Dépolluer les friches industrielles, séduisant mais semé d’embûches
Publié le - par LeBlob avec l'AFP
Réhabiliter les friches industrielles pour ralentir l’urbanisation des campagnes : l’idée séduit de Dijon à Rosporden (Finistère) en passant par Évreux ou la banlieue parisienne. Mais la dépollution de ces « verrues dangereuses » se heurte à de nombreux obstacles. « C’est vraiment une opération commando. Et cela coûte beaucoup d’argent », explique Nicolas Golmard, chargé d’organiser la reconversion d’un ex-site de plasturgie (AMI Linpac) de 12 hectares (ha), où ont travaillé jusqu’à 600 personnes avant la fermeture en 2006, à Is-sur-Tille et Marcilly, à 20 kilomètres (km) de Dijon. Pour y arriver, il faut le « choix politique » de lutter contre l’urbanisation de la campagne qui nuit au climat, et se trouver sur un territoire « attractif », ajoute ce salarié de la société publique locale des deux communes.
Leur projet est un des rares à avoir décroché une des aides de l’Ademe (825 000 euros sur 1,7 million d’euros de dépollution). Le reste et le réaménagement des terrains doivent être financés par leur vente, mais l’opération de reconversion devrait être déficitaire de deux millions.
Quinze ans après les premières études, 16 logements ont été livrés à l’automne sur 380 prévus d’ici à 10 ans. Entre temps, des centaines de camions ont extrait 5 % des terres polluées du site, les plus contaminées, et la facture a « flambé », précise Thierry Darphin (DVD), maire d’Is depuis 2014 et ingénieur chargé de la gestion des déchets au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
La majeure partie de la pollution a été « encapsulée » sur place dans des membranes étanches enfouies sous de la terre saine et sous surveillance via de petits puits. La dépollution aurait été 2,5 fois plus chère si la totalité avait été extraite de ce site ouvert en 1948, où des solvants ont été versés à même le sol. Une cartographie a permis d’aménager le terrain en fonction de la pollution « résiduelle », en faisant par exemple un parking là où demeurent des terres toxiques, plutôt que des logements.
À 400 km de là, en Normandie, à Évreux, la dépollution d’un ancien vaste site Philips de 10 ha est, elle, interrompue. Seule la moitié de ce terrain pollué aux hydrocarbures et solvants chlorés, situé en face d’un lycée de 1400 élèves, a été traitée. « C’est intolérable. Les habitants de ce quartier où vivent beaucoup d’enfants sont laissés à l’abandon », déplore Timour Veyri, conseiller municipal d’opposition.
Potagers interdits
Ici, en raison des pollutions « résiduelles », les locataires des 20 derniers logements sociaux livrés avec jardin ont interdiction, depuis un arrêté préfectoral du 25 février 2020, d’y réaliser potager, verger, plan d’eau ou de « procéder à des enlèvements de terre ». Ces maisons sont habitées depuis bientôt quatre ans. « Un principe de précaution » courant, selon Brownfields, la société qui a mené ce début de reconversion. Mais certains bailleurs sociaux n’ont apparemment pas transmis les consignes. La plupart des résidents interrogés ont assuré ignorer ces interdictions.
Pourquoi ne pas avoir dépollué totalement ces terrains ? « La dépollution en France, c’est selon l’usage » à venir du terrain, répond Abdelkrim Bouchelaghem, directeur général de Brownfields, l’un des fonds d’investissement français spécialisés dans les friches.
Les exigences de l’État sont, pour les logements, moins strictes que pour une école mais plus importantes que pour une zone d’activités, avec des effets sur les coûts. À Évreux, sur les 5 ha reconvertis, Brownfields affiche 20 000 tonnes de terres polluées traitées sur place, avec un taux de réutilisation sur site de 90 %. Les eaux souterraines font l’objet d’une surveillance.
À quelques mètres des 395 logements (sur 1 000 envisagés au départ) et de l’agence Pôle emploi construits sur la friche normande, de récents panneaux « Danger défense d’entrer » ont été installés sur une palissade, déjà partiellement éventrée. Un dispositif mis en place par le liquidateur judiciaire, propriétaire du site après un incendie sur la friche alors transformée en décharge sauvage.
L’État avait exigé en 2019 que le terrain vague soit clôturé correctement, le danger signalé, les galeries obstruées, l’ex-station d’épuration nettoyée. Brownfields explique avoir « jeté l’éponge » sur cette zone, faute d’acheteurs pour la suite du programme immobilier qui devait financer sa dépollution. Le fonds affiche une perte d’un million d’euros sur ce projet après environ cinq millions investis en déconstruction et dépollution.
Dans la banlieue de Strasbourg, « en six ans, on a fait 100 hectares de parc d’activités (sur le terrain de l’ex-raffinerie Pétroplus, ndlr). À Évreux, ville pas très très riche, en 12 ans on a péniblement fait 5 ha » de logements, explique le DG, même si les terrains se vendent plus cher pour du logement que pour de l’industrie. « On est arrivé au bout du système de financement de la dépollution par le foncier. Sur des territoires comme les nôtres, l’État doit financer plus que des effets de leviers sur des opérations de promotion immobilière », estime de son côté le maire DVG de Romainville (Seine-Saint-Denis), François Dechy.
Ici, la première phase de la dépollution de l’ex-site Wipelec (3 500 m2) a, selon la mairie, ponctuellement entraîné une pollution de l’air au trichloréthylène (TCE), substance cancérogène, en 2018. La seconde phase de la dépollution qui doit démarrer fin janvier suscite une « très forte inquiétude », selon l’association de riverains Romainville Sud, d’autant que les seuils de TCE tolérés dans l’air en France ont bondi en 2019.
Une instruction menée par le pôle santé du tribunal de Paris est en cours à la suite de plaintes de riverains contre X notamment pour « homicides involontaires » et pollution. Ce site est accusé d’être à l’origine de cancers lorsqu’il était en activité, selon Me Marie-Odile Bertella-Geffroy. Une pollution pendant la dépollution a été ajoutée, selon cette ex-juge d’instruction au sein de ce pôle spécialisé.
Bétonisation
« Toute la première couronne (autour de Paris) est concernée par la pollution » d’anciennes usines, ajoute Gaylord Le Chequer, premier adjoint PCF à l’urbanisme de Montreuil. Ici, la pollution de l’ancienne peausserie EIF (9 500 m2) s’est avérée beaucoup plus importante que prévu (26 tonnes de terres souillées aux hydrocarbures et aux solvants chlorés). Et la mairie a opté pour une dépollution, par « injection de bactéries » et non par excavation des terres qui « risquerait d’aggraver la pollution », selon M. Le Chequer. Résultat, le budget est passé de 1,7 à 4 millions. Et le site est occupé par des militants, bloquant le démarrage de la dépollution.
Le risque avec le financement de la dépollution par l’immobilier, c’est la « bétonisation », qui supprime des « îlots de fraîcheurs » comme cela a été le cas dans le bas Montreuil avant 2014, estime en outre M. Le Chequer. Mais pour Michel Loussouarn, maire SE de Rosporden (Finistère), embarrassé par 10 ha de friches, le premier obstacle à la dépollution demeure le peu d’intérêt des industriels à vendre ces « verrues dangereuses », le paiement des impôts fonciers, qui vont baisser en 2021, étant plus avantageux que celui d’une dépollution.
Selon le Sénat, le nombre, très incertain, de friches industrielles polluées serait de 7200 en France.