Puff : des risques derrière les e-cigarettes jetables ?
En sera-t-il bientôt fini des puffs, ces cigarettes électroniques jetables très appréciées des jeunes ? Le gouvernement souhaite les interdire dès 2024 et le 4 décembre, l’Assemblée nationale a voté un texte en ce sens. Une initiative qui fait écho aux inquiétudes publiquement exprimées par le médecin Loïc Josseran, président de l’Alliance contre le tabac. Il raconte ici les dangers de ces dispositifs de vapotage de nouvelle génération.
Réalisation : Léocadie Martin
Production : Universcience
Année de production : 2023
Durée : 9min44
Accessibilité : sous-titres français
Puff : des risques derrière les e-cigarettes jetables ?
Des couleurs qui flashent, des arômes toujours plus gourmands. Fruits rouges, pêche glacée, barbapapa, bubblegum… La puff a tout d’un bonbon… fumable. Après la box, la pod, la pen, le vapotage maintenant c’est ça : La puff, une cigarette électronique jetable. Elle tire son nom de l’anglais « bouffées » puisqu’elle se vend par nombre de taff. Le petit dispositif en forme de clé USB en contient généralement entre 500 et 600, avec ou sans nicotine. Rien de révolutionnaire jusqu’ici. Avec la puff comme avec ses prédécesseurs, un liquide à base de propylène glycol, de glycérine végétale, d’arômes et de sel de nicotine est vaporisé, grâce à une résistance chauffante. Au bout, une vapeur à inhaler. Mais la particularité de la puff, c’est son côté simple. Liquide prérempli, batterie préchargée, elle s’active par la simple aspiration du consommateur. La puff se distingue aussi par ses goûts marqués et originaux, toujours plus sucrés : une recette qui séduit avant tout les plus jeunes. En octobre 2022, l’Alliance contre le tabac a publié une enquête sur le sujet. Résultat : près d’un adolescent sur 10 aurait déjà essayé la puff. Cette association a d’ailleurs réclamé son interdiction pure et simple. À l’origine, la cigarette électronique prétendait servir d’outil au sevrage tabagique, mais qu’en est-il en réalité ? « Dans notre environnement, on a vu et on voit que c’est un produit d’usage courant aujourd’hui, malheureusement, auprès de ces jeunes enfants. Et c'est pour ça qu'on peut quasiment parler aujourd’hui d’épidémie pédiatrique. On est sur un produit qui est ciblé, qui est destiné aux plus jeunes. Nous nous sommes intéressés à ce sujet-là puisque, on le sait aujourd’hui, ça a été affirmé à différentes reprises, ça a été montré par le Haut Conseil de la santé publique que la cigarette électronique chez les plus jeunes, et notamment la puff, est une porte d’entrée vers le tabagisme, parce qu’on voit que la nicotine absorbée par ce biais-là rend les jeunes addicts. Il est évident que l’on ne va pas consommer un produit goût licorne des années et des années, et qu’à un moment, on va vouloir en grandissant passer à quelque chose de plus "sérieux" et ce quelque chose, le plus souvent, c’est la cigarette classique. Mettre un cerveau jeune d'un enfant de 11-12 ans en contact avec la nicotine, c’est tout sauf naturel. On sait que ça a un impact sur le développement cérébral des plus jeunes et également - c’est important - un impact sur la capacité d’apprentissage. On observe des troubles de l’apprentissage chez les enfants qui consomment des produits à base de nicotine. Donc ce n’est pas un produit anodin, ce n’est pas un produit récréatif. C’est cool de faire comme les autres, mais ça a de vraies répercussions d’un point de vue santé. » Argument souvent entendu : la cigarette électronique c’est toujours moins nocif que la cigarette. Certes, elle ne contient ni goudron, ni tabac brûlé. C’est pourquoi le vapotage est largement recommandé aux fumeurs. Or la majorité des jeunes amateurs de puff n’a jamais touché une cigarette. À ce jour aucun rapport n’a porté sur les effets sanitaires des seuls puffs. Mais en 2021, l’OMS alertait déjà sur les dangers pour la santé liés au vapotage. En cause, notamment, la qualité des liquides employés dans les cigarettes électroniques. Et ce n’est pas tout. « Des études récentes suggèrent des effets néfastes sur la santé cardiovasculaire, notamment sur le rythme cardiaque et la tension artérielle. L'usage des dispositifs électroniques de vapotage est également associé à un risque accru d’infarctus du myocarde. Et de plus, ils auraient des effets sur la santé respiratoire. » « Il a fallu plusieurs décennies pour arriver à montrer les effets du tabac. La cigarette électronique a à peine 10 ans, avec un pourcentage de consommateurs qui reste relativement faible en France : aujourd’hui, selon les derniers chiffres de santé publique France, la cigarette électronique en France, c’est de l’ordre de 5 à 6 % de consommateurs. Donc ce n’est pas une population extrêmement importante et une majorité est vapo-fumeurs, c’est-à-dire qu'ils fument, ils continuent à consommer une cigarette traditionnelle et ils vapotent en même temps. Donc, arriver à dénouer les effets de l’un et l’autre n’est pas évident. En revanche, il y a des études qui sortent sur ces produits là et on se rend compte que la vapeur, la fumée de la cigarette électronique - et la puff n'y échappe pas - qui contient certes de la nicotine, certes de l'eau, mais aussi des parfums, notamment, on se rend compte que cette fumée a un effet très irritant et très inflammatoire sur l’arbre respiratoire, entraine des syndromes asthmatiformes très particuliers et qui sont liés à la consommation directe de la cigarette électronique. Donc là c’est en train d’être montré aujourd’hui de façon claire, avec une réduction, alors ça se récupère, heureusement, dans le temps. On se rend compte aussi que ça a un effet cardiovasculaire avec des augmentations de la tension artérielle, avec, là aussi, une inflation de la paroi artérielle qui, sur une utilisation de long terme peut poser des problèmes cardiovasculaires. Donc, ce n’est pas un produit anodin. » Ces dernières années, la e-cigarette est devenue un véritable objet de recherche, principalement aux Etats-Unis. Sans consensus pour l’instant. Certaines études suggèrent des effets négatifs d’ordre dentaire, pulmonaire, cardiovasculaire et mentale. D’autres concluent à l’inoffensivité de ces produits, en rappelant qu'on ne dispose pas encore de données à long terme. Difficile donc d’y voir clair. Sébastien Soulet est chercheur à Ingésciences, une entreprise spécialisée dans l'analyse des produits du vapotage. Selon lui, leur nocivité dépend surtout des conditions d'utilisation. « Dans la littérature il y a un non consensus sur les produits du vapotage justement parce que d'un côté, vous avez des gens qui ont un regard axé sur les modalités d'utilisation du dispositif et, d’un autre côté, des gens qui utilisent le dispositif sans se soucier vraiment des conditions opératoires. Vous retrouverez dans beaucoup de papiers des tests qui sont conduits bien au-delà des recommandations du fabriquant. Alors je ne dis pas qu’il y a un risque 0 parce que - je vais être honnête - à partir du moment où il y a des molécules indésirables qui sont là même dans un bon fonctionnement du dispositif, le vapotage a un risque toxique en inhalation. La question c’est : est-ce que le risque est "acceptable" ou pas. La difficulté c’est justement de fournir de la donnée sur cette problématique. » Dans la loi française, les produits du tabac et ses produits connexes sont classés en trois catégories : produits du tabac, produits du vapotage et produits à fumer à base de plantes. Mais la puff change la donne. En touchant les jeunes, elle plaide en faveur d’un besoin de normes plus strictes. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé son intention de réglementer comme les cigarettes les produits contenant de la nicotine, à l’instar des puffs. Un moyen de rappeler l’interdiction de vente aux mineurs trop souvent contournée. En effet, les produits de vapotage sont souvent achetés en ligne, sans aucun contrôle. De plus, de nouveaux modèles sont sans cesse commercialisés, ce qui complique la mise en place de normes de sécurité et de qualité. « Aujourd’hui les industriels sortent des dosages de nicotine qui sont à 5% alors que c’est interdit, en France en tout cas. Mais on peut les acheter, n’y a pas de problème. Les premières puffs elles étaient à 300, aujourd’hui on est à des à 2000 bouffées. Tout ça, tous ces produits sont fabriqués en Chine, et après c’est le "far-west" d’internet. Donc vous pouvez acheter ce que vous voulez, où vous voulez, au dosage que vous voulez et vous le faire livrer, il n’y a pas de problème. Donc les industriels ont toujours cette longueur d’avance. Aujourd’hui il faudrait, de façon très efficace, que la réglementation française et européenne se penche enfin sur les modes d’acquisition de ces produits-là. On a une loi Evin en France qui protège très bien de la publicité, qui interdit l’accès, en théorie en tout cas, aux produits chez les mineurs, qui interdit de consommer dans les lieux publics, etc. Mais aujourd’hui, il nous faudrait une loi Evin 2.0 ou 3.0, pour aller sur la vente et l’accès aux produits sur les réseaux sociaux, sur internet, qui sont des moyens de distributions très très très développés. » Les politiques s’emparent peu à peu de la question. Le Sénat a voté en faveur d’une taxe dissuasive de 6 voire 10 euros par millilitres sur les cigarettes électroniques jetables, type puff. Un prix à la mesure de leur impact environnemental, puisque les e-cigarettes jetables à usage unique contribuent directement à la pollution des sols avec leurs piles en lithium, leurs réservoirs en plastique et leurs emballages multiples. La « taxe puff » est pour l’heure suspendue à la poursuite du parcours législatif. Mais elle annonce la couleur : pour les puffs, les obstacles se multiplient. En février 2023, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a réclamé l’interdiction des arômes dans les dispositifs de vapotage. Seul l’arôme tabac serait autorisé. Une décision contraire à l’ADN même des puffs ! L’Assemblée nationale a également déposé une proposition de loi visant à interdire purement et simplement les dispositifs de vapotage à usage unique. Tout juste installée dans nos rayons, la puff, risque donc, déjà, la disparition.
Réalisation : Léocadie Martin
Production : Universcience
Année de production : 2023
Durée : 9min44
Accessibilité : sous-titres français