L’océan, ce poumon planétaire qui absorbe près d’un tiers de nos émissions de CO2, conserve encore bien des mystères que la science cherche à percer. Si les phénomènes physiques qui l’anime sont aujourd’hui bien compris et intégrés dans les modèles de climat, les échanges biologiques et chimiques qui se déroulent à plusieurs centaines de mètres sous la surface sont largement méconnus, et leurs effets difficiles à estimer. Pour explorer ce monde des profondeurs, un réseau scientifique mondial quadrille patiemment les océans du globe grâce à des outils flottants 100% autonomes. Immersion immédiate à la rencontre du petit peuple océanique.
Générique
Composant majeur du système terrestre, l’océan en est pourtant la partie la plus méconnue car très difficile à observer. Les satellites n’en aperçoivent que la surface, alors que la profondeur moyenne des océans du globe atteint 3km. Pour la science, une seule solution: plonger. Ce besoin de données in situ dans les profondeurs a fait naitre il y a 30 ans à un ambitieux programme baptisé ARGO.
Fabrizio D’Ortenzio
Les balises Argo c’est des flotteurs-profileurs qui ont une capacité d’opérer pour des années grâce à un système très performant en énergie qui permet de n’en consommer pas beaucoup. Avec un pack de piles par énorme il permet de rester dans l’eau et d’être opérationnel pour 2, 3 voir 4 années. Au départ ils n’étaient équipés que d’un certain nombre de capteurs pour la physique des océans et donc ce programme international il a pris un peu de temps à démarrer mais il est arrivé à un stade où il y a quasiment 4 000 bouées actuellement opérationnelles. Ce grand projet international a permis des avancements colossaux du point de vue de la compréhension du système Terre.
Dans la baie de Villefranche sur mer, une équipe de recherche du laboratoire d’océanographie s’apprête à prendre le large. Elle embarque avec elle un modèle de balise Argo pas tout à fait comme les autres pour une collecte de données en mer. Comme des dizaines d’équipes à travers le globe, ces chercheurs français déploient des flotteurs profileurs qui permettront de sonder les profondeurs durant plusieurs années.
Antoine Poteau
On va déployer un flotteur NKE qui est super équipé avec plein de capteurs. Il y a bien sur le fameux capteur de salinité-température qui est historique dans le programme Argo, on a la mesure d’oxygène, de chlorophylle, d’éclairement, de nitrate, d’atténuation de l’eau de mer et un appareil qui fait des petites photos qui va déterminer la taille des particules et les espèces de phytoplancton. Cet instrument va descendre à 2000m de profondeur et remonter tous les 10 jours. Donc il y a un petit ballon de baudruche qui est là, qui va se gonfler ou se dégoufler et qui va faire monter ou descendre le flotteur. C’est extrêmement simple.
Une fois largué en mer, ce flotteur Argo enregistre les données physiques, biologiques et chimiques de son environnement et les transmet presque en temps réel via les satellites. Les outils installés sur la balise par les chercheurs de Villefranche sur Mer permettent aussi d’évaluer le rôle du phytoplancton dans la machine climatique mondiale. Des données qui nourriront les modèles numériques pour dresser un portrait plus précis des océans et alimenter les futurs scénarios climatiques.
Fabrizio D’Ortenzio
Notre capacité actuelle de prédire le fonctionnement d’ensemble de la planète passe par comprendre tous les compartiments et un de ces compartiment principal c’est le phytoplancton. On sait que ces microorganismes ils ont un rôle très fort dans le cycle du carbone planétaire sauf qu’à cause de tout un tas de raison, dont la première est le manque d’observation, la modélisation de ce processus n’est pas toujours très précise.
Le phytoplancton, cet ensemble de micro algues et de bactéries qui vit dans les eaux de surface et dérive au gré des courants, produit la moitié de l’oxygène terrestre et consomme la moitié du CO2 présent dans l’atmosphère. Ces organismes constituent le premier maillon de la chaîne alimentaire marine et permettent à l’océan de piéger le carbone durant des millions d’années.
Julie Uitz
Le piégeage dans l’océan par voie biologique repose sur le mécanisme de photosynthèse qui est réalisé par le phytoplancton c’est-à-dire le plancton végétal. Ce plancton végétal va donc utiliser le dioxyde de carbone dissous dans l’eau et va le convertir en matière vivante, en carbone organique, en utilisant les nutriments et la lumière du soleil. Une part de ce carbone fixé par photosynthèse va, sous forme de détritus ou de cellules mortes, sédimenter vers le fond des océans et une partie va être donc séquestrée, piégée pour des centaines voire des milliers d’années dans les océans profonds.
Les données biologiques collectées par les flotteurs Argo de nouvelle génération permettront aux scientifiques d’étudier la productivité du phytoplancton et d’observer la sédimentation de la matière organique riche en carbone dans les grandes profondeurs.
Julie Uitz
Il existe une très forte hétérogénéité dans les processus biogéochimiques auxquels on s’intéresse, dans la distribution du phytoplancton. Les zones de hautes latitudes connaissent un cycle saisonnier plutôt marqué avec des apports forts en nutriments notamment au printemps ou en été dont le phytoplancton va bénéficier pour se développer, former des floraisons extrêmement denses qui vont fortement contribuer au piégeage du carbone en profondeur. Les zones centrales des océans sont plutôt des zones qu’on a longtemps qualifiées comme des déserts océaniques. En fait ce ne sont pas tout à fait des déserts il se passe pas mal de choses et on s’en rend compte notamment grâce aux observations par flotteurs-profileurs. On y observe une dynamique moins marquée mais malgré tout présente et notamment avec des biomasses de phytoplanctons qui se forment en profondeurs là où elles peuvent bénéficier de suffisamment de lumière mais aussi profiter des nutriments qui sont présents dans ces zones.
Le déploiement des flotteurs Argo de nouvelle génération prendra du temps, mais il permettra d’étudier finement les phytoplanctons d’ici une dizaine d’années, de mieux comprendre le cycle du carbone planétaire et donc d’affiner les modèles de climat. Car l’infiniment petit apporte aussi sa pierre à notre gigantesque machine climatique.