En séquençant le génome de 320 personnes originaires des îles du Pacifique Sud, une équipe internationale dirigée par des chercheurs de l’Institut Pasteur éclaire d’un nouveau jour l’histoire du peuplement de l’Océanie. L’histoire de ces populations commence il y a environ 60 000 ans, avec l’arrivée des premiers Homo Sapiens dans ce qu'on appelle l'Océanie proche, c'est-à-dire la Papouasie Nouvelle-Guinée, l'Archipel de Bismarck et les Iles Salomon "Ces iles ont été parmi les dernières à avoir été colonisées par cette grande migration de l’homme en dehors de l’Afrique. On sait que l’homme moderne sort d’Afrique il y a environ 70 000 ans et puis il va atteindre l’Asie de l’Est, l’Asie du Sud-Est et enfin l’Océanie et l’Australie il y a entre 60 000 et 40 000 ans." Les données génétiques attestent ensuite d’une seconde vague migratoire bien plus récente, connue sous le nom d’expansion austronésienne. "On a une nouvelle vague de migration qui arrive et qui est assez différente et qui viendrait de Taiwan. Cette migration s’est faite sur un plus grand temps que ce qui était envisagé précédemment. Cela ne s'est pas fait en mille ans. Cela s’est fait en plusieurs milliers d’années. Elle a d’abord atteint les Philippines ou l’Indonésie. Elle est restée là pendant plusieurs milliers d’années et puis elle est arrivée en Océanie proche." Cette deuxième vague migratoire, partie de Taiwan il y a plus de 8 000 ans n’aurait ainsi atteint l’Océanie proche que 3 000 ans plus tard comme en témoignent les premières traces génétiques de métissage entre populations. "On a raconté l’histoire de l’Océanie proche. Maintenant en Océanie éloignée, les choses sont encore différentes. Il faut bien rappeler que l’Océanie éloignée n’était pas habitée il y a 3 500 ans, il n’y avait personne sur ces îles. Ce sont des îles qui n’ont été habitées que très récemment par l’homme moderne. Ce n’est qu’avec l’expansion austronésienne que des premiers habitants vont peupler ces îles. Alors ce qui est très surprenant avec les données génétiques c’est qu’en réalité, il y a eu 2 peuplements de l’Océanie éloignées. Si on prend l’exemple du Vanuatu, il y a eu un premier peuplement il y a 3 200 ans par des Austronésiens donc des populations qui voyagent rapidement avec des bateaux et qui viennent de Taiwan, et uniquement quelques centaines d’années ensuite, un nouveau peuplement par des populations d’Océaniens proches, qui sont très proches des Papous de Nouvelle-Guinée, et qui vont presque complètement remplacer la population qui vivait à ce moment-là au Vanuatu. Il y a eu en plus une troisième vague de peuplement au Vanuatu qui part de Polynésie pour aller jusqu’à ces îles du Vanuatu, ce que l’on appelle des migrations retour." Au-delà de ces grands mouvements migratoires, le génome des populations d’Océanie porte la trace d’espèces aujourd’hui disparues. Celle de Neandertal d’abord, avec laquelle Homo sapiens s’est métissé après sa sortie d’Afrique, mais aussi celle de Denisova. "Les populations du Pacifique ce sont également métissées avec d’autres populations archaïques, affiliées à ce qu’on appelle l’homme de Denisova, un autre homme archaïque qui a été découvert dans les montagnes de Sibérie, et donc on date ce métissage, cette rencontre entre des populations d’hommes modernes qui vont être les ancêtres du Pacifique, et l’homme archaïque de Denisova entre 40 000 ans et 20 000 ans. Ce qui veut dire que, possiblement, il y avait encore des hommes archaïques affiliés à Denisova il y a 20 000 ans dans ces régions." Des hommes et des femmes de Denisova auraient donc pu encore fouler le sol de la planète il y a 20 000 ans. En quels lieux ? La question reste posée. Mais le génome des Océaniens porte la trace de plusieurs métissages avec cette espèce. "Lorsqu’on dissèque vraiment la contribution des populations de type Denisova en Océanie, on se rend compte en réalité qu’il n’y a pas eu un seul métissage mais peut être quatre métissages différents. Un métissage qui a eu lieu avec les populations d’Asie de l’Est, telles que les Taïwanais, et les Austronésiens dont nous avons parlé, un métissage qui a eu lieu dans les ancêtres des Papous de Nouvelle-Guinée, et potentiellement 2 métissages chez eux, et également un métissage qui aurait eu lieu chez d’autres populations dont on n’a pas encore parlé qui sont les Négritos des Philippines. Ce sont les populations que l’on pense être les premiers habitants des Philippines, caractérisés par une peau assez foncée et qui sont souvent des chasseurs cueilleurs. Donc au minimum 4 métissages différents à des époques qui s’étalent entre 40 000 et 20 000 ans et à des endroits que l’on ne connait pas réellement, et là, on a besoin de l’archéologie et de l’archéogénétique pour pouvoir le découvrir." Si elles ne nous renseignent pas sur la localisation de ces métissages, les données génétiques nous en apprennent plus sur cette espèce encore très mal connue. "Les différentes populations d’hommes archaïques affilées à Denisova étaient en réalité beaucoup plus diverses que ce qu’on pensait. Je vous ai parlé de 4 métissages différents et ces métissages ce sont fait avec des Denisova différents. Ce qu'on voit en réalité, c'est que les populations d’Asie de l’Est se sont métissées avec une population de Denisova qui est très proche du génome Denisova trouvé en Sibérie. Par contre lorsqu’on regarde chez les Papous, on voit que cette population archaïque de sorte de Denisova, est bien différente de celle qu’on trouve en Sibérie. Ce qui laisse penser, concrètement, qu’il y avait au moins 2 populations affiliées à Denisova, différentes l’une de l’autre, qui vivaient peut-être en Asie de l’Est pour l’une, et pour l’autre en Asie du Sud-Est et qui étaient séparées l’une de l’autre depuis au moins 200 000 à 400 000 ans." Au-delà de l’histoire des migrations qui ont peuplé la région du Pacifique Sud, ces données génétiques apportent donc un nouvel éclairage sur l’histoire de l’homme moderne et sa rencontre avec des espèces aujourd’hui disparues. "La contribution de l’homme de Denisova au génome des populations d’Océanie éloignée et proche est très variable : il va varier de presque 0% jusqu’à plus de 3,2%. Qu’est-ce que nous disent ces résultats ? Ça nous dit que les ancêtres de tous les non-Africains se sont métissés une fois avec une population de Neandertal. Et donc toutes les populations non-africaines ont à peu près 2,5% de leur génome qui vient de Neandertal. Pour ce qui est des populations archaïques de type Denisova, l’histoire est beaucoup plus compliquée. Certaines populations non-africaines ce sont métissées, d’autres pas. Certaines populations d’hommes modernes ce sont métissées avec une certaine population de Denisova, d’autres populations d’hommes modernes ce sont métissées avec d’autres populations de type Denisova. Donc la situation est vraiment beaucoup plus compliquée, 4 métissages différents qui s’étalent dans le temps avec des populations différentes."