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Les déchets nucléaires en France © AFP Simon MALFATTO

Quel héritage pour les siècles à venir ? Le débat national sur la gestion des matières et déchets radioactifs lancé mercredi veut éclairer les citoyens sur un dossier complexe, miroir des clivages autour du nucléaire.

Dans un pays qui possède le deuxième parc de réacteurs au monde, ce débat est l’« héritier d’une histoire conflictuelle », a noté la présidente de la Commission nationale du débat public Chantal Jouanno. Mais « nous voulons essayer de dépasser les clivages », a ajouté Isabelle Harel-Dutirou, présidente de la commission particulière qui l’organise jusqu’au 25 septembre. « Tout le monde s’accorde à dire que nous devons aujourd’hui prendre des décisions qui préservent les générations futures (...), mais les solutions divergent », a-t-elle expliqué à l’AFP. « Certains disent que notre responsabilité est de ne pas obérer l’avenir des générations futures en ne laissant pas un héritage impossible à gérer ».

Dans ce camp se trouvent les ONG opposées notamment au projet Cigéo d’enfouissement des déchets à 500 mètres de profondeur à Bure (Meuse), qui veulent attendre de possibles avancées de la science avant de choisir une solution qu’elles jugent irréversible. « D’autres disent que notre responsabilité est de prendre aujourd’hui les décisions qui s’imposent », ajoute Mme Harel-Dutirou. Ainsi, les législateurs ont voté en 2006 une loi choisissant le stockage des déchets les plus dangereux en couche géologique profonde, ce qui a conduit au projet Cigéo. « Dans le cadre de la loi (...), il faut qu’on travaille sur la définition de la phase industrielle pilote et la réversibilité » de Cigéo, a insisté Virginie Schwarz, qui représentait le ministère de la Transition écologique au premier débat mercredi.

Alors certains s’interrogent sur l’utilité d’un débat sur ce choix déjà fait, et de manière plus générale sur la façon dont les discussions seront prises en compte pour la rédaction du 5e Plan national pour la gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2019-2021. « Débattre n’a pas de sens si les choix sur ce sujet sont déjà verrouillés », a dénoncé dans un communiqué le Réseau Sortir du nucléaire, qui a décidé de ne pas participer. Cette ONG et d’autres plaident d’abord pour l’arrêt du nucléaire, alors que le gouvernement a repoussé de 2025 à 2035 l’objectif d’abaisser à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité.

Mains à « six doigts »

À fin 2017, la France comptait 1,62 million de m3 de déchets radioactifs, selon le dernier inventaire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Les déchets de haute activité (HA), qui peuvent être radioactifs jusqu’à des centaines de milliers d’années, représentent 0,2 %, soit l’équivalent du volume d’une piscine olympique, mais 94,9 % du niveau de radioactivité, et doivent le temps venu rejoindre Cigéo.

La commission organisant le débat n’éludera pas non plus la question des « risques » et des « impacts » de ces substances sur la santé et l’environnement. « C’est un sujet qui reste méconnu, sur lequel quelques idées reçues sont véhiculées », notait avant le débat Sylvain Granger, responsable de la gestion des déchets chez EDF, assurant que « le système de gestion des déchets fonctionne bien et de manière sûre ».

Mais les déchets ne sont pas les seuls en question. Dans un pays qui a fait le choix controversé du retraitement, les « matières », c’est-à-dire les substances radioactives pour lesquelles une « utilisation ultérieure est prévue ou envisagée », devraient être également au cœur du débat. La question des capacités d’entreposage de ces matières, notamment les combustibles usés en attente de retraitement, sera éclairée par un rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Alors que les piscines de La Hague risquent d’arriver à saturation d’ici 2030, EDF envisage une nouvelle piscine centralisée, tandis que Greenpeace plaide pour un entreposage à sec en subsurface (juste sous la surface), jugeant les piscines « vulnérables ». 

Mais au-delà de la technique, il y a « des considérations humaines, sociétales et éthiques », a souligné Mme Harel-Dutirou. Pour preuve, le logo choisi : des fûts jaunes devant lesquels se dressent des mains colorées, symboles de la « trace de l’Homme » sur la Terre. Des mains qui devraient peut-être avoir « six doigts », ironise Michel Guéritte, militant antinucléaire et opposant à Cigéo.