États-Unis : les grands laboratoires en procès pour la crise des opiacés
Publié le - par le blob, l’extra-média, avec l’AFP
Des milliards de dollars sont en jeu : un procès retentissant va s’ouvrir lundi à Cleveland avec plusieurs géants pharmaceutiques sur le banc des prévenus, accusés d’avoir attisé la crise des opiacés et ses dizaines de morts par overdose chaque jour aux États-Unis.
Après l’échec vendredi d’une tentative de conciliation de dernière minute entre les grands distributeurs et les plaignants, ce procès pourrait être le plus dramatique et coûteux qu’ait connu le pays depuis celui contre les compagnies de tabac dans les années 1990.
A l’époque, il avait été prouvé que les géants du secteur avaient cyniquement dissimulé les dangers de la cigarette pour faire davantage de profits. De la même manière, la plainte dans ce premier procès fédéral relatif à la crise des opiacés affirme que producteurs et distributeurs étaient tout à fait conscients des dangers que représentaient leurs antidouleurs, notamment le fentanyl, cinquante fois plus puissant que l’héroïne et donc puissamment addictif, avec lesquels ils ont inondé le marché ces 15 dernières années. Ignorant les signaux d’alarme, ils en ont tiré des profits faramineux.
La procès devant un tribunal fédéral de Cleveland, dans l’État de l’Ohio (nord), rassemble 2 300 plaignants, des États, des comtés, des municipalités ainsi que des tribus indiennes. En face, quelques-uns des géants mondiaux de la distribution de médicaments : Cardinal Health, Amerisource Bergen et McKesson Corp, le fabricant israélien de médicaments génériques Teva, la chaîne de pharmacies Walgreen Boots Alliance, ainsi qu’un petit distributeur de l’Ohio, Henry Schein.
Bébés nés accros
Le laboratoire Johnson & Johnson a de son côté négocié un accord amiable de 20,4 millions de dollars avec deux comtés de l’Ohio qui font partie des 2 300 plaignants. En août, la firme avait déjà reçu l’ordre de payer 572 millions de dollars à l’Oklahoma pour compenser les dépenses que cet État du centre du pays a dû engager pour faire face à la crise des opiacés.
Le juge fédéral Dan Polster a fait pression pendant des mois pour qu’un accord amiable soit trouvé, espérant pouvoir éviter le long et douloureux procès qui s’ouvre lundi.
Mais les parties n’ont pas pu parvenir à un accord, sur une base proposée de 48 milliards de dollars, dont 18 milliards en liquide, après une dernière rencontre vendredi entre les représentants des six entreprises accusées et les avocats des plaignants.
Quatre États étaient favorables à l’accord de règlement proposé. Mais d’autres, ainsi que de nombreux petits plaignants, n’étaient pas satisfaits du montant total ni de la partie distribuée en cash notamment. Les quatre États voulaient ainsi que l’argent leur soit versé dans leur budget général, qu’ils pourraient ensuite utiliser comme bon leur semble.
Mais les autres États et les municipalités veulent que les fonds leur soient versés pour permettre de traiter directement les conséquences de la crise : pour financer des systèmes de santé et de sécurité sociale surchargés, permettre à des familles endettées en raison de l’addiction de certains de leurs membres de se remettre à flot, de soigner des bébés nés déjà accros aux antidouleurs...
400 000 décès
«Tous les experts ayant étudié ce problème estiment que notre pays sera confronté aux retombées de ce type de drogues pendant des années », a souligné la semaine passée le procureur général de l’Ohio, Dave Yost. « Tout l’argent récupéré doit être utilisé pour régler ce problème et ne doit pas être utilisé à autre chose ».
Le montant de l’accord n’aurait représenté qu’une partie du coût réel de cette épidémie des opiacés, qui a provoqué la mort de 400 000 personnes entre 1999 et 2018 et fait encore plus de 130 morts par jour.
Une étude publiée la semaine passée a estimé que la crise avait coûté au moins 631 milliards de dollars entre 2015 et 2018. Pour cette année seulement, des montants de 172 à 214 milliards de dollars sont évoqués. Cependant, les communautés subissent souvent une intense pression financière et ne veulent pas passer des années à se battre devant les tribunaux : cela donne aux laboratoires et distributeurs un premier élément sur lequel s’appuyer.