Image légendée
L’agriculteur David Bonneau (L) et l’agronome Vincent Bretagnolle dans un champ expérimental à Mougon, dans le département des Deux-Sèvres, le 16 mars 2022 © AFP/Archives Xavier Leoty

Au milieu d’un champ de céréales, des piquets délimitent plusieurs parcelles où de petites fleurs violettes et blanches se mêlent aux pousses tendres du blé. Une vision inhabituelle en agriculture conventionnelle, qui résulte d’un travail scientifique pour aider les agriculteurs à réduire pesticides et engrais chimiques. À l’heure où la stratégie de l’Union européenne pour verdir son agriculture intensive est remise en cause sur fond de crainte de pénurie alimentaire, des négociations internationales à Genève envisagent une réduction des pesticides et des pertes d’intrants chimiques dans la nature.

Dans les Deux-Sèvres, le CNRS compte depuis 1994 une zone d’étude unique en Europe : 450 km2 de terres agricoles, plus de 400 exploitations, une quarantaine de villages. Les scientifiques accompagnent les agriculteurs volontaires pour réduire l’usage de pesticides — sources probables de cancers et fatals aux oiseaux — et d’engrais chimiques, polluants de l’eau et dont les prix explosent. David Bonneau, agriculteur à Mougon, scrute les parcelles expérimentales. Il traite l’une avec du désherbant chimique, une autre mécaniquement avec une herse étrille dont les dents arrachent les plantes sauvages, quand une troisième ne sera pas traitée.

« C’est sale », commente-t-il, penché sur les petites fleurs de véronique et de mouron. Il a pourtant décidé de « réduire les phytosanitaires, car je trouvais ces produits dangereux », raconte-t-il. Et « le grand public demande qu’on en mette moins ». M. Bonneau a fait ses premiers essais avec la herse étrille d’un voisin. Depuis, la coopérative agricole a investi dans un modèle plus performant.

 Rendements 

Les chercheurs du CNRS mesureront les rendements en blé de chacune des parcelles juste avant la moisson, pour connaître l’impact de la réduction d’herbicide.

Image légendée
L’agriculteur David Bonneau prépare un insecticide avant de le pulvériser dans un champ à Mougon, dans le département des Deux-Sèvres, le 16 mars 2022 © AFP/Archives Xavier Leoty

En attendant, David Bonneau voit « les économies » réalisées sur l’achat du produit et sur le matériel. « Je discute rendement et économies avec les agriculteurs et indirectement, cela a un impact positif sur la biodiversité », constate Vincent Bretagnolle, directeur de recherche au CNRS. Au centre du CNRS de Chizé, « nous avons démontré que les agriculteurs conventionnels peuvent réduire un tiers l’azote et les pesticides sans perte de rendement, tout en augmentant leurs revenus car ils baissent leurs charges », explique-t-il.

Pour autant, « même les agriculteurs ayant participé à l’expérimentation et vu les résultats de leurs propres yeux n’ont pas changé leurs pratiques de manière flagrante », poursuit le chercheur. « Dans de nombreuses régions du monde, on en est à un point où l’usage d’engrais est inefficace pour augmenter les rendements », commente Robert Finger, responsable de recherche sur les systèmes agricoles à l’université ETH de Zurich, citant l’Europe et certaines régions d’Asie.

Fonds mutualiste 

L’utilisation trop importante d’engrais ou de pesticides peuvent concerner petites et grandes cultures. Pepijn Schreinemachers, chercheur au World Vegetable Center, étudie le maraîchage dans des pays comme le Vietnam, le Laos et le Cambodge.

Il en ressort une importante sur-utilisation de pesticides. « Les fermiers eux-mêmes sont les plus affectés par la mauvaise utilisation de produits agrochimiques », relate Pepijn Schreinemachers. « Chaque fermier a une anecdote d’empoisonnements causés par des pesticides, d’éruptions cutanées à des vomissements et des évanouissements. Pourtant la plupart pensent fermement que les pesticides sont nécessaires. »

Comment faire évoluer les usages ? « Il faut une combinaison de facteurs », explique M. Finger, qui prône le développement d’alternatives entre le bio et le conventionnel. Il faudrait des politiques publiques soutenant des méthodes alternatives, avec un cap clair à moyen et long terme, avoir des prix des pesticides et engrais reflétant mieux leurs impacts négatifs, développer des polycultures moins sensibles aux maladies, suggère le chercheur.

M. Bretagnolle plaide pour mieux accompagner les agriculteurs, valoriser leurs efforts et assouplir les standards de production fixés par l’industrie agro-alimentaire. En Asie du Sud-Est, il est nécessaire « d’interdire les produits les plus toxiques » ou de rendre plus chère leur utilisation, tout en « rendant les alternatives, en particulier les biopesticides, plus disponibles », indique Pepijn Schreinemachers. Pour contourner « l’aversion au risque » des agriculteurs face au changement, les chercheurs du CNRS réfléchissent à un fonds mutualiste qui les indemniserait en cas de pertes liées à la réduction des engrais de synthèse et pesticides, sur un modèle déjà existant en Italie. Ils veulent aussi mieux associer les consommateurs, via notamment des circuits courts, « pour ne pas laisser tout le poids de la transition sur les épaules des agriculteurs »