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Carlo Rovelli avant la cérémonie d’ouverture du 80e festival international du film de Venise, le 30 août 2023 © AFP Tiziana Fabi

Dans son dernier ouvrage, Trous blancs, le physicien Carlo Rovelli décrit sa quête  avec les yeux de l’esprit » du devenir des trous noirs, dans un « journal intime » ponctué par la poésie de Dante, qui fait la part belle aux émotions que procure la recherche scientifique. 

L’existence des trous noirs ne fait plus de doute, explique à l’AFP ce directeur de recherche au CNRS, qui réside au Canada. « On a une idée de leur formation, avec une étoile qui finit de brûler », avant de s’effondrer sur elle-même. En concentrant une telle masse dans un si petit volume que plus rien ne peut en sortir, même pas la lumière. Mais ensuite ? « Où va la matière ? », interroge le physicien de 67 ans, qui décrit dans son ouvrage (Flammarion) une sorte d’entonnoir, invisible à tout observateur extérieur, qui devient avec le temps de plus en plus long et étroit, et au fond duquel se trouve l’étoile ayant donné naissance au trou noir.

La géométrie de cet espace « ressemble beaucoup à celle de l’Enfer de Dante » Alighieri, écrit Carlo Rovelli, qui a choisi, pour accompagner son récit, l’œuvre de son auteur favori et compatriote, poète et penseur italien (1265-1321). Et qui emmène le lecteur dans ce « monde aveugle (…) où les équations ne fonctionnent plus ». Parce que la théorie générale de la relativité, qui explique le fonctionnement de l’Univers, se heurte alors aux règles de la physique quantique, qui régissent l’infiniment petit.   

Carlo Rovelli est un des fondateurs de la théorie de la gravitation quantique à boucles, une tentative de concilier ces deux mondes. Il convient aujourd’hui avoir « perdu tout intérêt à développer la théorie pour elle-même », et préfère désormais en « chercher des éléments de preuve » dans l’étude des trous noirs.

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Première image du halo de matière ceinturant un trou noir, fournie par l’Observatoire européen austral, le 10 avril 2019 © ESO/AFP

Dans son ouvrage, il postule qu’à un moment, ce qui reste de l’étoile au fond du trou noir va « rebondir » et transformer le trou noir en trou… blanc. Un objet dans lequel, à l’inverse de son géniteur, rien ne peut entrer. Un objet indétectable actuellement, peut-être « épais comme un cheveu », qui perd lentement son énergie. Explorer ce monde aveugle nécessite de « voir avec les yeux de l’esprit », en respectant un équilibre délicat « entre ce que nous emmenons avec nous, et ce que nous laissons derrière nous », écrit-il. 

À l’image des physiciens qui depuis des siècles combinent et recombinent les « pièces du puzzle de notre connaissance », en se forçant à chaque fois à regarder les choses sous une nouvelle perspective : depuis Anaximandre qui, au 6e siècle avant notre ère, comprend que la Terre est suspendue dans l’espace, jusqu’à Einstein dont la théorie de la relativité générale postule que la géométrie de l’espace et du temps est le jouet de la force gravitationnelle. 

Un parcours semé de doutes, explique le physicien, car « douce-amère est la science ». Il décrit son livre comme « le journal intime d’un chercheur qui va regarder dans le noir pour essayer de comprendre le monde ». Et partager avec son lecteur « les émotions qui nous portent quand on cherche », et que l’on pense avoir trouvé.

Pourquoi faire référence à La Divine Comédie de Dante ? Parce que Carlo Rovelli voit « un parallélisme entre ce qui se passe dans la production artistique et dans la production scientifique », dit-il. Au delà de leur créativité respective, chacune « nous donne peut-être une meilleure compréhension du monde ».  Imaginer ce qui se passe au fond d’un trou noir, c’est comme pour un écrivain imaginer ce qui se passe dans la tête de ses personnages. « Quand j’ai lu Les Misérables de Victor Hugo, une histoire imaginée, j’en suis sorti avec une compréhension des humains différente (...) (La littérature ou la peinture) nous donnent des yeux meilleurs pour regarder le monde, et c’est exactement ce que fait la science »