L'autoconservation des ovocytes, une procédure nouvelle, victime de son succès
Publié le - par Le Blob avec l'AFP
À 37 ans, Nina n’a pas encore trouvé le père de ses futurs enfants, et vient de faire congeler 15 de ses ovocytes pour préserver ses chances d’une grossesse ultérieure. Comme elle, plus de 11 000 femmes ont demandé à bénéficier de cette nouvelle possibilité instaurée il y a deux ans, mais les délais d’attente s’allongent.
« C’est une sécurité, mais j’ai bien failli ne pas y avoir droit », explique cette psychologue lyonnaise (qui préfère ne pas donner son nom), et qui dit avoir « eu une chance inouïe » car elle a réussi à se faire prélever et congeler des ovocytes en quatre mois environ… un processus achevé deux semaines avant la date fatidique de son 37e anniversaire, âge limite fixé par la loi.
Elle a dû pour cela se rendre à plusieurs reprises dans un centre spécialisé situé à des centaines de kilomètres de chez elle, le seul qui a bien voulu l’accueillir dans les temps.
Avant août 2021, cette procédure n’était autorisée que pour raisons médicales – par exemple, avant un traitement contre le cancer ou en raison d’une maladie risquant d’altérer la fertilité d’une patiente.
Désormais, le motif médical n’est plus nécessaire : les femmes peuvent demander à congeler leurs ovocytes parce qu’elles s’inquiètent à l’idée de devenir moins fertiles avec les années qui passent, et qu’elles veulent préserver leurs chances de tomber enceinte ultérieurement, via une procréation médicalement assistée (PMA).
La loi a fixé une double barrière d’âge : le prélèvement d’ovocyte est possible entre 29 et 37 ans. Ensuite, la femme aura jusqu’à ses 45 ans maximum pour « décongeler » ses gamètes et bénéficier d’une PMA.
En deux ans, le succès de cette procédure a été fulgurant : depuis l’entrée en vigueur de la loi, près de 11 500 femmes ont fait une demande « d’autoconservation ovocytaire », mais seules 4 800 ont débuté le parcours et 1 778 ont bénéficié d’au moins une conservation en 2022, selon des chiffres communiqués récemment par le gouvernement.
« On s’est retrouvés face à une vague de demandes qu’on n’attendait pas », reconnaît le Dr Pauline Jaeger, du service de médecine de la reproduction à l’hôpital Femme Mère Enfant de Lyon. La plupart des patientes sont « des célibataires qui voient l’horloge biologique avancer, et qui veulent alléger la pression sociale » et l’injonction à avoir des enfants, explique cette spécialiste.
De manière logique, la forte hausse de la demande a rapidement entraîné un engorgement de la trentaine de centres publics spécialisés habilités à mener cette procédure en France.
Si bien que certaines femmes, qui veulent se lancer dans le parcours quelques mois avant leurs 37 ans, doivent déchanter : au vu de délais d’attente pouvant atteindre deux ans, elles s’entendent répondre que pour elles, il est déjà trop tard.
C’est ce qui est arrivé à Mélanie Trivalet, 38 ans : faute d’avoir entamé des démarches en France « au moins six mois » avant l’âge limite, cette salariée d’une ONG humanitaire a dû finalement se résoudre à se rendre en Espagne et payer 3000 euros pour faire congeler ses ovocytes. « On m’a fermé la porte de manière assez terrible », s’indigne la jeune femme, qui regrette un manque d’information sur les délais réels à prendre en considération.
Cet « embouteillage » aurait dû être mieux anticipé par le gouvernement, estime Virginie Rio, fondatrice de l’association Bamp ! regroupant et conseillant des patients engagés dans des parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP).
Pour cette militante, il aurait notamment fallu autoriser les centres d’AMP privés à pratiquer des autoconservations sans motif médical, une possibilité écartée par le législateur par crainte d’une « marchandisation du corps des femmes », alors que « ce n’est qu’un fantasme », selon elle.
À court terme, le gouvernement devrait cependant évoluer sur ce point : de « nouveaux centres » pourront désormais pratiquer cette activité, a annoncé le 2 août la ministre chargée des professions de santé, Agnès Firmin-Le Bodo.
Quant à Nina, échaudée par le processus stressant qu’elle vient de vivre, elle se veut désormais prudente, et anticipe la suite : bien que « pas encore pleinement décidée » à faire un enfant seule, elle a entamé par précaution des démarches en vue d’une PMA. Qui, au vu des délais d’attente, pourrait n’avoir lieu que dans deux ans.