple, les peuples des îles du Pacifique, de Nouvelle-Calédonie, etc., ont des relations à la mer assez différentes des nôtres. Ça veut pas dire qu'elles sont meilleures, mais elles permettent de déplacer le regard. Les pays dans leur espace maritime sont libres d'agir comme ils l'entendent. Certains ont signé des conventions internationales qui les amènent à favoriser la protection de la biodiversité, de la pompe à carbone, du climat... Mais dans le domaine international, cette question de la possible exploitation minière est gérée par une institution internationale qui dépend de l'ONU et qui s'appelle l'AIFM. Cette autorité des fonds marins a été créée dans les années 80. Son objectif est la justice économique entre les pays qui ont un accès à la mer et des capacités d'exploitation et les pays qui n'ont pas cette capacité. Au fil de l'histoire est apparue la pression climatique et la question climatique et de la biodiversité. Il y a maintenant plusieurs conventions de l'ONU qui engagent les pays à protéger la santé des océans. L'AIFM vit une espèce de contradiction où elle doit maintenant intégrer aussi ce qu'on pourrait appeler les enjeux de protection de l'environnement. Par rapport à cette attitude de protection, la position du gouvernement français a changé depuis deux ans en grande partie à cause des recommandations de la communauté scientifique. Maintenant, la France essaie de mobiliser autant de pays que possible pour défendre ce principe de précaution auprès des institutions onusiennes. Dans le fonctionnement de l'AIFM, la protection de l'environnement devient de plus en plus importante. On est arrivé à la conclusion en tout cas, au niveau français, que le principe de précaution s'imposait et que le code minier n'était pas à l'ordre du jour. L'ordre du jour n'est pas de réguler cette exploitation, mais de l'arrêter car les conséquences ne peuvent être que dommageables.