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Gaz Devi, née la nuit de la fuite de gaz dans une usine de pesticides en 1984, devant sa maison à Bhopal, le 26 novembre 2024 en Inde © AFP Gagan Nayar

Gaz Devi est née à Bhopal, il y a quarante ans ans, juste après minuit, à l’heure où du gaz mortel s’échappait d’une usine de pesticides de cette ville du centre de l’Inde. Depuis, « sa vie est un enfer ». Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, ses cris ont été étouffés par les hurlements des habitants qui tentaient d’échapper aux émanations d’isocyanate de méthyle.

L’une des pires catastrophes industrielles au monde a fait quelque 3500 morts les trois premiers jours. Quelque 25 000 personnes sont décédées dans les années qui ont suivi. Quatre décennies plus tard, cette catastrophe empoisonne toujours la vie de Mme Devi et des personnes nées avec des malformations. Mme Devi, une travailleuse journalière, souffre de douleurs constantes. L’un de ses poumons n’est pas complètement développé et cette frêle quadragénaire, résidente d’un bidonville de Bhopal, la capitale de l’Etat du Madhya Pradesh (centre), est constamment malade. 

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Des enfants des deuxième et troisième générations des victimes de la fuite de gaz de Bhopal en 1984, nés avec des malformations, reçoivent traitement gratuit au centre de réhabilitation Chingari Trust, le 25 novembre 2024 à Bhopal, en Inde © AFP Gagan Nayar

Des milliers d’habitants, le plupart vivant dans un immense bidonville situé entre la ville et l’usine, ont été pris au piège en plein sommeil par les émanations du gaz qui s’échappait de l’usine du groupe américain Union Carbide.

Nathuram Soni, 81 ans, a été l’un des premiers à assister à des scènes apocalyptiques. « Les gens avaient de l’écume à la bouche. Certains avaient déféqué, d’autres s’étouffaient dans leur propre vomi », raconte M. Soni, en jetant un regard vers l’usine désormais abandonnée. Un mouchoir sur le nez pour se protéger, il a transporté en charrette ses voisins gémissants, dont beaucoup d’enfants en bas âge, jusqu’à l’hôpital.

Rashida Bee, cofondatrice de l’ONG Chingari Trust, qui dispense des soins gratuits aux descendants des familles frappées par la catastrophe, estime que les personnes décédées ont eu de la chance. « Au moins, leurs souffrances ont pris fin, soupire-t-elle. Les malheureux sont ceux qui ont survécu ». Cette année, plus de 150 enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale, de problèmes d’audition, d’élocution ou souffrant d’autres handicaps ont été admis dans son établissement. Elle attribue ces pathologies à la fuite de gaz et à la contamination de la nappe phréatique causée par le déversement de déchets toxiques.

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L’ancienne usine du groupe américain Union Carbide, près d’un bidonville à Bhopal, le 25 novembre 2024 © AFP Gagan Nayar

Des analyses des eaux souterraines proches du site ont révélé la présence de substances chimiques – cancérigènes et responsables de malformations congénitales – 50 fois supérieure aux seuils tolérés par l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA). « Cette tragédie ne montre aucun signe de répit », constate Rashida, 68 ans, dont plusieurs membres de la famille sont morts d’un cancer depuis la catastrophe. « Le sol et l’eau sont contaminés, c’est pourquoi des enfants naissent encore avec des malformations ».

Selon des ONG, Union Carbide, racheté en 2001 par le conglomérat américain Dow Chemical a, pendant des années avant la catastrophe, déversé des déchets chimiques dans la nature. Sollicité par l’AFP, Dow Chemical n’a pas fait de commentaire.

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Rashida Bee (g), cofondatrice de l’ONG Chingari Trust qui offre un traitement gratuit aux enfants nés avec des malformations, assiste un père et sa fille au centre de réhabilitation du Chingari Trust, le 25 novembre 2024 à Bhopal © AFP Gagan Nayar

Tasleem Bano, 48 ans, est convaincue du lien entre l’usine et les maladies congénitales. Son fils Mohammed Salman est né avec des malformations, « son frère jumeau est mort dans mon ventre. Mohammed a survécu, mais il n’a pas pu prononcer un mot jusqu’à l’âge de 6 ans », explique-t-elle en montrant l’appareil orthopédique qui permet à son fils de se tenir debout. « Les médecins disent qu’il est dans cet état à cause du gaz », affirme Tasleem, qui vivait à proximité de l’usine la nuit du drame. Interrogé sur son nom, le garçon de 12 ans répond par un simple sourire. Comme lui, des centaines d’enfants du centre de Chingari ont des difficultés pour parler, marcher ou manger.

A la clinique Sambhavna Trust, les survivants font régulièrement la queue pour se faire soigner. « Les données montrent très clairement que la population exposée a un taux de mortalité beaucoup plus élevé que le reste de la population », affirme Satinath Sarangi, fondateur de Sambhavna. « En 2011 (…) nous avons constaté qu’il y avait 28 % de mortalité en plus parmi les personnes exposées au gaz. Les enfants de parents exposés au gaz présentent beaucoup plus de malformations congénitales ».

Union Carbide a accepté en 1989 de verser 470 millions de dollars (444 millions d’euros) aux victimes. Mais ces dernières n’ont pas été consultées et chacune n’a empoché que 500 dollars. L’actuel propriétaire, Dow Chemical, a refusé de verser d’autres indemnités. Le principal accusé, l’ex-président d’Union Carbide, Warren Anderson, est mort en 2014 aux Etats-Unis sans avoir été condamné.