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Fonte du pergélisol dans les Îles Herschel © Boris Radosavljevic, CC BY 2.0, Wikimedia Commons

Les tourbières du nord de l’Europe et de la Sibérie occidentale sont menacées par la fonte du sol gelé de ces régions, appelé pergélisol. Ces tourbières contiennent 39,5 milliards de tonnes de carbone, normalement piégées par le sol gelé qui fait office de barrière. Avec l’élévation des températures et la fonte du pergélisol, ce carbone – qui représente deux fois la quantité totale de carbone stockée dans les forêts européennes – pourrait s’échapper dans l’atmosphère. Et justement, la fonte du pergélisol menace la stabilité des tourbières.

C’est ce que montre une récente étude qui s’appuie sur différents scénarios dépeignant les trajectoires climatiques envisagées au 21e siècle en fonction du taux d’émissions de gaz à effet de serre. Même dans le scénario le plus optimiste où des actions drastiques seraient mises en œuvre pour atténuer le réchauffement climatique, les climats du nord de l’Europe ne seraient plus assez froids ni secs, en 2040, pour empêcher la fonte des tourbières gelées. « Nos modèles montrent que la perte d’un climat propice au maintien des tourbières du pergélisol en Europe du Nord est inévitable », souligne Richard Fewster, auteur principal de l'étude parue lundi dans Nature Climate Change. « En Suède, des tourbières ont déjà commencé à fondre par endroits. » 

Les scénarios considérés vont du plus optimiste où, comme l’explique Richard Fewster, « l’atténuation au changement climatique est la plus forte et où la société recherche la durabilité énergétique menant à une empreinte carbone négative d’ici 2075 ». Au plus pessimiste, « sans atténuation ni limite de consommation d’énergie ». En passant par un scénario modéré, « où la société modifie peu ses comportements et le réchauffement se poursuit jusqu’en 2100 ». 

Dans le scénario le plus pessimiste, « quasiment tous les climats d’Europe et de Sibérie occidentale deviendront impropres à maintenir des tourbières gelées dans le pergélisol d’ici 2060 ».

« Les tourbières gelées vont graduellement fondre au cours du temps »

Même dans les scénarios optimiste et modéré, les tourbières du pergélisol en Sibérie occidentale dépasseront également un point de bascule climatique. Mais l’échéance pourrait être repoussée. Jusqu’en 2090, au lieu de 2060, pour le scénario modéré. Et jusqu’en 2100 pour les tourbières les plus au nord, si les mesures d’atténuation les plus fortes sont engagées. Mais, « ce seuil franchi, les tourbières gelées vont graduellement fondre au cours du temps ». Et Richard Fewster de préciser : « La vitesse de fonte va dépendre de l’environnement local, comme le couvert végétal, et du taux auquel le réchauffement de ces régions va se poursuivre. Il n’est pas possible de savoir combien de temps cela va prendre. Mais il est probable que ce soit plus rapide dans les scénarios enregistrant les plus hautes émissions, où le réchauffement continue de croître rapidement. »

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En gris foncé, les zones où le climat serait trop instable pour maintenir les tourbières du pergélisol en Europe et en Sibérie occidentale. En haut à gauche, la situation entre 1960 et 1990. Et entre 2090 et 2099 pour un scénario d’atténuation au changement climatique fort (en haut à droite), modéré (en bas à gauche) et inexistant (en bas à droite). © Richard E. Fewster et al., Nature Climate Change

Des puits de carbone menacés

Couvrant quelque 3 % de la surface terrestre, les tourbières sont des zones humides qui contiennent de la tourbe, une matière issue de déchets végétaux partiellement décomposés : ces sites contiennent donc d’énormes réserves de carbone organique. Pour l’Union internationale pour la conservation de la nature, ces tourbières constituent même les plus grandes réserves naturelles terrestres de carbone, c’est-à-dire davantage que toutes les autres formes de végétation combinées. « Il est alors très important de comprendre comment ces réserves réagiront au changement climatique, afin d’estimer la quantité de carbone susceptible de contribuer à l’effet de serre et d’aggraver ainsi le changement climatique », complète Richard Fewster.

Car, par définition, le pergélisol est un sol qui reste gelé pendant plus d’un an, y compris donc durant les fontes estivales. Tant que les tourbières sont gelées, le carbone qu’elles piègent n’a que très peu de chance d’être relâché dans l’atmosphère. « Mais avec la hausse des températures et la fonte des tourbières, la décomposition de la matière organique reprend, et avec elle, le risque potentiel de voir du carbone relâché dans l’atmosphère, sous forme de dioxyde de carbone ou de méthane. » 

Mais les résultats obtenus par Richard Fewster et son équipe ne permettent pas de prédire quelle quantité de carbone pourrait être ainsi émise. « Le destin du carbone piégé dans les tourbières reste un sujet de recherche. En outre, le réchauffement climatique va favoriser le développement végétal dans ces régions initialement très froides ; cela pourrait compenser une partie du carbone relâché par les tourbières qui auront fondu. On ne peut donc pas encore dire si ces sites deviendront des sources émettrices de carbone, ou si elles demeureront, dans l’ensemble, des puits de carbone. »

Une carte plus fine de la distribution des tourbières du pergélisol là où les données sont éparses, par exemple dans les régions reculées du Canada et de la Sibérie centrale et orientale, sera également nécessaire, afin que des projections puissent être faites à l’échelle de l’hémisphère entier. « On ne peut en être sûr, mais au vu de ce qu’il se passera en Europe et Sibérie occidentale, on peut s’attendre à ce que le climat en Amérique du Nord et dans toute la Sibérie ne puisse plus non plus permettre la préservation des tourbières gelées du pergélisol. »