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Un rayon charcuteries dans un supermarché, le 27 juin 2014 à Faches-Thumesnil (Nord) © AFP/Archives Philippe Huguen

Il va falloir trancher : un rapport parlementaire présenté mercredi recommande le bannissement progressif d’ici à 2025 des nitrites, ces additifs controversés utilisés dans les charcuteries pour allonger leur durée de conservation, mais soupçonnés de favoriser l’apparition de certains cancers.

Dans leur argumentaire, les auteurs du rapport, s’appuient sur les auditions de scientifiques, au premier rang desquels le professeur Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer. Lors des auditions, Axel Kahn a estimé que « le fait de traiter les charcuteries aux nitrites semble être franchement corrélé » à une augmentation du caractère cancérigène de la viande, une thèse vivement contestée par les industriels.

S’appuyant sur ces expertises, le rapport préconise en premier lieu d’« interdire l’utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie à compter du 1er janvier 2023 pour les produits à base de viande non traités thermiquement », comme le jambon cru, et « à compter du 1er janvier 2025 pour l’ensemble des produits de charcuterie », dont le jambon cuit, donc. « Il y avait déjà un fort consensus scientifique sur le sujet des nitrites ajoutés. Il y a maintenant une volonté politique de les interdire », a réagi Benoît Martin, cofondateur de la populaire application nutritionnelle Yuka, qui a salué, avec l’ONG Foodwatch et la Ligue contre le cancer, la publication de ce rapport.

« Cette interdiction, qui exige une véritable transition de la filière, doit être accompagnée par les pouvoirs publics, notamment sur le plan financier », estiment toutefois les auteurs du rapport, le député Modem du Loiret Richard Ramos, adversaire de longue date des additifs nitrités, et ses collègues Barbara Bessot-Ballot (LREM) et Michèle Crouzet (UDI). D’où la préconisation d’accompagner cette transition « par la mise en place d’un fonds public destiné à soutenir l’adaptation des outils de production des transformateurs », en particulier artisans, TPE et PME.

« 76 % environ de la charcuterie mise sur le marché dans la grande distribution contiendrait des nitrates ou des nitrites », indique le rapport, dont les préconisations ont inspiré le dépôt par le député Ramos d’une proposition de loi. Sa date d’examen n’a cependant pas encore été arrêtée, selon lui. L’interdiction des nitrites « aurait des conséquences sanitaires qu’on aurait du mal à mesurer », a assuré le président de l’interprofession (Fict), Bernard Vallat. La résurgence potentielle de cas de botulisme et autres microbes est notamment régulièrement avancée par les fabricants dans leur argumentaire de défense. Un « chiffon rouge », selon le rapport, qui estime que c’est « l’amélioration des conditions sanitaires et des protocoles d’hygiène dans l’ensemble de la chaîne de production » qui a permis « de réduire cette menace jusqu’à sa quasi-éradication ».

Le volume et la marge

Autre argument avancé par les industriels, le risque que ferait peser la suppression de ces additifs sur le goût, compte tenu du risque accru d’oxydation, c’est-à-dire la détérioration des jambons et saucissons au contact de l’oxygène. D’autres additifs existent, « mais présentent une durée de conservation réduite, nécessitent plus de sel, et présentent des coûts de production plus élevés », a indiqué M. Vallat.

Industriels et parlementaires se répondent pied à pied dans cette guerre de tranchées : selon le rapport, outre la couleur rose que donnent les nitrites au jambon, ancrée dans l’esprit du consommateur comme un gage de fraîcheur, ces additifs permettent d’utiliser une viande de moins bonne qualité. Alors que certains industriels ont lancé avec succès des gammes sans nitrites, les fabricants « ont intérêt, d’un point de vue marketing et financier, à faire durer les deux gammes : l’une fait du volume avec moins de marge, l’autre fait moins de volume et plus de marge », a déclaré Richard Ramos. Les professionnels de la charcuterie plaident pour que les parlementaires attendent pour s’emparer du sujet la parution d’un avis de l’Anses (agence de sécurité sanitaire) mandatée par le gouvernement en juin dernier. Lors de son audition au mois de novembre par la mission parlementaire qui a donné corps au rapport, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation lui-même avait fait part de son embarras pour résoudre ce débat complexe : « Sur la question des sels nitrités (...) je vais vous dire clairement ma position, c’est qu’au moment où je vous parle, je ne sais pas », avait déclaré Julien Denormandie, qui avait clairement formulé le souhait d’attendre le verdict de l’Anses.