Si au lieu de déguster une huître ou d'en récupérer la perle, on prenait le temps d'étudier sa structure, on découvrirait que la nacre est un matériau fascinant. Ses propriétés remarquables lui confèrent une résistance qui intéresse les chercheurs afin de réaliser des bétons plus durables. - En France métropolitaine, on trouve essentiellement des huîtres comestibles, les Crassostrea Gigas qu'on trouve notamment sur le bassin d'Arcachon, et aussi en Bretagne ou en Normandie. Et ensuite dans les îles, par exemple en Polynésie, on trouve des huîtres perlières, c’est des Pinctada Margaritifera, mais également des Pinctada Maculata. C'est essentiellement les trois huîtres sur lesquelles je travaille. D'un point de vue chimique, la nature travaille toujours avec les éléments les plus simples et donc les coquillages sont formés de carbonate de calcium. Les huîtres d'Arcachon sont principalement composées de calcite et les huîtres perlières, qui sont nacrées, plutôt composées d’aragonite. Alors moi, je m'intéresse effectivement plutôt aux propriétés mécaniques de la nacre. Tout d'abord, c'est un composite puisqu'elle est composée à 95 % d'aragonite et à 5 % de matière organique. Et lorsqu'on travaille sur les composites, on a ce qu'on appelle en général une loi de mélange, c'est-à-dire qu'on a un compromis, c'est-à-dire qu'on a un peu des propriétés du corps A, un peu des propriétés du corps B. Mais on n'a jamais les propriétés qui excèdent ceux des espèces initiales, alors que la nacre a une résistance à la rupture qui est 100 fois supérieure à l'aragonite pure. Une autre particularité, c'est que la nacre, lorsqu'on la sollicite, a ce qu'on appelle un coefficient de poisson négatif. Et donc le coefficient de poisson caractérise les déformations transverses quand on tire dans une direction. Donc si on tire sur un matériau classique, il va y avoir tendance à se contracter. Quand on appuie dessus, il a plutôt tendance à gonfler. La nacre, c'est un peu le contraire. Quand on va tirer dessus, au bout d'un moment, on va avoir des déformations transverses de gonflements. Et la dernière particularité qui est la plus intéressante pour les mécaniciens, c'est que la nacre se renforce lorsqu'on la casse alors que tous les matériaux ont plutôt tendance soit à avoir une résistance à la rupture qui est constante, soit qui diminue au fur et à mesure de la sollicitation. Toutes les échelles jouent un rôle, mais souvent c'est l'échelle nanoscopique ou l'échelle microscopique qui est la plus importante. C'est à cette échelle-là qu'il faut regarder si on veut comprendre vraiment les mécanismes qui entrent en jeu dans l'endommagement de la nacre. La connaissance approfondie de la structure de la nacre grâce aux travaux initiés à la North Western University et développés à présent à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, et en Polynésie, a permis de développer des bétons qui utilisent et valorisent les déchets d'huîtres. - La nacre est composée d'un assemblage de tablettes d’aragonite qui font 500 nanomètres d'épaisseur. Et on trouve deux types de nacre, une nacre qu'on appelle en colonne parce que l'assemblage est très régulier avec une zone de recouvrement sur les tablettes, mais de façon très régulière. C'est la nacre des ormeaux notamment. Et on trouve un autre type de nacre, notamment chez les bivalves comme les huîtres. C'est une nacre en mur de briques, où l'assemblage des tablettes d’aragonite est un peu plus aléatoire à la petite échelle. Et mes collègues ont récemment montré que la nacre en mur de briques, notamment celle des Pinctada Margaritifera, est plus résistante que la nacre des ormeaux. Et notamment, j'ai pu montrer en faisant des essais de propagation de fissures dans l'épaisseur du coquillage, comment les tablettes d'aragonite glissent entre elles afin de propager l'endommagement et d'augmenter la résistance du matériau au fur et à mesure qu'une fissure se propage dans le matériau. En bio-inspiration, on étudie toujours la nature et on essaye d'avoir des nouvelles idées et de faire des matériaux de synthèse qui s'inspirent de cette nature. Un béton classique, c'est un squelette granulaire donc composé de sable ou de plus gros cailloux, un liant, la plupart du temps du ciment, et de l'eau. Dans cette formulation, on va remplacer entièrement le squelette granulaire par des coquillages broyés. Donc on a pu travailler sur différents types de formulations et caractériser les propriétés mécaniques, et montrer notamment qu'on pouvait atteindre des propriétés qui étaient suffisantes pour faire du béton de structure. Et ce qu'on a vu aussi en laboratoire, c'est qu'on est capable, en fait, de transférer le comportement intéressant des coquillages à la rupture vers les bétons. Et donc on a une vraie bio inspiration dans ce sens, c'est-à-dire qu'on est en train d'arriver à transférer les propriétés observées sur la nacre naturelle vers des matériaux, donc des bétons bio-hybrides et bio-inspirés. Il faut savoir qu'on a un déficit en granulats et en sable à l'échelle mondiale. Et donc ça permet donc sur certains territoires de pallier à cette carence et de proposer de nouveaux bétons avec une ressource locale et notamment en Polynésie. Alors en Polynésie, si on veut construire quelque chose, on va utiliser du béton. Et donc soit on fait venir par fret du sable et des granulats qui viennent par exemple de Tahiti, donc à cinq ou six jours de bateau. Soit on va draguer la barrière de corail pour faire du béton de corail. Donc, ce qu'on a pu proposer pour l'instant à partir de ces coquilles, ce sont des mortiers. Donc, dans ces mortiers, la particularité, c'est qu'on a remplacé entièrement le squelette granulaire d’un mortier classique. Donc tout le sable est fait d'huîtres broyées. En Métropole, on a un peu plus avancé. Au laboratoire, on a pu formuler des bétons d'huîtres à partir des déchets produits sur le bassin d'Arcachon. Cette formulation de laboratoire, on vient de la transférer en conditions industrielles. On a un premier site pilote au niveau de l'île de Ré, sur la commune des Portes-en-Ré, qui nous permet d'avoir un laboratoire in situ. On va pouvoir regarder le vieillissement de nos bétons en conditions environnementales. Alors dernièrement, on a pu aussi mettre en œuvre sur un site emblématique de la région Nouvelle-Aquitaine, la dune du Pilat, on a pu réaliser 200 mètres de cheminement piéton. Tout le chemin est fait avec du béton dont le squelette granulaire est à 100% des huîtres broyées d'Arcachon. Là, la particularité, c'est qu'on était vraiment en vraie condition industrielle de chantier. On veut faire des bétons à faible impact environnemental et performants, et on a montré qu'on pouvait le faire finalement sur toutes les régions du monde dès l'instant qu'on s'intéresse aux coquillages et aux déchets qui sont produits localement, et qu'on adapte la formulation à ces coquillages. Ce béton, performant et à faible impact environnemental, peut être réalisé dans toutes les régions du monde où existe une économie locale de production de coquillages, et notamment dans les zones côtières qui sont les endroits les plus habités sur terre.
Réalisation :
Victor Blondel, Thomas Marie
Production :
Universcience, La Belle Société Production, CNRS Images, MNHN, Ademe, Cerema, Région Normandie, Région Nouvelle-Aquitaine, Institut des Futurs souhaitables, Ceebios, avec la participation du Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, UPPA, Fonds de dotation Teréga accélérateur d’énergies.
Année de production :
2023
Durée :
6min41
Accessibilité :
sous-titres français